Après près de deux mois de confinement lié à l’épidémie de covid-19, le déconfinement progressif amorcé le 11 mai prochain n’est pas synonyme de reprise pour l’économie française. Si de nombreux commerces s’apprêtent à rouvrir, les entrepreneurs et chefs d’entreprise vont faire face à de nouveaux défis. “Les dirigeants ont une certaine habitude de l’incertitude”, reconnaît volontiers Philippe Royer, président des Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens (EDC). “Les dirigeants chrétiens ont aussi une habitude de l’espérance qui, quand leur l’environnement est secoué, leur permet de garder une paix intérieure”. Entretien.La France n’a pas connu un tel coup d’arrêt économique depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. La pandémie de covid-19 a fait plonger l’économie française à plusieurs niveaux : chute du PIB français de 5,8% au premier trimestre (sa plus forte baisse depuis 1949), 246.100 chômeurs supplémentaires en mars (+7,1% en un mois), baisse de 17,9 % des dépenses de consommation en biens des ménages en un mois, un déficit public qui pourrait atteindre 9% en 2020… Et si le déconfinement annoncé à partir du 11 mai doit permettre à de nombreux commerces de rouvrir, les conséquences de la pandémie sur l’économie sont d’ores et déjà désastreuses.
Reconnaissant volontiers les – très – nombreux défis qui attendent les chefs d’entreprise, Philippe Royer, président du mouvement des Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens (EDC), rappelle l’importance de la paix intérieure et des ancrages que doivent garder les dirigeants en dépit de l’incertitude.
Aleteia : Quelles ont été les principales difficultés auxquelles ont été confrontés les chefs d’entreprise depuis le début du confinement ?
Philippe Royer : La première difficulté a été la déclaration du président de la République qui a parlé d’état de guerre en évoquant la pandémie de covid-19. Comment demander à ses salariés de travailler quand on est en guerre ? Et puis dans les jours et semaines qui ont suivi, il y a eu un double discours officiel très difficile à gérer : d’un côté le gouvernement a invité chacun à rester chez soi mais, de l’autre, il n’a cessé d’alerter sur la crise économique qui allait apparaître. Il y a des secteurs d’activité pour lesquels il était impossible de maintenir une activité : l’hôtellerie, la restauration… Mais pour ceux qui pouvaient continuer, la difficulté a été de mettre en place des mesures de prévention afin d’assurer la protection du salarié mais aussi la pérennité économique de l’entreprise. Les entrepreneurs et dirigeants ont bien évidemment rapidement mesuré que le chômage partiel et les aides pour la garde d’enfants ne suffiraient pas à couvrir l’impact économique pour les entreprises. Et ces difficultés n’ont pas été facilitées par le discours ‘protecteur’ du gouvernement.
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Vous évoquez la protection des salariés… Les mesures sanitaires ont-elles été faciles à prendre ?
L’approvisionnement en gel hydroalcoolique et en produits de désinfection a été relativement facile à mettre en place. Ce qui a été plus compliqué, mais c’est le cas pour toute la France et surtout pour les soignants, c’est l’approvisionnement en masques. Nous avons heureusement vu progressivement des entreprises françaises se redéployer sur la fabrication de masques ce qui a débloqué de nombreuses situations ! Ces masques ont permis à beaucoup d’entreprises de relancer, quand c’était possible, un début d’activité.
Comment les dirigeants et chefs d’entreprise envisagent-ils le déconfinement ?
Les dirigeants ont l’habitude d’anticiper. Tous ceux qui ont pu remettre en route leur activité ont commencé à le faire il y a quinze jours ou un mois en prévision du déconfinement. C’est pour ceux dont ce réamorçage n’a pas été possible que le déconfinement va être très dur : je pense notamment à ceux qui sont interdépendants avec leurs fournisseurs, qui ont besoin de stocks précis ou qui sont contraints par des fermetures administratives. La reprise le plus tôt possible est aussi le mieux pour les salariés car elle permet de tester les nouvelles protections et redonne de la confiance. Encore une fois, le discours guerrier du gouvernement visait à mettre en garde à juste titre mais il a aussi créé un sentiment de peur qu’on retrouve au moment de reprendre le travail. Pour résumé, je dirais qu’i y a un double enjeu de logistique et de confiance. Il faut bien avoir en tête que le covid-19 a provoqué un tsunami sanitaire mais aussi économique et il va y avoir des adaptations conjoncturelles et structurelles.
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Les prochains mois sont donc marqués par le sceau de l’incertitude ?
Oui, mais heureusement les dirigeants côtoient régulièrement l’incertitude. Pour les dirigeants chrétiens cette habitude de l’incertitude se double d’une habitude de l’espérance qui permet de conserver une certaine paix intérieure. Même quand l’environnement extérieur est mouvant cela lui permet de conserver de solides ancrages intérieurs et de reconstruire sur le roc. Cette paix, cette lucidité lui permettra de prendre des mesures d’ajustement à court terme voire des inflexions à long terme. Cela peut être le développement du télétravail, le changement dans la manière dont l’entreprise rendait tel service etc.
“On parle beaucoup de “l’après covid-19” mais nous sommes encore, pour un bon moment, dans le “pendant”.”
Nous nous trouvons dans un cycle de mutation économique qui a débuté un peu avant la crise économique de 2008 et qui devrait se terminer vers 2030. Nous sommes donc aujourd’hui entré dans l’épicentre de ce cycle au cours duquel certaines choses vont s’effondrer mais d’autres vont naître. On parle beaucoup de “l’après covid-19” mais nous sommes encore, pour un bon moment, dans le “pendant”.
En tant que dirigeant, entrepreneur ou chef d’entreprise, comment faire de cette période d’incertitude un tremplin pour l’avenir ?
Il faut avoir en ligne de mire le service du bien commun. Si on a un champ de ruines ce sont les pauvres et les plus fragiles qui trinqueront. Aux entrepreneurs et dirigeants de tourner l’économie vers le bien commun et de concilier l’esprit d’entreprendre avec l’inclusion des plus fragiles et le respect de la planète.
C’est un bel objectif mais avant cela ils vont devoir faire des arbitrages parfois douloureux…
Oui, certains vont devoir faire des plans sociaux pour préserver l’activité de leur entreprise. Mais si vous avez 100 salariés et que vous ne pouvez en payer que 80 ne vaut-il pas mieux licencier 20 personnes que de n’en licencier aucune et de mettre la clef sous la porte quelques semaines plus tard ? Chaque dirigeant doit avoir à cœur de privilégier l’emploi. Mais il est aussi soumis à un principe de réalité. Il y a un devoir d’adaptation et ne pas l’assumer c’est risquer l’ensemble des emplois.
“Un chrétien, quel que soit le stade de l’histoire, est amené à être co-créateur de la suite tout en vivant dans le présent.”
Comment faire le bon choix ?
En gardant l’espérance et en ne restant jamais seul. Parfois, quand on est au cœur de l’écosystème, pris par le stress et l’anxiété, on ne voit plus les pistes possibles. Il apparaît donc important d’être entouré et de pouvoir partager ses difficultés. C’est ce que nous faisons au sein des équipe EDC. Quand on est chrétien, la prière est d’une grande aide. Il faut croire en sa force. Et puis, il faut bien garder en tête qu’un chrétien, quel que soit le stade de l’histoire, est amené à être co-créateur de la suite tout en vivant dans le présent. Il faut vivre le présent dans la confiance de l’avenir et dans la confiance qu’on n’est pas seul.