Parce qu’il est tout amour, Jésus est vulnérable à nos constantes ingratitudes, et c’est toute l’année que les chrétiens sont appelés à réparer les blessures qui sont infligées à son Cœur en répandant sa spiritualité.Loin d’être une dévotion datée et dépassée, la spiritualité du Cœur de Jésus est plus que jamais d’actualité. Ayant connu son apogée en France au XIXe siècle, son ancrage dans l’Église a pu paraître lié aux circonstances historiques du renouveau catholique qui suivit la tourmente révolutionnaire. Cette spiritualité va bien au-delà toutefois d’un impératif de réparation consécutif à l’apostasie de la fin du siècle des Lumières. Afin de restituer toute sa profondeur à cette dévotion, et ne pas la référer uniquement au mouvement de restauration postérieur aux excès de la Révolution, il convient de la replacer dans la théologie du Verbe incarné. L’Écriture, et plus particulièrement les récits de sa vie, nous apprennent que Jésus fut victime d’un rejet de la part des siens. Or, ce que les évangiles nous racontent sous le mode historique n’est pas devenu caduc depuis la Résurrection. Dans les profondeurs de la vérité évangélique, il existe un mystère constant du rejet du Christ.
“Cette spiritualité va bien au-delà toutefois d’un impératif de réparation consécutif à l’apostasie de la fin du siècle des Lumières.”
À cet abandon est liée la souffrance du fils de Marie. C’est ici que vient se greffer la dévotion du Cœur du Christ. Celle-ci nous permet en effet d’approcher le mystère théologique de sa souffrance, non pour satisfaire une vaine curiosité, ou par dolorisme malsain, mais afin de nourrir notre spiritualité et notre affection pour Jésus. Par-là, cette dévotion rejoindra nos préoccupations actuelles concernant l’apostasie de grande ampleur qui a cours en Occident.
Une lettre de sainte Marguerite-Marie
Le mystère de la souffrance continuelle de Jésus, depuis le premier instant de l’Incarnation, est étayé par une lettre de sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), la voyante qui contribua depuis Paray-le-Monial à répandre le culte du Sacré-Cœur dans l’Église. Citons un extrait de ce texte décisif :
« Dieu désire qu’en nous sanctifiant nous le glorifions, ce Cœur tout amour, lequel a plus souffert que tout le reste de la sainte Humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car dès le moment de l’Incarnation, ce Cœur sacré a été changé en une mer d’amertume, souffrant dès ce premier instant jusques à son dernier soupir sur la croix. Tout ce que cette sainte Humanité a souffert intérieurement dans le cruel supplice de la Croix, ce divin Cœur l’a ressenti continuellement, et c’est pour cela que Dieu veut qu’il soit honoré par un hommage particulier, afin que les hommes lui fassent goûter autant de joie et de plaisir par leur amour et hommage, qu’ils lui ont fait sentir d’amertume et d’angoisse par leurs peines » (3e Lettre à Croizet).
Ainsi, la Croix était déjà plantée dans le Cœur de Jésus dès le premier jour de son existence dans le sein de Marie ! Pourquoi ? Notons d’abord que c’est le « divin Cœur » qui a ressenti continuellement ce que la « sainte Humanité » n’a souffert intérieurement que durant les heures de la Passions. Par le « divin Cœur », on peut entendre soit l’Amour incréé de la seconde Personne de la Trinité, soit l’amour humain de Jésus en tant qu’il fonctionnait en « mode divin », c’est-à-dire en tant cet amour était d’une nature conforme à une âme qui avait été assumée par le Fils éternel. Par ce divin Cœur, Jésus possédait des connaissances venant d’en haut parce qu’il voyait Dieu dans la partie haute de son âme. Mais pourquoi cet amour divin a-t-il souffert du début à la fin de l’existence de Jésus ?
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L’Amour vulnérable de Jésus
C’est que ce divin Cœur a continuellement ressenti l’écart qui existait entre ce qu’il venait apporter aux hommes, à savoir l’Amour de la Trinité, et l’ingratitude, l’égoïsme et le repli sur soi des bénéficiaires d’un tel don ! Ce Cœur a été rendu vulnérable aux douleurs provenant des hommes à cause de son amour pour eux ! C’est ainsi que son existence a été une passion continuelle. Dans la fine pointe de son âme (le « Cœur divin »), où il jouissait de la vision et de la joie de Dieu, le Christ constatait la distance abyssale entre l’Amour trinitaire et notre déchéance morale, notre ingratitude et notre obstination à ne poursuivre que nos intérêts, au mépris des autres et de Dieu. Sur la Croix, ces souffrances atteindront leur apogée. Mais dans son intériorité, là où il conversait avec son Père dans l’Esprit, le Fils éternel souffrit de ce refus durant toute sa vie.
Le mystère de la trahison
Il en va de même pour la trahison de Judas. Celle-ci n’est pas un malheur contingent, un accident de parcours regrettable, mais un mystère qui a été rapporté dans les évangiles pour notre instruction et notre édification. À la fin du chapitre six de son évangile, saint Jean écrit que « Jésus connaissait depuis le commencement celui qui le livrerait » (Jn 6, 64). Dans cette prescience, ne voyons pas une prédestination de Judas à la traîtrise, mais plutôt la mention d’une souffrance supplémentaire dans le Cœur de Jésus. Car Judas représente dans le récit évangélique tous les élus qui ont trahi leur élection, qui ont été infidèles à la faveur dont ils étaient l’objet de la part de Dieu. Ce mystère d’ingratitude est au cœur de la spiritualité du Cœur de Jésus, et de la souffrance du Messie.
“Depuis trois siècles, la pointe spécifique de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, c’est le désir de rendre amour pour amour à l’amour rédempteur bafoué et méprisé (…)”
« Depuis trois siècles, la pointe spécifique de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, c’est le désir de rendre amour pour amour à l’amour rédempteur bafoué et méprisé par ceux-là mêmes qui auraient dû davantage l’aimer. Car le drame secret de ce Cœur, saint Jean l’affirme, c’est la trahison de l’ami (Ps 40,10 ; 54, 14-15) dont Jésus porta la blessure toute sa vie depuis le commencement » (E. Glotin, « Le signe de la nouvelle évangélisation : le Cœur de Jésus », Feu et Lumière, juin 1989). Dès le commencement de sa vie publique (certains théologiens interprètent le texte en traduisant « depuis le commencement du monde »), la science divine, que le Verbe éternel infusait dans le cœur humain de Jésus, avait averti ce dernier de la trahison de Judas. C’est donc bien dans la partie « divine » de ce Cœur que la souffrance fut la plus vive durant son existence terrestre.
Et aujourd’hui ?
Nous avons souligné au début de cet article que la spiritualité du Sacré-Cœur de Jésus était plus actuelle que jamais. On comprend maintenant pourquoi. Les pays envers lesquels le Christ a manifesté ses plus grands bienfaits (même s’il n’en a exclu aucun), sont ceux-là mêmes qui se sont détournés de lui avec le plus de détermination ! Comment une telle ingratitude ne pourrait-elle pas rejaillir sur son Cœur et ne pas le faire souffrir au Ciel ? Car Jésus n’est pas devenu une divinité d’ivoire, impassible, depuis qu’il est retourné chez son Père. Les plaintes qu’il adressa à Marguerite-Marie à Paray-le-Monial, au XVIIe siècle, attestent que sa douleur est toujours vive au Ciel. Et notre actualité n’est pas faite pour l’atténuer ! « Il aime, et n’est point aimé » disait déjà au XVIIe siècle saint Claude La Colombière, le confident de Marguerite-Marie. Aux chrétiens de redoubler de charité envers lui afin de consoler ce Cœur et lui gagner les âmes qui se sont détournées de lui. Non, la spiritualité du Sacré-Cœur n’est pas passée de mode !
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