Le jubilé des 1.600 ans de la naissance de sainte Geneviève vient de commencer. Il se déroulera entre les deux pôles que constituent la cathédrale de Nanterre, le lieu de sa naissance, et l’église Saint-Étienne du Mont sur la Montagne Sainte-Geneviève, le lieu de sa sépulture. Les nombreuses paroisses et écoles de la région parisienne, et d’ailleurs, qui portent son nom auront sûrement à cœur de jubiler, sans oublier Arcis-sur-Aube, où sainte Geneviève alla chercher le blé qui permit aux Parisiens de survivre en un temps de siège et de famine.
On souligne souvent à bon droit la modernité de cette femme du Ve siècle, parfois qualifiée de premier maire de Paris, capable d’entrer en relation avec les grands de son époque, d’organiser le ravitaillement de toute une population et de réveiller son courage, de contribuer notablement au chemin de conversion du roi Clovis lui-même. Si le pape Jean XXIII l’a proclamée sainte patronne des gendarmes en 1962, c’est parce qu’il a perçu que cette femme d’autorité et de paix incarnait de façon particulièrement suggestive les qualités dont les forces de l’ordre doivent faire preuve : l’actualité trop souvent tendue ne cesse de nous le rappeler.
Mère des consacrés
Comme évêque de Nanterre, et gardien par ma cathédrale de la maison natale de sainte Geneviève, je suis particulièrement sensible à trois aspects de sa vie, singulièrement significatifs pour aujourd’hui. Geneviève était une femme consacrée. L’ordre des vierges consacrées, remis en valeur depuis le concile Vatican II, la considère comme sa véritable fondatrice. C’est dans l’intensité de son enracinement spirituel, dans la profondeur de sa consécration, que sainte Geneviève a puisé sa lucidité et son courage temporels. Son exemple manifeste qu’aujourd’hui encore, la capacité de service et d’influence des chrétiens, dans le monde bouleversé qui est le nôtre, est proportionnelle à leur engagement spirituel, à leur relation intime avec le Seigneur. Sainte Geneviève met également en lumière la place indispensable de la vie consacrée dans l’Église. Sainte patronne des gendarmes certes, elle est aussi en quelque sorte la mère des vocations sacerdotales et religieuses.
Vénérée par les chrétiens d’Orient
Nos frères et sœurs orthodoxes ont une grande vénération pour sainte Geneviève. Ils sont nombreux à se rendre en pèlerinage dans les lieux où l’on vénère sa mémoire. Le séminaire orthodoxe russe d’Épinay-sous-Sénart est placé sous son patronage. Bientôt, une icône offerte par ce séminaire, avec qui les séminaristes d’Issy-les-Moulineaux ont enregistré l’an dernier un très bel album de chants sacrés, reposera à la cathédrale de Nanterre. Cette dimension œcuménique de la figure de sainte Geneviève est liée à l’époque où elle a vécu, le temps béni de l’Église indivise, mais également à ses relations étonnantes et fraternelles avec le moine syrien Syméon le Stylite, son aîné de quelques années seulement, dont on dit qu’il demandait régulièrement de ses nouvelles aux marchands venus d’Occident. Mère des consacrés, sainte Geneviève est aussi une inspiratrice pour le dialogue œcuménique, en particulier avec les Églises d’Orient, plus indispensable aujourd’hui que jamais pour relancer la ferveur et le dynamisme missionnaire de l’ensemble des chrétiens.
Une vie centrée sur le Christ
Sainte Geneviève est née en 420, c’est-à-dire onze ans avant le concile d’Éphèse (431) qui a contemplé et proclamé le Christ dans l’unité de sa divinité et de son humanité. Son pèlerinage terrestre s’est achevé vers 500, c’est-à-dire une cinquantaine d’années après le concile de Chalcédoine (451) où, grâce au grand pape saint Léon, l’Église a trouvé les mots pour affirmer l’unité et la distinction des Personnes divines comme de l’humanité et de la divinité du Christ. Cette coïncidence chronologique entre les grands conciles christologiques et la vie de sainte Geneviève manifeste la corrélation étroite entre vérité de la foi et fécondité de la charité. Il arrive qu’aujourd’hui, certains, même parmi les catholiques, dissertent sur le fonctionnement de l’Église, sans référence ou attention suffisante au Christ lui-même sans qui pourtant elle n’est rien. Ce qui est à jamais premier et dernier dans la vie de l’Église, ce qui est le seul contenu véritable de sa mission, ce qui est le secret de sa joie, sainte Geneviève ne cesse de nous le rappeler, c’est le Christ, vrai Dieu et vrai homme, Seigneur et Sauveur.
Par sa consécration, par la portée œcuménique de son existence, par son enracinement dans le Christ, sainte Geneviève est une femme providentielle, un don de Dieu particulièrement ajusté aux enjeux spirituels et missionnaires de notre temps. On disserte souvent, à propos de la politique, sur l’attente légitime ou non d’un homme ou d’une femme providentiels. S’il s’agit d’espérer un sauveur capable de résoudre tous nos problèmes du jour ou lendemain, on a raison de se défier d’une telle expectative en fait idolâtrique : le Christ seul est le Sauveur dont nous pouvons tout attendre et recevoir. Mais s’il s’agit de souhaiter que des hommes et de femmes variées, inspirées par le Seigneur, soient capables de répondre avec modestie et avec force aux défis contemporains, on n’a pas tort de les espérer de la Providence. Sainte Geneviève est bel et bien une femme providentielle, par ce qu’elle continue de nous dire par sa vie, et par l’invitation qu’elle nous adresse à accueillir et devenir des hommes et des femmes providentielles en notre temps, afin qu’y rayonne davantage l’insurpassable lumière du Christ.