Insensiblement, le confinement nous prive du sens de l’espace et du temps. Seule la liturgie nous rappelle que nous ne sommes pas seuls et que nous allons vers Quelqu’un.
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Les Français enfermés depuis trois semaines dans moins de quinze mètres carrés — il sont nombreux dans ce cas, et pas seulement des étudiants — sont entrés dans l’ère de la claustrophobie. Ils étouffent de plus en plus mais ils osent de moins en moins sortir. Ils se sentent happés dans une régression intra-utérine. La police, les gendarmes le confirment : chaque jour qui passe voit les consignes de confinement mieux respectées. Nul ne sort plus de chez lui. L’hibernation a commencé à contresaison, avec le printemps. On ne sait quand elle finira.
Plus de de temps ni d’espace
La frontière entre le travail et le loisir est devenue poreuse avec le télétravail, et poreuse aussi la frontière entre la nuit et le jour, au faux rythme des journaux télévisés sans horaire des chaînes d’information en continu, et morte la frontière entre la vérité et l’erreur, avec les rumeurs qui prospèrent. Le confinement n’a pas créé des frontières : il a au contraire tout mélangé, tout confondu, mais entre quatre murs et sous un implacable plafond. Les balises du temps ont sombré avec les trajets quotidiens. Comme dirait Marcel Proust, il n’y a plus de dimanche.
Plus de temps, et aussi plus d’espace. Chacun se sent devenir de plus en plus petit dans un monde qui ne cesse de grandir à mesure que le confinement se fait mode de vie. L’autonomie spatiale qui subsiste pour un citoyen ordinaire est limitée à un kilomètre. L’essentiel de la vie humaine, à en croire les textes réglementaires, consiste à se procurer de la nourriture. Tout le reste, même visiter un malade, même enterrer un mort, même se rendre au culte divin, est superflu. Superflu, donc interdit.
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En crise sanitaire, l’humanité est réduite à un troupeau de corps apeurés conduits par l’instinct de survie. Un voyage de Châteauroux à Bourges est devenu une aventure illégale. Partir vers un autre continent est de nouveau le rêve inaccessible qu’il fut pendant des millénaires. Le village planétaire, réuni par un même conditionnement face au même virus, abreuvé des mêmes mots et des mêmes images, affublé des mêmes masques made in China (quand il y en a) a retrouvé l’échelle immense qu’il avait pour nos ancêtres du néolithique : il est trop vaste pour être arpenté par voyageur en une vie.
Seule la liturgie
Un honnête homme de Lyon du XVIIe siècle, pourvu d’un bon cheval et d’une bourse de cinq cent sols, pouvait sereinement organiser un voyage de loisir à Rome. Un riche Lyonnais d’avril 2020 ne songe même pas à rejoindre Turin. Son expédition la plus aventureuse le conduira jusqu’au Carrefour City de son quartier, rayons légumes. Il ne parlera pas à la caissière. Trop risqué.
Dans la rue, la distanciation sociale ne cesse de grandir. Il y a trois semaines on se tenait à un mètre les uns des autres. À deux mètres il y a quinze jours. Trois mètres est devenu la norme. Et surtout, on ne se dit plus rien, comme si le virus se transmettait aussi par les mots.
Il devient urgent de se parler, de retrouver la discipline du temps et de rouvrir le livre des heures. La liturgie seule peut donner du sens au temps qui passe, car elle seule nous rappelle que même enfermés, même immobiles, privés surtout des divertissements du monde, nous allons vers Quelqu’un. Les confinés doivent se faire cénobites.
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