La réforme des retraites, telle qu’elle est proposée dans le rapport Delevoye censé inspirer le futur projet de loi, comporte deux avancées significatives pour les familles mais également de graves sujets d’inquiétude. Des menaces pèsent en particulier sur les mères et les familles nombreuses.Beaucoup de Français l’ont compris : l’allongement de la durée de vie et l’impérieuse nécessité de ne pas laisser à nos enfants un régime de retraite non finançable sur la durée imposent de réformer le système de retraites. Pour que la réforme soit acceptable par le plus grand nombre, il est impératif qu’elle soit juste. En cela, le système de retraite par points envisagé peut paraître pertinent puisqu’il permet d’attribuer à chacun, salarié ou non, un nombre de points proportionnel aux revenus qu’il reçoit, ses points étant transformés à l’heure de la retraite en pension versée avec les mêmes règles pour tous. Mais il y a des failles dans le principe.
Deux progrès pour les familles
Concernant les familles, deux avancées significatives sont inscrites dans le rapport Delevoye. La première avancée, très forte, concerne les pensions de réversion. Le rapport préconise, pour les couples mariés, de verser au conjoint survivant un complément de retraite lui permettant de toucher 70% du montant de la retraite totale qu’il recevait avant le décès de son conjoint. C’est beaucoup plus que ce que prévoient aujourd’hui les différents régimes et c’est particulièrement protecteur pour les mères — et tout particulièrement pour celles qui, ayant eu de nombreux enfants — ont connu une carrière discontinue.
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La seconde avancée concerne les périodes de congé maternité et de congé parental qui donneront droit à des points de retraite alors que jusqu’à présent, ces périodes étaient validées pour la retraite mais n’étaient pas cotisées, ce qui pénalisait les mères, et plus particulièrement les mères de famille nombreuse.
La limite du calcul des points pour les mères
Malheureusement, le projet de réforme comporte d’autres dispositions qui sont beaucoup plus inquiétantes pour les mères et les familles nombreuses. La retraite des femmes est actuellement inférieure de 40% à celle des hommes. Ceci est en grande partie dû à la maternité qui conduit un grand nombre de mères à prendre du temps pour leur enfant, à renoncer à une promotion, à prendre un temps partiel, un congé parental ou quelques années sabbatiques. Ceci est particulièrement vrai pour les mères qui ont plusieurs enfants. Or les enfants que les mères mettent au monde sont indispensables à l’équilibre de tout système de retraites. Il serait particulièrement injuste que la réforme des retraites accroisse de quelque façon que ce soit l’écart de niveau de retraites au détriment des mères. Le système de points, tel que le propose le rapport Delevoye, prend en compte chaque euro gagné au cours de l’ensemble de la carrière pour accumuler des points qui serviront de base à l’attribution d’une retraite. Actuellement, la retraite est calculée pour les salariées du privé sur les 25 meilleures années d’activité. Il y a cependant une décote assez sévère appliquée pour les salariés qui n’ont pas cotisé 42 ou 43 ans (selon l’année de naissance). Il faudrait faire quelques simulations mais il est possible que pour beaucoup de mères n’ayant pas des carrières complètes, l’attribution d’une retraite qui soit le strict reflet de leurs périodes d’activité soit défavorable par rapport au système actuel.
Une bonification inégale et injuste
Autre menace pour les mères, le rapport Delevoye propose de supprimer purement et simplement les huit trimestres (pour les salariés du privé) ou quatre trimestres (pour les fonctionnaires) dont bénéficient les mères lorsqu’elles mettent au monde un enfant. En « échange », le rapport préconise de bonifier de 5% la retraite de la mère pour chaque enfant mis au monde. Cette bonification peut éventuellement être transférée au père ou partagée avec lui. Cette proposition est absolument injuste à plusieurs titres.
Tout d’abord, un salarié qui a des revenus élevés contribue de façon élevée à l’éducation de la future génération qui financera plus tard sa retraite : ses impôts élevés financent des hôpitaux, des routes, des écoles, des universités, etc., toutes choses très utiles. Il n’est pas absurde qu’il reçoive un nombre de points de retraite élevé, proportionnel à son salaire.
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Ensuite, une mère qui met au monde un enfant le nourrit, l’habille, prend du temps pour lui et fait de son mieux pour en faire un citoyen aimant son pays qui pourra s’y insérer professionnellement et assurer à son tour sa part de cotisation pour les retraites. Mais l’engagement d’une mère envers son enfant n’est absolument pas proportionnel au salaire de la mère ! Il est totalement injuste de bonifier la retraite d’un parent en pourcentage, lésant gravement les mères ayant de petits salaires mais aussi celles qui ont des carrières incomplètes, le plus souvent parce qu’elles ont mis au monde de nombreux enfants. Il serait beaucoup plus juste, et ce sont des propositions qui seront faites au gouvernement, d’attribuer un nombre de points fixes pour chaque enfant né et élevé : cette attribution pourrait être envisagée sur la base de ce qu’obtiendrait un salarié rémunéré au salaire moyen et travaillant à plein temps pendant deux ans. Ces points devraient être attribués par défaut à la mère avec la possibilité — si c’est le choix de la famille — de les transférer au père ou de les partager avec lui.
Les familles modestes dans le viseur
Pour ce qui est des mères des familles nombreuses les plus modestes et celles qui prennent soin d’un enfant handicapé, le rapport Delevoye prévoit rien de moins que de supprimer purement et simplement le dispositif actuel d’Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). Ce dispositif, protecteur pour les familles nombreuses modestes et les familles ayant un enfant handicapé, permettait jusqu’à présent à l’un des parents, ayant interrompu son activité professionnelle pour prendre soin de ses enfants, de se constituer une petite retraite, comme si ce parent avait travaillé au SMIC et ce jusqu’aux 21 ans de l’aîné des enfants ou de l’enfant porteur de handicap. Seules les deux premières années de l’enfant — et encore uniquement si le parent bénéficie de l’allocation de congé parental — pourront désormais donner lieu à l’attribution de points pour la retraite.
Plus grave encore, le rapport Delevoye suggère de supprimer les 10% de bonification de retraite dont bénéficient aujourd’hui les deux parents lorsqu’un ménage a élevé au moins trois enfants. C’est une injustice flagrante à l’égard des familles nombreuses dont les enfants sont indispensables à l’équilibre du système de retraite. Les familles qui ont plusieurs enfants investissent une grande partie de leurs revenus dans l’entretien et l’éducation de leurs enfants. Elles ont, moins que les autres, la capacité d’épargner pour assurer leurs vieux jours. Il serait totalement injuste de les priver d’une bonification de retraite parfaitement légitime.
Enfin, la dernière menace concerne les conjoints divorcés. Le rapport Delevoye préconise en effet de ne verser aucune pension de réversion aux ex-conjoints d’un défunt. Certes, le rapport stipule qu’au moment du divorce, le juge pourra attribuer à chaque conjoint une partie des points acquis par son conjoint au cours du mariage. Mais lorsqu’on voit le peu d’enthousiasme des juges pour attribuer des « compensations » au conjoint qui a moins travaillé pendant la durée d’un mariage, on peut légitimement douter que les juges partagent les points équitablement entre les ex-conjoints.
La facture risque d’être lourde
Il ne s’agit fort heureusement encore que d’un rapport préalable et non d’un projet de loi mais on voit bien que la facture risque d’être très lourde pour les mères et pour les familles nombreuses. Espérons que la concertation sur la réforme des retraites se fera largement et en étant à l’écoute des familles et des mères. Et que le projet de loi final prendra en compte la contribution si importante des mères et des familles nombreuses au système des retraites à travers les enfants qu’elles élèvent.