Seul le Saint-Siège a cette capacité de rencontrer des personnes très différentes, d’obédiences et de groupes parfois opposés, et de les réunir autour de lui. Au cours d’un voyage principalement spirituel, le Pape a aussi porté un message politique, celui de la pacification et de l’espérance.Depuis plusieurs années que je travaille sur la diplomatie du Saint-Siège, la même question m’est régulièrement posée par beaucoup d’interlocuteurs : à quoi sert la diplomatie du Vatican ? La réponse, simple et grande en même temps, se trouve une nouvelle fois exposée par le voyage effectué par le Saint-Père en Irak : il a fait ce qu’aucun autre chef d’État ne peut faire. Il a été là où personne ne peut aller, il a rencontré des personnes généralement inabordables, il a fait se rencontrer des personnes qui d’habitude s’ignorent, il a semé des mots et des messages que personne ne sème. Ce qu’a fait le Pape en Irak, personne d’autre que lui ne peut le faire. Là réside la spécificité unique de la diplomatie du Saint-Siège, là réside les fameuses « divisions du Pape » dont, paraît-il, Staline se gaussait.
Un pèlerinage pour la paix
François souhaitait se rendre en Irak depuis le début de son pontificat, accomplissant ainsi le rêve impossible de Jean-Paul II en 1999 et les espoirs déçus de Benoît XVI. Il fallut attendre huit ans pour que ce voyage puisse s’accomplir, qui ne fut pas qu’un simple aller-retour à Bagdad ou une visite éclair à une base américaine, comme le firent les présidents des États-Unis. Ce fut un vrai voyage, de quatre jours, ponctué de nombreuses rencontres personnelles et collectives et de nombreux lieux visités. Aujourd’hui, aucun autre chef d’État ne peut faire ce qu’a accompli François durant ces jours, sans qu’il n’y ait aucun problème de sécurité, d’attaques ou d’attentats. Si le Pape peut le faire c’est que, contrairement aux autres chefs d’État, il ne défend pas d’intérêt particulier, mais les intérêts de toute l’humanité, à savoir la paix, la justice et la fraternité.
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La finalité de ce voyage, comme de tous ceux effectués par les pontifes romains, est d’abord spirituelle et religieuse. François l’a répété à plusieurs reprises : il se rend en Irak en pèlerinage. C’est un pèlerinage sur les pas d’Abraham, à Ur, et un pèlerinage sur les lieux martyrisés, à Mossoul et à Bagdad. Avant de rencontrer les autorités politiques de l’Irak, le vicaire du Christ vient d’abord rencontrer et soutenir ses fils chrétiens persécutés, comme le berger vient rendre visite à ses brebis blessées. Le Pape n’a cessé de rappeler que les chrétiens ne sont pas des minorités, mais des Irakiens à part entière, des citoyens d’un même pays, comme les sunnites et les chiites, et qu’ils ont le droit, à ce titre, à une égale considération et à des droits identiques à ceux des autres Irakiens. La nation doit prédominer sur l’oumma, la communauté des croyants. Une tâche bien difficile, dont il n’est pas dit qu’elle puisse un jour se réaliser.
Un pèlerinage de la rencontre
Si le Pape aime rencontrer les foules, notamment lors des cérémonies religieuses, il s’est d’abord rendu en Irak pour rencontrer des personnes. Les chrétiens bien sûr, leurs familles, leurs lieux de vie et leurs églises détruites et en cours de redressement. Mais aussi les autorités politiques et religieuses de l’Irak. La rencontre à Nadjaf avec le grand ayatollah Ali Al-Sistani demeurera comme le point d’orgue de ce voyage. Durant ce pontificat, préparé par les pontificats antérieurs, des murs sont tombés. La rencontre à Cuba avec le patriarche de Moscou, celle du Caire avec le recteur de la mosquée Al-Azhar et désormais celle de Nadjaf avec le chef spirituel des chiites d’Irak. Une rencontre qui a profondément marqué le Saint-Père et sur laquelle il est revenu dans son vol retour. Al-Sistani ne se montre presque jamais en public et dans les médias. Il ne rencontre pas les chefs d’État ou les chefs spirituels, bien que son pouvoir et son influence en Irak soient immenses, même au-delà de la communauté chiite. Qu’il ait accepté de rencontrer François est donc un événement de grande importance, qui témoigne de l’aura de l’Église bien au-delà des limites du monde catholique. Aucun autre dirigeant ne pouvait prétendre rencontrer le grand ayatollah. Cette rencontre est fondamentale pour l’avenir de l’Irak, la cohésion et la pacification des différentes communautés et, au-delà de l’Irak, la pacification du monde musulman.
Qui d’autre que le chef de l’Église catholique pouvait réunir tous ces groupes généralement opposés voire adversaires, dans un appel conjoint à l’entente et à la fraternité ?
La rencontre d’Ur, où pour la première fois depuis Abraham, presque tous ses descendants étaient réunis pour prier dans le même lieu, autour du Pape, dans un même élan pour la paix, est un démenti cinglant à ceux qui continuent de penser que les religions sont facteurs de guerre. Qui d’autre que le chef de l’Église catholique pouvait réunir tous ces groupes généralement opposés voire adversaires, dans un appel conjoint à l’entente et à la fraternité ?
Des pierres posées sur le temps long
Bien évidemment, la situation de l’Irak ne va pas changer du jour au lendemain des suites de cette visite. Une fois l’euphorie du voyage passée, les jours normaux reviennent, avec les difficultés et les défis à surmonter pour les chrétiens comme pour les autres communautés. Mais ce qui a été semé durant ces quatre jours ne sera pas perdu. Les fruits des rencontres, les fortifications des âmes et les encouragements, les murs des incompréhensions qui ont été abattus, la coopération qui s’est faite entre les communautés pour permettre la réussite de ce voyage. Le fait que tout se soit bien passé, sans problème de violence et de sécurité, est une victoire et une fierté à mettre à l’actif de tous les Irakiens, chrétiens et musulmans. Le Pape a réussi, durant quatre jours, à réunir tous les habitants de l’Irak autour d’un projet commun, l’accueil de l’évêque venu de Rome, dont le voyage était un message pour l’Irak, mais aussi pour le monde entier qui, ainsi, pourra regarder ce pays différemment.