Peut-on bâtir le progrès écologique et social sur le mythe de la toute-puissance de la technique ? Telle est la question posée par les projets de « villes intelligentes », dont la surabondance technologique prétend résoudre tous les problèmes.Les smart cities, villes intelligentes en anglais, sont le nec plus ultra de l’urbanisme. Les apôtres de l’innovation et du progrès nous chantent tous les louanges de ces villes connectées où la plupart des objets sont « intelligents » avec des connexions à internet qui permettent de suivre leur activité, état, consommation, rejets polluants et autres choses, en direct, sur son smartphone ou au quartier général de la ville. La smart city est en effet à la ville ce que le smartphone est au téléphone. Performante, omnipotente, bienveillante, connaissant tout, surveillant tout… Pour notre bien évidemment !
De nombreux projets
La France n’est pas en reste, la notion de smart city est utilisée pour évoquer différents projets. C’est le cas notamment de la ville d’Angers qui envisage d’investir 178 millions d’euros dans un vaste projet de smart city à objectif écologique. Le but ? Devenir une ville « zéro carbone » en suivant toutes les consommations énergétiques, en contrôlant les déchets par des poubelles connectées et en utilisant toutes sortes de techniques pour faire chuter la note d’électricité. Le projet d’Angers se rapproche de nombreux projets de smart cities vertes, comme par exemple celui de Google à Toronto : les autres smart cities ne sont jamais bien éloignées des objectifs écologiques.
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À première vue, l’idée de bâtir une cité écologique à l’aide des nouvelles technologies peut être séduisante. Nous connaissons une crise écologique de grande ampleur : pollution de l’air, de l’eau, des sols, des corps humains, du vivant, sonore, lumineuse, etc. Il est légitime de mettre à contribution toutes les techniques actuelles et futures pour contrer cette crise. Mais la green smart city est peut-être une fausse bonne idée si on la regarde de plus près.
Obsolescence programmée
La smart city repose intégralement sur les objets connectés, autrement dit des appareils électroniques incorporés à des objets de la vie courante : poubelles, appareils électroménagers, équipement urbain comme les lampadaires, etc. Cet appareillage électronique est très sophistiqué, et il est construit à partir de métaux, de minerais bien particuliers comme par exemple le coltan. Construire un système de smart city implique un nombre colossal d’appareils, donc une utilisation abondante de ces minerais. Si on ajoute que ces dispositifs sont fragiles et ont une durée de vie limitée à quelques années et si on tient compte de l’obsolescence de ces produits, très vites dépassés, la quantité de minerai exploité prend alors des proportions gigantesques… Et que dire si ce modèle de smart city est généralisé à toutes les villes des pays développés ? Autrement dit, ce modèle urbain pourra difficilement être généralisé et il est difficile de l’imaginer durer plusieurs décennies. Comme nos smartphones, la smart city est condamnée à l’obsolescence, programmée ou pas, et vivre dans une smart city est extrêmement coûteux puisque tout cet équipement, onéreux à la base, doit être changé régulièrement. La bonne vieille benne du préfet Poubelle pouvait durer une vie humaine alors que la smart-poubelle du futur risque bien de ne pas dépasser le quinquennat…
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Des technologies peu sociales
Une ville coûteuse, mais aussi une ville pas forcément très écologique, ni très sociale. Cette technologie repose sur des minerais qui ne sont pas exploités de manière très écologique ni socialement mieux-disante dans des pays pauvres. L’extraction est très polluante et les mineurs travaillent dans des conditions inacceptables. Et ce colossal marché crée des convoitises et des conflits. Le coltan par exemple, est à l’origine d’un trafic qui a engendré la guerre du Kivu où se trouve les plus grands gisements de ce minerai. Le conflit du Kivu a fait six millions de morts… Cependant, pas de raccourci : les nouvelles technologies ne font pas automatiquement des morts, la réalité est beaucoup plus complexe. Mais il est tout de même triste de constater que ces appareils reposent sur une ressource qui n’apportent guère de richesses, et même des malheurs, à leurs pays d’extraction.
Le minerai servant à fabriquer ces engins n’est pas le seul en cause. La fabrication elle-même des appareils est contestable : ils sont assemblés à faible coût dans des usines chinoises par des ouvriers mal payés, travaillant dans des conditions qu’aucun travailleur français n’accepterait.
Un paradigme technocratique
La question qui se pose est en réalité celle-ci : peut-on bâtir le progrès écologique, technique et social sur l’exploitation de l’homme par l’homme ? Nous ne le voyons pas car nous sommes loin, mais si on voyait l’état des mines de Coltan du Kivu et des usines d’électronique chinoises nous réagirions fortement.
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Mais surtout, les green smart cities sont révélatrices d’une mentalité, exactement d’un « paradigme », le paradigme technocratique dont parle le pape François dans Laudato Si’. Que veut ce paradigme ? Son principe est que pour un problème rencontré, il y a nécessairement une réponse technique. Tout problème issu de la technique appelle une solution encore plus technique. Dans ce paradigme, l’homme moderne et riche est tout puissant. L’individu n’a en réalité guère de responsabilité morale, puisque la technique résoudra tous ses problèmes ! Le summum du paradigme est le transhumanisme où l’homme prétend résoudre la question de la mort par la technique !
Les green smart cities suivent exactement ce raisonnement : l’écologie s’obtiendra par la technique, pas nécessairement par le changement de nos modes de vie, par la sobriété, par la réduction de notre utilisation de l’avion, du paquebot… La technique réglera tout. Consommons comme avant puisque ce sont les appareils eux-mêmes qui se chargeront de moins consommer ! Sauf que la réalité n’est pas si simple car le fait de savoir qu’un produit consomme moins… peut nous pousser à y avoir davantage recours !
La technique ne peut pas tout
La technique ne peut pas tout et la crise écologique, due à une consommation exagérée ainsi que des comportements déraisonnables, ne se réglera pas seulement par le progrès technique. Elle appelle d’autres options : consommer moins, manger des produits bios et surtout locaux, conserver longtemps ses vêtements, favoriser les circuits les plus courts possibles pour toute l’économie, repenser ses vacances en allant moins loin, bref retrouver un bon sens qui était pourtant la norme dans la société de nos grands-parents. Nos aïeux conservaient tout, ils réutilisaient tout, ils réparaient tout et ne jetaient quasiment rien. Il ne s’agit pas de faire de la nostalgie, ni de passéisme de mauvais aloi, mais nos aïeux avaient une sobriété qui, avec le recul, s’avère être une vraie sagesse. La conversion écologique, que le pape François oppose au paradigme technocratique, est peut-être un retour à ce bon sens des anciens que notre monde a perdu. Et ce mode de vie simple et sain est beaucoup plus durable que la smart city : il n’est pas menacé d’obsolescence programmée !
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Bien entendu, il ne s’agit pas d’abandonner toute technique et de vivre comme les amishs. La technique permet de sauver des vies, de gagner en temps, confort et hygiène, il faut le lui reconnaître et l’encourager pour les missions où elle est indispensable. Mais il faut avoir un rapport prudentiel avec elle. N’attendons pas trop de la technique. Prenons-nous plutôt en main pour avoir un mode de vie sobre et sain. Bref, remettre la technique à sa juste place et être capable de ne pas céder à ses sirènes pour permettre la mise en place d’un mode de vie soutenable pour tous.