Alors le Sénat a voté dans la nuit de mercredi à jeudi le projet de loi bioéthique en deuxième lecture sans l’extension de la PMA, Jean Matos, chercheur en éthique à l’Inserm et chargé de mission bioéthique auprès de la Conférence des évêques de France (CEF), rappelle la responsabilité du législateur et le rôle que la société veut donner à la médecine.
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Les sénateurs ont achevé dans la nuit de mardi à mercredi 4 février l’examen en deuxième lecture du projet de loi bioéthique en votant le texte sans l’article 1 qui ouvre la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Un vote qui interpelle sur leur responsabilité à court terme mais aussi à long terme, notamment par le rôle que la société veut donner à la médecine. “La grande question qui traverse les débats sur la bioéthique est celle de la limite”, indique à Aleteia Jean Matos, chercheur en éthique à l’Inserm et chargé de mission auprès du groupe bioéthique de la conférence des évêques de France (CEF) depuis 2010.
Aleteia : Le début de l’examen du projet de loi bioéthique par les sénateurs a été marqué par des votes assez surprenants autour de la PMA. Comment comprendre de tels désaccords ?
Jean Matos : Que l’on soit pour ou contre l’extension de la PMA, chacun s’accorde sur le fait que ce sujet pose la question de la limite et du rôle même de la médecine. S’agit-il d’une médecine destinée à remédier à une infertilité médicale diagnostiquée, ce qui était le cadre jusqu’à présent, ou une médecine, pour reprendre la formulation du projet de loi, qui doit répondre à un projet parental ? La question éthique est une question qui se pose en raison et de ce point de vue-là elle doit se poser à toute personne de bonne volonté qui s’interroge sur le sens des pratiques médicales etc.
Il y a une tentation en nous, et il faut le reconnaître, d’aller toujours plus loin.
Les sénateurs se sont penchés sur des amendements extrêmement précis dans leur technicité juridique. Et c’est important de le faire, c’est leur travail. Mais la question sous-jacente est celle du rôle que la société veut donner à la médecine. Cette question ne date pas d’aujourd’hui. Les avancées de la biomédecine, des techniques, ont tellement ouvert le champ des possibles ! Mais jusqu’où ? L’amélioration de l’être humain portée par le courant transhumaniste pense ainsi et la question mérite d’être posée : pourquoi se contenter de réparer le corps humain, ce que la médecine fait depuis Hippocrate, alors que la technique nous donne aujourd’hui les moyens d’améliorer, d’augmenter, le fonctionnement de certaines parties de notre corps ? On sent que ces questions vont bien au-delà de l’ouverture de la PMA qui ne concerne que quelques milliers de personnes, une réalité statistique assez limitée finalement, alors que l’extension du champ d’intervention de la médecine va impacter l’exercice même de la médecine dans les années à venir. Ce sont les contours de la médecine elle-même qui vont bouger.
Doit-on poser des limites ?
La grande question qui traverse les débats sur la bioéthique est celle de la limite. Les techniques biomédicales se développent de plus en plus rapidement. Ce qui faisait fantasmer il y a dix ou vingt ans existe aujourd’hui. Je pense par exemple à l’outil moléculaire Crispr-Cas9. C’est une technique absolument fabuleuse en matière de potentialité thérapeutique dès lors qu’elle porte sur des cellules somatiques, des cellules adultes pour corriger certains problèmes au niveau génétique. Mais elle permet aussi d’intervenir sur des cellules germinales voire même sur l’embryon conçu et de transmettre aux générations futures des modifications génétiques irréversibles. Il y a une tentation en nous, et il faut le reconnaître, d’aller toujours plus loin. Être scientifique et avoir 240.000 embryons surnuméraires à sa disposition, oui la tentation est là. Il y a une potentialité immense. Mais où est la limite ? Où est ma limite ? Où est la limite de la société ? Elle est essentielle, tout le monde sauf une minorité s’accorde dessus. Mais certains la posent plus loin que d’autres. Tout est une question d’équilibre : favoriser le progrès tout en respectant la dignité humaine. Il y a toujours une tension entre le progrès technologique et le respect de la dignité humaine, et cette tension est la limite. Tout ce qui est techniquement possible est-il pour autant moralement recevable ?
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Quelle est la responsabilité de celles et ceux qui votent le projet de loi bioéthique ?
C’est une responsabilité totale. Les députés et sénateurs votent le texte en tant que représentants du peuple, de la Nation. Ils ont une responsabilité devant leur conscience et devant celles et ceux qu’ils représentent. Cette responsabilité est d’autant plus importante que le sujet est sensible et profond. Il ne s’agit pas de discuter de la fiscalité numérique ou de la politique de pêche. On touche à rien de moins que la nature humaine telle que nous l’avons conçue depuis des millénaires. Nous sommes en train de basculer dans quelque chose qui relève d’une limite repoussée plus loin et qui touche au fondement de la nature humaine. Mais qu’est-ce qu’être un être humain dès lors qu’on peut le manipuler ? Le législateur engage une compétence technique, par sa connaissance des dossiers, mais aussi une responsabilité morale. C’est une responsabilité totale et redoutable.
Quels critères devraient guider le législateur ?
Une forme d’indépendance, une réelle liberté de conscience vis-à-vis des partis, des électeurs. In fine c’est devant sa conscience que l’on prend une décision, quelle qu’elle soit. Quand on va dans l’isoloir, on est seul avec soi-même. C’est de cela qu’il s’agit. C’est ce que le concile Vatican II appelle le sanctuaire de la conscience humaine. Au moment du vote, chaque député, chaque sénateur, devrait se trouver dans cette forme de solitude. Et de sagesse en conservant sa capacité à s’interroger.
À quoi servent les débats sur la bioéthique ?
Parce que nous sommes tous concernés et que ce sujet touche l’être humain, celui-là même qui compose la société. Il y a beaucoup de bruits et de violence autour de ce sujet mais pas de débat suffisamment approfondi, ni de véritable dialogue.
Sont-ils inutiles ?
Loin de là ! Les normes bioéthiques françaises ont un ancrage législatif et c’est déjà un choix très fort. Dans d’autres pays, notamment les pays anglo-saxons, il n’y a pas de loi bioéthique telle que nous l’avons en France depuis 1994. C’est ce que l’on appelle la soft law c’est-à-dire les recommandations et bonnes pratiques des sociétés savantes. Il va encore plus loin en s’enracinant dans les droits de l’homme : en 1994, en posant le cadre général des lois de bioéthique, le législateur a introduit des principes essentiels dans l’article 16 du code civil : “La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”.
On parle avec les mêmes mots mais on ne parle pas la même langue.
Mais la difficulté porte sur la définition même des mots. Le cadre lui-même est parasité par des concepts qui évoluent eux-mêmes. La dignité par exemple. Nous l’avons hérité de la déclaration universelle des droits de l’homme. À cette époque, tout le monde partageait la même définition. Or le problème est qu’au fil du temps, cette définition est devenue extensive, à géométrie variable. Tout le monde s’accorde pour dire que les progrès techniques doivent rester toujours au service de la dignité de la personne. Cela revient comme un refrain, à gauche, à droite, chez les croyants, chez les non croyants. Mais chacun met des choses différentes derrière ces mots. On le voit sur la fin de vie, et c’est le débat qui suivra celui de la loi bioéthique. Certains parlent du droit à mourir dans la dignité et d’autres défendent le droit à une fin de vie digne. On parle avec les mêmes mots mais on ne parle pas la même langue.