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Derrière le Thabor, le Golgotha se profile déjà

transfiguration

Giovanni BELLINI, La Transfiguration, Museo di Capodimonte, Naples.

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Jean-Thomas de Beauregard, op - publié le 27/02/21
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Dès les premiers temps du carême nous sommes conviés à la transfiguration du Thabor avec le Golgotha en ligne de mire.

Sur une hauteur, Jésus est entouré par deux hommes. À proximité, quelques fidèles choisis seulement. L’heure est solennelle. Est-ce la Transfiguration, ou bien est-ce la Passion ? Est-ce la gloire ou la croix ? Thabor ou Golgotha ? Deux sommets géographiques, deux sommets évangéliques. Pour qui les contemple depuis une vallée avec le regard de la foi, les silhouettes de ces deux montagnes sont tellement alignées qu’elles en viennent à se confondre. Thabor et Golgotha sont-ils si proches ? On pourrait en douter.

Mais la liturgie lève le doute. En prélude au récit de la Transfiguration, nous entendons le récit du sacrifice d’Isaac (Gn 22, 1-2.9-13.15-18) et la confession de foi de Paul en la mort du Christ livré pour nous par le Père (Rm 8, 31b-34). Et le déroulement de l’Évangile de Marc dissipe les dernières ambiguïtés, puisque la Transfiguration y est située juste après la première annonce par Jésus de sa Passion (Mc 9, 2-10).

Transfiguré au Thabor, défiguré au Golgotha

Dans la foi, la croix du Golgotha est si proche de la gloire du Thabor que les deux événements pourraient presque se situer sur la même colline, à la manière dont la Roche Tarpéienne jouxtait le Capitole dans la Rome antique. Est-ce l’avertissement, pour Jésus et pour ses disciples, que son triomphe glorieux sera de courte durée, et que déjà la déchéance et la mort honteuse sur la croix se dessinent à l’horizon ? Oui, un peu. Mais là où le héros romain tomba dans l’orgueil et fut précipité bien malgré lui dans sa chute, Jésus s’abaisse par humilité et s’avance volontairement vers sa Passion. Le héros romain misait sur ses exploits passés pour s’imposer comme roi, mais c’était un imposteur ; Jésus, lui, le seul vrai roi, exige la discrétion sur ses miracles et refuse de se faire acclamer comme roi jusqu’à son entrée à Jérusalem.

Jésus est transfiguré au Thabor, défiguré au Golgotha.

Le chemin du Thabor au Golgotha est semé de paradoxes. Au plan des événements, le contraste est saisissant mais la logique est respectée : Jésus est transfiguré au Thabor, défiguré au Golgotha. Son visage est transfiguré par l’amour de Dieu, puis défiguré par le péché des hommes. Mais du côté des spectateurs de l’événement, la logique est renversée : là où on attendrait que les disciples adorent Jésus transfiguré au Thabor, c’est la frayeur qui domine, puis l’esprit de possession qui pousse Pierre à vouloir retenir Élie et Moïse dans cet instant prodigieux. Tandis qu’au Golgotha où on attendrait que Jean et les deux Marie s’enfuient avec les autres, c’est l’adoration qui prend le dessus et l’esprit d’abandon à la volonté du Père. C’est la fatalité de notre condition de disciples : nous sommes toujours en décalage, soit par rapport à ce que Dieu attend, soit par rapport à ce que le monde attend.

Voir le réel avec les yeux de Dieu

Entre le Thabor et le Golgotha, c’est le contraste qui frappe d’abord. Mais en profondeur, le Thabor et le Golgotha sont proches à raison de l’attitude qu’ils exigent de notre part. Dans les deux cas, le piège serait de s’arrêter à l’événement dans sa matérialité même, de ne pas voir plus loin et plus profond dans un regard de foi. L’homme de peu de foi qui est témoin de la Transfiguration admire le prodige, mais ne voit pas combien Jésus doit souffrir pour que cette gloire manifestée dans cet instant fugace puisse s’épanouir dans l’éternité. L’homme de peu de foi qui est témoin de la croix compatit à la souffrance ou bien fuit devant l’horreur, mais ne voit pas que c’est précisément là que la gloire de la résurrection va se manifester avec éclat. Au Thabor comme au Golgotha, tout l’enjeu est de voir le réel avec les yeux de Dieu.

Dès les premiers temps du carême, nous sommes donc conviés au Thabor, avec le Golgotha en ligne de mire. Il est nécessaire de montrer que le Golgotha se profile déjà derrière le Thabor, pour ne pas s’illusionner. Mais on peut aussi profiter de l’instant, et s’exclamer avec Pierre : « Il est bon que nous soyons ici ! » Lorsque la grâce se présente, lorsque dans notre vie Dieu frappe à la porte et nous fait expérimenter son amour, il faut savoir saisir l’instant : les consolations spirituelles ne sont pas si fréquentes qu’on puisse les mépriser. La tension dans laquelle nos efforts de conversion du carême nous plonge peut donc être relâchée, Jésus est là qui s’offre à notre adoration. C’est un repos qui non seulement est permis par Dieu, mais voulu par Lui qui connaît nos faiblesses. Il veut nous désaltérer dans notre désert, faisons halte à la source.

La montagne est notre horizon

Mais une fois encore, le piège serait de s’arrêter trop longtemps. Si le carême est comparable à une ascension vers les sommets, le deuxième dimanche, avec ce récit de la Transfiguration (Mc 9, 2-10), ressemble à une arrivée, ou tout au moins à un plateau. Cela est bon, il faut le souligner encore avec Pierre. Mais l’erreur serait de prolonger infiniment notre halte, et de dresser trois tentes. La vie spirituelle, c’est comme la révolution dans Rabbi Jacob, et donc comme une bicyclette : si on s’arrête, on tombe. Et comme on dit chez les montagnards dans les Pyrénées : « Si tu tombes, c’est la chute ; si tu chutes, c’est la tombe ! » En matière de vie chrétienne, du repos à la dégringolade, et de la dégringolade à la mort de l’âme, il n’y a qu’un pas.

Nos chutes nous font avancer si nous acceptons de tomber entre les mains du Dieu vivant.

Décidément, la montagne est notre horizon de ce deuxième dimanche du carême. Mais le proverbe montagnard mentionné à l’instant ne dit pas toute la vérité de la foi chrétienne. Il est vrai que notre pèlerinage sur la terre, et notre carême, requièrent un désir d’avancer toujours plus vers Jésus. Celui qui démissionne, celui qui ne désire plus, celui-là est bien près d’être mort. Mais là où la foi chrétienne change tout, c’est que celui qui chute du simple fait de sa faiblesse, celui même qui chute d’une volonté délibérée mais sans s’y endurcir, et qui désire se repentir, celui-là ne tombe pas dans le ravin de la mort : il est rattrapé délicatement par la main de Dieu. Et bien souvent, par une grâce absolument imméritée, la main de Dieu ne nous ramène pas à l’endroit de notre chute, ce qui serait déjà génial, mais elle nous élève un peu plus haut sur le chemin, ce qui est extraordinaire. C’est ainsi que même nos chutes nous font avancer, si nous acceptons de tomber entre les mains du Dieu vivant.

Le Père arrête notre chute

Nous découvrons alors que nous sommes, nous aussi, à la suite du Christ, les fils bien-aimés du Père, et que le Père n’abandonne pas ses enfants. Le Père arrête notre chute, nous recueille en sa main, et nous élève plus haut. Cela, Jésus l’a mérité pour nous sur la Croix. Et de la Croix jaillissent les sacrements, en particulier l’Eucharistie. Saint François de Sales a raison d’affirmer : « Il y a en chaque Eucharistie plus que le Thabor dont on redescend encore pécheur : le Golgotha dont on repart justifié. » En nous approchant pour communier à l’autel, nous accédons au pain du ciel qui nous donne d’aller de l’avant vers les sommets où Dieu nous attend.

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