L’Eucharistie en « distanciel », c’est comme des amours où le portrait de l’autre dispense de le rencontrer.
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On apprend que depuis qu’ils peuvent de nouveau aller à la messe, les catholiques y sont moins nombreux qu’avant. Et on s’en inquiète. La place concrète du catholicisme dans la vie sociale se rétrécit encore. Ceux qui ont perdu l’habitude de se rendre à l’église au moins le dimanche la retrouveront-ils une fois tout le monde vacciné ? Ou bien auront-ils appris à se satisfaire à domicile de substituts audiovisuels d’une qualité esthétique et émotionnelle supérieure à ce qui leur est offert par le clergé local ? Et surtout, cette privatisation de la pratique religieuse ne révèle-t-elle pas une foi qui s’effiloche ?
Formation insuffisante ?
Si en effet une belle célébration eucharistique à la télévision, avec un sermon court et bien ficelé, non seulement suffit mais encore est trouvé plus gratifiant que tout ce qu’on pourrait trouver dans sa paroisse, ce qu’a de vital la communion sacramentelle au Corps du Christ est perdu de vue. Cette priorité accordée au ressenti résulte sans doute en partie de déficiences dans l’éducation et la formation permanente des croyants. Mais la solution est-elle simplement une pédagogie plus intense et mieux ciblée ?
Il n’est certes pas du luxe de rappeler sans relâche que Jésus n’a pas demandé qu’on se souvienne de lui par n’importe quel moyen, mais qu’« en mémoire de lui » soit « fait ceci » — à savoir manger le pain consacré qui est son corps, donné en nourriture de la vie qui n’aura pas de fin. C’est toute la différence entre une commémoration historique, comme celle de l’armistice de 1918 chaque 11 novembre, et un mémorial, c’est-à-dire l’actualisation d’un événement décisif, son renouvellement avec la même réalité et le même impact.
Les avantages de l’audiovisuel
Ce n’est là bien sûr qu’un angle d’approche parmi d’autres, car le sens et la portée de la messe sont inépuisables. Mais les meilleurs arguments théoriques risquent de ne pas peser lourd face à la séduction pratique qu’exercent les versions sans participation physique et immédiate. C’est vraisemblablement aussi sur cette emprise qu’il convient de s’interroger, afin de ne pas faire preuve de moins de liberté critique vis-à-vis de nos contemporains et de nous-mêmes qu’à l’égard des pasteurs et catéchètes chargés de faire comprendre pourquoi il faut aller à la messe sans se contenter d’y assister de loin en restant confortablement chez soi.
Il va de soi qu’il ne saurait être question de dénigrer les retransmissions radiophoniques et télévisuelles. Elles sont précieuses pour toutes les personnes qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent se déplacer : malades, handicapés, vieillards, prisonniers, isolés en tout genre. Il est clair de même que, pendant les confinements dus à la pandémie en cours, ces modes de communication permettent de continuer à suivre les liturgies dominicales, en y consacrant du temps et en s’unissant ainsi tant bien que mal à toute l’Église.
Le « présentiel » facultatif ?
Un premier indice préoccupant a été que peu de gens ont profité de ce que les églises restaient ouvertes dans la journée : ils pouvaient s’y rendre individuellement en respectant toutes les précautions sanitaires, prier devant le Saint-Sacrement et même recevoir la communion après avoir reçu si nécessaire le pardon d’un prêtre. Il faut croire que la petite heure hebdomadaire de messe télévisée satisfaisait au moins a minima les appétits spirituels de la plupart des pratiquants réguliers.
Le fond du problème est peut-être que cette solution de remplacement a paru normale.
Mais le fond du problème est peut-être que cette solution de remplacement a paru normale. Avec les réseaux sociaux, les échanges multilatéraux par Skype, Teams, Zoom, WhatsApp, etc., la vie relationnelle est en train de changer. Si les réunions familiales et de travail, les événements culturels (colloques, conférences, concerts, visites d’expos, de musées et de sites touristiques…) et même sportifs (dans des stades vides) deviennent pratique courante en « visio », pourquoi les assemblées ecclésiales resteraient-elles (une fois de plus) à la traîne ?
Le « distanciel » n’est pas la panacée
La réponse à cette question est que la généralisation des célébrations virtuelles ne serait pas un progrès, et au contraire une triste régression. Ce serait, d’une certaine façon, revenir au temps où, par conformisme, on assistait seulement à la messe. Pour faire son devoir, on allait l’entendre, sans s’investir personnellement ni même être obligé d’écouter. Seul s’inverse le motif de la distanciation : autrefois c’était un formalisme assumé, maintenant c’est priorité au « ressenti » grâce au stimulus réclamant le moins d’effort possible.
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Or pourquoi faudrait-il que la foi se dissolve dans les techniques de communication ? Elle a toujours su s’en servir, mais sans que ces moyens réduisent sa mission à leur mesure utilitaire. De plus, même dans l’univers profane, ces technologies si séduisantes ne sont pas saluées comme la panacée. On peut certes travailler, entretenir les liens familiaux et amicaux, s’instruire, se distraire et même voter en « distanciel ». On continuera sans doute à recourir à ces facilités après la crise sanitaire, parce qu’elle aura incité à en tirer parti et à améliorer les outils. Mais tous aspirent à retrouver au plus tôt la liberté et l’intensité du « présentiel ».
Concret et mystique
L’Église se trouve significativement, même si un ersatz est disponible, dans une situation un peu analogue à celle des mondes à la fois de la restauration et du spectacle. La vie chrétienne n’est pas désincarnée. Aucun sacrement (car il n’y a pas que l’Eucharistie) ne peut être reçu par YouTube. L’enjeu n’est pas seulement de sauvegarder des dogmes. Il est aussi, et plus humblement, aujourd’hui de résister à ce que l’on pourrait appeler une déréalisation de la vérité. Les médias de toutes sortes finissent par persuader qu’elle n’existe, au moins pour nous, que dans les images animées et sonorisées qu’ils en proposent. Inévitablement, la messe est captée dans ces miroirs bavards. Ils en font un show dont l’intérêt est proportionné aux sensations qu’il procure. Elle est pourtant l’antidote à la dépendance ainsi créée.
Participer physiquement et manger le pain eucharistique ouvre à la plénitude de la vérité.
Participer physiquement et manger le pain eucharistique ouvre à la plénitude de la vérité. Elle s’avère là immédiate et charnelle, dans la convivialité où l’on se réunit pour être nourri et s’en réjouir. Et en même temps, cette expérience, si banale qu’elle devienne, mais parce qu’elle est offerte et engage à s’offrir soi-même pour la partager, introduit dans l’Histoire qui ne s’achèvera qu’à la fin des temps. Le concret reçoit de la sorte une dimension cosmique et mystique. Peu importe, finalement, qu’on décroche pendant l’homélie ou qu’on n’éprouve rien d’exaltant. Il est toujours donné bien plus qu’on ne peut percevoir et l’on ne peut y avoir part qu’en le transmettant sans se l’approprier. Dans le rapport au Christ, c’est un peu comme dans les amours : elles finissent par avorter si l’on s’attarde devant un portrait de l’autre sans être pressé de le rencontrer, ou si la relation ne va pas au-delà d’échanges sur l’Internet.
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