Alors qu’un nouveau débat sur les violences policières traverse la société, alimenté par le passage à tabac d’un chanteur ainsi que la loi « sécurité globale », le père Denis Chautard, aumônier de la préfecture de police de Paris, revient pour Aleteia sur ce malaise et la délicate – mais essentielle – mission du policier.
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L’évacuation musclée de migrants place de la République et les images choquantes du passage à tabac d’un producteur de musique, Michel Zecler, par quatre policiers, alimentent depuis plusieurs jours le débat sur les violences policières au sein de la société. Un débat que nourrit également le projet de loi “Sécurité globale” visant à mieux articuler l’action des acteurs de la sécurité et dont l’article 24 – qui lutte contre la diffusion d’images de la police à des fins de menace ou de harcèlement – divise largement. “Les tensions entre la police et la société ne sont pas nouvelles”, reconnaît auprès d’Aleteia le père Denis Chautard, prêtre de la Mission de France et aumônier de la préfecture. “Mais elles ne doivent pas faire perdre de vue que la très grande majorité d’entre eux remplissent leur mission avec cet amour des gens qui est au cœur de leur vocation”. Entretien.
Aleteia : Quel regard portez-vous sur les récents événements ?
Père Denis Chautard : Ces événements récents ont montré que des policiers ont abusé de leur uniforme et de la situation d’autorité dans laquelle ils se trouvaient par rapport à autrui pour faire quelque chose d’inacceptable. Chose pour laquelle ils vont être jugés et condamnés (les quatre policiers ont été suspendus à titre conservatoire, ndlr). Mais cet événement révèle aussi quelque chose de l’ordre du déficit dans la hiérarchie, dans la chaîne de commandement. Les policiers avec lesquels j’ai l’occasion d’échanger me disent souvent que les choses n’arrivent jamais vraiment par hasard, il y a contexte, un environnement… cela peut être le manque de formation, l’isolement, la peur qu’ils ressentent dans une situation de tension extrême etc.
Ces différends entre la police et la société ne sont pas nouveau, ils sont même récurrents.
Plus globalement je dirais que ces différends entre la police et la société ne sont pas nouveau, ils sont même récurrents. Gilets jaunes, retraites… Il y a une accumulation. A ces difficultés déjà connues est venu s’ajouter un fait grave pour la mission des policiers : le terrorisme. Cet élément s’est imposé d’une façon très violente et très lourde dans l’actualité. La mission des policiers est de protéger la population par rapport aux risques qu’elle encourt. Et elle le fait dans une situation particulièrement tendue.
Quelles sont les difficultés auxquelles les policiers sont confrontés ?
La plupart des jeunes policiers ont souvent leur premier poste en Île-de-France. Et ils ne sont généralement pas préparés à ce qui les attend dans la mesure où leur formation est réduite en temps afin de répondre à la nécessité d’engager rapidement des forces dans des secteurs difficiles. Ces jeunes, animés d’un certain idéal, sont donc confrontés à des réalités difficiles, ils sont en première ligne sans avoir une expérience de terrain ni une formation au point. À cela il faut ajouter que ces jeunes sont eux-mêmes déracinés : ils viennent en grande majorité de province et leur situation familiale est compliquée car ils n’ont qu’un dimanche sur six pour rejoindre leur famille. Isolés, ils connaissent aussi une souffrance personnelle. La deuxième réalité est que la police faisait aussi office autrefois de famille. Il y avait une solidarité entre les policiers qui se retrouvaient pour des temps de convivialité, des repas, des fêtes. Aujourd’hui les locaux de convivialité ont été remplacés par des distributeurs À la fin de son service le policier est renvoyé à sa vie personnelle, seul avec lui-même. Avec l’épuisement, la fatigue voire même parfois la détresse personnelle, certains policiers vont jusqu’à perdre le sens de leur métier. Nous essayons en tant qu’aumôniers, avec la direction des ressources humaines, de proposer des groupes de paroles, des lieux où les policiers puissent échanger afin de retrouver du sens.
Y a-t-il un divorce entre la société et les policiers ?
Les choses sont plus compliquées que cela. Du fait d’une certaine inflation dans les médias, on a l’impression que le divorce est proche. Or, si la situation est effectivement tendue, ce n’est pas le cas. Bien évidemment quand des policiers se conduisent comme des voyous, des délinquants, ils doivent passer devant la justice et être condamnés pour leurs actions. Mais la plupart des policiers, la grande majorité, ont conscience de la responsabilité qu’ils ont d’apporter une réponse appropriée à la violence à laquelle ils font face. Mais c’est un équilibre très compliqué et toujours précaire. D’ailleurs dans de nombreuses vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux on voit bien souvent uniquement la réponse du policier mais absolument pas la violence qui est à l’origine de cette réponse.
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Comment réconcilier les deux ?
Les policiers ont besoin plus que jamais du soutien de la population car leur mission est de protéger les citoyens, les plus faibles et les plus précaires. Au même titre que l’on dénonce les violences policières il est nécessaire de témoigner de leurs qualités, leurs actions. La grande majorité des policiers exercent leur métier avec l’amour des autres et ont conscience qu’ils sont là pour les protéger. Pour être policier, et c’est cœur de la vocation, il faut aimer les gens. En témoignent tous ceux qui sont en police secours, dans les brigades d’intervention… Ils sont confrontés quotidiennement aux situations les plus difficiles, violentes, inattendues et sont contraints d’intervenir dans des violences familiales, sur des accidents… Cela demande une maitrise de soi extrêmement grande. Beaucoup de policiers chrétiens me confient d’ailleurs qu’ils prient avant de prendre leur service. La prière est une force qui les aide à garder leur calme, leur sérénité. Rester maître de soi en toutes circonstances est la principale qualité d’un policier. Les policiers sont des gardiens de la paix, c’est leur première vocation. Et c’est un ministère magnifique. Tous les policiers qui considèrent cette mission ont un sens éminent du service qu’ils rendent
Qu’est-ce que la période de l’avent peut nous dire de cette réconciliation ?
Les chrétiens se préparent à la naissance du prince de la paix. Dieu vient établir sa demeure parmi les hommes et ainsi il vient manifester qu’en chacun de nous, en chaque être humain, il y a la flamme d’une présence. Cette présence est un lieu d’espérance. Chacun porte en lui la flamme d’amour de Dieu pour les hommes et est capable de la diffuser à d’autres. Avoir conscience de cette flamme, c’est reconnaître que la paix est possible dans la mesure où l’on accepte le dialogue, la rencontre, le respect. Le gardien de la paix est celui qui porte ce message, qui témoigne que chacun est habité de cette flamme et qu’il mérite à ce titre d’être défendu et respecté.