Dans une élection présidentielle américaine tendue, le décès d’un des juges de la Cour suprême accroît la polarisation politique du pays. Le choix de Donald Trump pour le remplacer est très attendu. L’enjeu est moins l’avortement que le renforcement du fonctionnement fédéral des institutions. On croit souvent connaître les États-Unis alors que sur bien des aspects, le pays est fort différent de la France. Il en va ainsi du fonctionnement des institutions où le président a bien moins de pouvoir que chez nous, d’une part parce que le pays est fédéral, d’autre part parce qu’il y a tout un système de contrepouvoir qui limite son action.
Souvent des surprises
L’élection présidentielle du 3 novembre prochain ne sera qu’un moment électoral. Le même jour se tiendront des élections sénatoriales (35 sièges à renouveler), les élections à la Chambre des représentants (mandat de deux ans) et une kyrielle de référendums locaux, en fonction des États. Si Donald Trump est réélu mais qu’il perd sa majorité au Sénat (actuellement 53 sièges sur 100) il sera un président limité qui ne pourra pas faire passer les lois qu’il souhaite. À l’inverse, si Joe Biden est élu, mais que les Républicains conservent leur majorité au Sénat, le nouveau président n’aura pas les coudés franches.
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Les élections sénatoriales de 2018 ont été favorables à Trump, qui s’est personnellement impliqué dans la campagne, son camp passant de 51 à 53 sièges, en prenant notamment quatre sièges aux démocrates, y compris dans des États plutôt démocrates qui avaient voté pour lui en 2016 au lieu d’Hillary Clinton. Or il est rare qu’un président en exercice gagne les élections intermédiaires. Bill Clinton et Barack Obama avaient ainsi perdu les leurs, ce qui ne les empêcha pas de gagner un second mandat. La victoire de Trump aux sénatoriales de 2018 fut un grand coup que peu de président ont réussi, alors même que tous les commentateurs lui prédisaient une déroute. Cela devrait inciter à la prudence quant aux résultats annoncés de novembre prochain. On voit mal pourquoi des électeurs démocrates qui ont voté pour Trump en 2016 et en 2018 se détourneraient de lui en 2020. Toutefois, les républicains ont perdu la Chambre des représentants lors des élections de 2018. Celle-ci étant renouvelée en 2020 ils peuvent espérer la regagner. Il peut néanmoins y avoir des surprises. Ainsi en 2012, Barack Obama fut-il réélu pour un second mandat, mais il ne gagna pas la Chambre des représentants (234 sièges pour les républicains, 201 pour les démocrates). On le voit, l’automaticité du vote n’est pas acquise.
Système fédéral, pays judiciarisé
Les États-Unis demeurent une confédération d’États où chacun peut intervenir dans des domaines larges, comme le port d’arme, l’éducation, la fiscalité, etc. C’est par ailleurs l’un des enjeux de cette élection présidentielle qui tourne autour de deux conceptions de la structuration des États-Unis et de l’interprétation de la constitution. Alors qu’une partie importante des conservateurs souhaitent maintenir et approfondir le fédéralisme dans une interprétation historique de la constitution, le mouvement démocrate est davantage sur une ligne centralisatrice qui retire du pouvoir aux États fédéraux et dans une interprétation actualisée de la constitution américaine, notamment concernant le port d’armes, la liberté d’expression et la liberté religieuse. Ces débats-là nous échappent complètement en France parce que nous n’avons pas la mentalité juridique des Américains et que nous sommes habitués non seulement à un État centralisé, mais surtout à un État interventionniste dans de nombreux secteurs de la vie.
Si Donald Trump n’est pas intervenu au début de l’épidémie de coronavirus c’est parce qu’il considérait que la gestion de la crise sanitaire n’était pas de son ressort, mais de celui des États fédéraux.
Si Donald Trump n’est pas intervenu au début de l’épidémie de coronavirus, c’est certes parce qu’il y a eu une période de flottement, mais c’est aussi parce qu’il considérait que la gestion de la crise sanitaire n’était pas de son ressort, mais de celui des États fédéraux. Cette controverse n’est pas uniquement technique, elle touche à l’essence même des États-Unis et à la vision que les Américains ont de leur pays et de l’interprétation de la constitution. D’où l’enjeu de la nomination du prochain juge de la Cour suprême.
Cour suprême : le retour fédéraliste
La mort de Ruth Bader Ginsburg, atteinte d’un cancer du pancréas depuis de nombreuses années, était prévisible, ce qui a permis au camp républicain de préparer sa succession en réalisant une liste de candidats potentiels. L’enjeu pour Trump et les républicains n’est pas tant de nommer un juge conservateur qui remplacerait un juge progressiste que de nommer une personne qui a une vision fédéraliste et historique de la constitution à la place d’un juge qui en avait une vision centralisatrice et moderniste. La question se pose notamment pour l’avortement : est-ce que la loi l’autorisant doit s’appliquer sur l’ensemble du territoire américain ou bien est-ce une loi qui doit être discutée en fonction des États ? La logique, depuis Roosevelt et son New deal jusqu’aux démocrates des années 1960-1970 était à la centralisation des lois. Le camp républicain, symbolisé notamment par Trump, revient à une logique fédéraliste. Ce débat est sérieux, important et essentiel, car il porte sur la vision que se font les Américains de leur pays. Un débat qui certes échappe à la France et au traitement immédiat de l’actualité, mais qui n’a pas fini de secouer les États-Unis et cela quel que soit le vainqueur de la présidentielle de novembre prochain.
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