separateurCreated with Sketch.

Anne-Dauphine Julliand : “Pleurer devant les autres, c’est déjà un appel à la consolation”

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Domitille Farret d'Astiès - publié le 06/10/20
whatsappfacebooktwitter-xemailnative

Dans son dernier livre, “Consolation”, qui sort en librairie ce mercredi 7 octobre 2020, Anne-Dauphine Julliand, auteur de “Deux petits pas sur le sable mouillé”, aborde le délicat sujet des larmes. Et dévoile au fil de son témoignage qu’elles peuvent être un véritable chemin de paix. Aleteia : En quoi les larmes sont-elles un chemin d’apaisement ? 
Anne-Dauphine Julliand : C’est naturel de pleurer, c’est instinctif. Quand on a mal physiquement et moralement, les larmes viennent presque toutes seules. Ce qui est apaisant, parce qu’elles sont naturelles, parce que tout d’un coup on est en harmonie entre ce que l’on ressent et la façon dont on le dit. Si les larmes sont empêchées, il y a une fracture. Elles vont être empêchées par un élément exogène qui est bien souvent le regard des autres ou l’idée qu’on en a, la peur d’être jugé, incompris, d’exposer sa douleur. Car l’exposer, c’est aussi se rendre vulnérable. Les larmes cachées masquent beaucoup de peur, alors que si on les laisse couler très naturellement, elles charrient avec elles quelque chose et font sortir de nous-mêmes une partie de la peine. C’est se délester d’un poids qui, sinon, reste bloqué à l’intérieur. C’est une partie importante de la consolation. La consolation, c’est rendre entier, c’est-à-dire que ce qui a été cassé, abîmé, retrouve son intégrité par la consolation, quelle que soit l’origine de cette consolation. Si on ne peut pas pleurer, la faille intérieure s’élargit encore plus, elle devient encore plus difficile à combler. Dans les larmes, il y a beaucoup de paix. J’aime cette idée que pour pleurer, il faut avoir confiance dans le monde. Si je pleure en public, ou si je pleure tout court, c’est que je pense que ma douleur est légitime, qu’elle a sa place dans le monde, qu’elle ne va pas être rejetée, dénigrée, regardée de haut. Si je pleure devant les autres, c’est déjà un appel à la consolation.

Les larmes rendent-elles plus fort ?
On est plus fort quand on a été consolé car il y a ce lien qui s’est tissé, on a cet autre qui s’est approché, avec sa peur et ses fragilités, pour accueillir la nôtre. La consolation n’est rien d’autre qu’une relation profonde, très personnelle, qui se tisse entre un autre et moi. On n’est pas consolé une fois pour toutes mais on gagne en confiance. C’est un éternel recommencement. Les larmes reviennent et il faut recommencer autant de fois qu’elles surgissent. On gagne en degrés de paix mais ça n’empêche pas que la souffrance soit d’une profondeur abyssale. On agrège trop souvent la temporalité à la souffrance. Elle ne se tarira jamais et c’est ainsi. En prendre conscience et l’accepter permet de mieux accepter la consolation. J’aime cette expression qui parle d’apprivoiser la souffrance.

On ne console l’autre que dans la relation que l’on tisse avec lui et dans l’amour qu’on a pour lui. La consolation, c’est un cœur à cœur.

Vous dites que douleur et paix ne sont pas si contraires que cela. Pouvez-vous nous expliquer ?
En fait, cela ne se situe pas au même niveau. On peut très bien pleurer sans pour autant être habité par la révolte. La paix se situe comme les profondeurs de la mer. Pour moi, c’est exactement comme l’océan. La surface de la mer peut être très agitée par une tempête et les fonds marins paisibles. Quand on est face à une souffrance, il est normal d’être triste et de pleurer, d’exprimer cette souffrance. Si elle est consolée, acceptée, comprise, cette souffrance ne va pas s’étendre sur tous les aspects de la vie : elle ne reste que de la souffrance et ne pas se coupler avec d’autres souffrances telles que la solitude, l’isolement ou l’incompréhension des autres. Elle reste la souffrance de la perte, quelle que soit la perte : d’un être proche, d’une capacité. Mais elle ne reste qu’une perte.

Comment consoler l’autre qui est dans la peine ?
Difficilement. Il n’y a pas de recette miracle : on ne console l’autre que dans la relation que l’on tisse avec lui et dans l’amour que l’on a pour lui. La consolation, c’est un cœur à cœur. La seule façon de consoler, c’est de s’approcher le cœur ouvert de celui qui souffre, d’être prêt à le recevoir. C’est s’approcher dans le périmètre vital ; il y a une notion d’intimité. On peut éviter de tomber dans certains écueils, comme celui de se demander comment, soi, on aurait voulu être consolé. La consolation est l’une des écoutes les plus fines que l’on peut avoir du cœur de quelqu’un. C’est un éternel recommencement qui demande de s’ajuster sans cesse. Ce n’est pas la longévité de la relation qui fait la qualité de la consolation. La consolation de l’inconnu a une force extraordinaire car il ne m’aime pas : il s’approche car il est sensible à la douleur que j’ai exprimée et se sent le droit, en tant qu’être humain, de me consoler. Quand quelqu’un a l’audace de pleurer devant les autres, on a une vraie responsabilité pour l’accompagner.


woman-craying
Lire aussi :
Les larmes, baromètre de la vie spirituelle ?

Comment vaincre sa douleur ?
On ne la vainc pas. Si on se dit qu’on livre une bataille et qu’on va la gagner, on a perdu. Ce n’est pas de cette nature-là. Le plus beau combat, c’est d’arriver à accepter qu’elle fasse partie de notre vie, de pouvoir lui dire : “Ok, d’accord, tu as ta place”. Au début, on est submergé et elle va occuper tous les aspects de notre vie. Petit à petit, elle ne fait juste que partie de notre vie et elle n’interdit pas tout le reste, même si elle le complique, parfois. On peut aussi se dire : “Cette peine fait partie de ce que je suis, mais elle ne me définit pas. Il y a tout ce que j’aime, tout ce qui me constitue qui perdure malgré tout”. Au début, on est plongé dans le brouillard. Puis on peut l’écarter un peu pour découvrir qu’il y a encore des zones claires, de belles choses qui subsistent dans la vie.

Je crois que cela demande beaucoup de douceur avec soi-même. Parfois, la seule chose à faire quand on a mal, c’est pleurer et prendre le temps d’accueillir cette peine et de la vivre pleinement.

Je crois que cela demande beaucoup de douceur avec soi-même. Parfois, la seule chose à faire quand on a mal, c’est pleurer et prendre le temps d’accueillir cette peine et de la vivre pleinement. Là ou l’on pourrait avoir tendance à se dire qu’il faut se ressaisir, je pense au contraire qu’il faut être d’une infinie douceur avec soi-même. On nous invite tellement à nous ressaisir ! Je reste convaincue que la seule façon d’arriver à vivre pleinement la joie, c’est d’avoir vécu auparavant pleinement sa peine, de s’être presque vidé le cœur et les yeux de cette douleur de l’instant, comme font les enfants qui pleurent profondément le temps que dure la peine et qui après recommencent à jouer.

Peut-on être heureux malgré le malheur ?
On peut être heureux avec le malheur, avec la souffrance. C’est un paradoxe. Je suis une femme profondément heureuse et je pleure quasiment tous les jours la mort de mes filles. Ce n’est pas la souffrance et le bonheur qui sont incompatibles, c’est le bonheur et la peur. Le bonheur se situe à un autre niveau que la peine que l’on ressent. Ce n’est pas un instant, du ressenti ou un sentiment : c’est un fait. C’est quelque chose qui nous imprègne. On ne se sent pas heureux : on est heureux.


web2-woman-sad-shutterstock_1230899545.jpg
Lire aussi :
Ne retenez pas vos larmes

Consolation.jpg

Les Arènes

Consolation, par Anne-Dauphine Julliand, Les Arènes, 7 octobre 2020, 18 euros.

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)