Le cessez-le-feu conclu au Haut-Karabakh met un terme au conflit engagé mais ne règle pas le problème de fond de la région. Les populations chrétiennes arméniennes sont menacées d’expulsion par les Azéris soutenus par la Turquie. Seule la Russie a pu séparer les belligérants. De façon provisoire ?La victoire de l’Azerbaïdjan aidé par la Turquie est presque totale. En quelques semaines de guerre, Bakou a plus obtenu qu’en trente ans de négociations. Le Premier ministre arménien a été contraint à la signature d’un cessez-le-feu qui a au moins permis d’éviter une plus grande défaite à ses troupes. Avec la prise de la ville de Chouchi, verrou stratégique situé à 15 km de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh, c’était l’ensemble de la région qui menaçait de tomber sous la coupe des Azéris.
Les troupes du Haut-Karabakh ne pouvaient plus repousser l’offensive azérie, en dépit de l’arrivée de l’hiver qui aurait pu leur permettre de ralentir la progression militaire. Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, peut fêter sa victoire militaire qui repose essentiellement sur l’aide apportée par son allié turc. « Nous avons forcé [le Premier ministre arménien] à signer le document, cela revient à une capitulation. J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens et nous l’avons fait », a dit Aliyev lors d’une allocution à la télévision, qui témoigne du mépris et de la haine des Azéris à l’égard de leurs voisins.
Un cessez-le-feu négocié par Moscou, toléré par Ankara
C’est Vladimir Poutine et la diplomatie russe qui ont conduit les négociations et contribué à la signature du cessez-le-feu. Le groupe de Minsk, co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie, qui est l’autorité légitime pour trouver une issue au conflit a été totalement absent du conflit. Cette guerre signe le retour incontesté de la Russie dans le Caucase du Sud et sa reprise en main de son étranger proche. La diplomatie française a été absente, ayant déjà du mal à régler le dossier de la Méditerranée orientale, les États-Unis ne sont pas intervenus, n’étant plus capables d’imposer leurs décisions à Moscou comme ils pouvaient encore le faire dans les années 2000. Ce conflit local autour d’un territoire de très petite taille est révélateur des évolutions du monde et des puissances au cours des quinze dernières années. Il montre aux yeux de tous l’effacement des États-Unis, le retour de la Russie et les appétits de la Turquie.
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Erdogan est le véritable maître d’œuvre de cette guerre. Il a armé Bakou et autorisé l’attaque en septembre dernier, désireux à la fois de renforcer son allié turcophone et de vaincre les Arméniens vieille bête noire des Turcs. Si la Turquie n’est pas intervenue dans la négociation du cessez-le-feu, son ombre plane dans la région et elle ne devrait pas tarder à refaire parler d’elle. Loin de mettre un terme au conflit, la fin des combats ouvre une période de doutes et de craintes.
Quid des territoires récupérés ?
L’Azerbaïdjan a obtenu de récupérer un grand nombre de territoires jusqu’à présent dirigé par la république de l’Artsakh. Ces terres étant peuplées d’Arméniens, les plus grandes craintes pèsent sur leurs habitants. Il n’est pas possible d’avoir un territoire habité par un peuple et administré par un autre peuple. Le risque d’une purification ethnique massive et violente est réel. Une fois ces territoires en sa possession, Bakou devrait organiser l’expulsion des Arméniens et leur remplacement par des populations azéries. Cela ne se fera pas sans violence et risque fort de susciter des attaques de guérillas voire une reprise du conflit.
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Que pourra alors faire la Russie, elle qui est reconnue par les accords de cessez-le-feu comme force d’interposition et de paix ? Moscou est entré dans un jeu qui risque de s’avérer être un engrenage sans fin pour elle. En cas de purification orchestrée par l’Azerbaïdjan, la Russie se devra de choisir son camp, soit en laissant faire soit en intervenant pour l’empêcher. Le cessez-le-feu est donc loin de signifier la fin des combats et le règlement du conflit. C’est une chose de vaincre et de repousser un adversaire militaire, c’en est une autre de diriger un territoire et de le contrôler. La guérilla et la guerre d’attrition ne sont pas à exclure, ce qui ferait alors durer le conflit pendant de nombreuses années. Pour l’instant Bakou peut compter sur le soutien sans faille de la Turquie, mais qu’arrivera-t-il si Erdogan quitte le pouvoir ou si la Turquie n’a plus les moyens de soutenir militairement son allié ? Loin de clore un chapitre, la guerre du Haut-Karabakh et le cessez-le-feu ouvrent une période d’incertitudes et de drames humains.
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