Michel n’est pas un saint incarné, c’est un être céleste. Il ne relève pas du temps humain. S’il a un commencement, il n’a pas de fin ; son existence permanente n’est pas linéaire, mais ponctuelle ou sporadique, au gré de ses manifestations, ou apparitions. Michel est créature de Dieu, prestigieuse, chef de corps de la légion des anges, les anges du bien. On dit aussi Prince de la milice céleste. Flanqué de ses adjoints Gabriel et Raphaël.
Et c’est donc lui qui livre bataille au Dragon. Qui est le Dragon ? C’est l’Ennemi. Le Rebelle, qui dit : Non serviam, je ne servirai pas. L’Insoumis. Combat décisif : ou lui ou Dieu. Sur le front, en première ligne, Michel, avec casque, armure, épée. Coups terribles. Autre chose qu’Olivier et Roland dans La Légende des Siècles. Michel l’emporte. Le Dragon est précipité dans l’abîme. Et Michel y gagne ses galons de porte-étendard, signifer.
Quand cela se passe-t-il ? Aux origines ? L’Apocalypse, qui raconte le combat, permet cette lecture (Ap 12, 7-9). Elle ne la garantit pas. Elle-même est hors du temps. Sa nature est de révéler. Elle peut le faire par préfiguration, et mettre aux origines ce qui sera lutte finale. Jésus, dans ses prédictions apocalyptiques, puisque les Évangiles le font donner dans ce genre d’époque, concourt à cette lecture ambiguë : « Je regardais le Satan tomber du ciel comme un éclair ! » (Lc, 10, 18).
Pour nous la seule chose qui importe, c’est que Michel ait gagné. De provisoirement on passera à définitivement. Mais en attendant la victoire finale, Michel a la lourde tâche de s’occuper de nous. Laissons ses apparitions — et même notre Mont-Saint-Michel, trop à dire. L’immense victoire collective de la fin des temps — when the stars begin to fall, comme dit un beau spiritual — ne le dispense pas de veiller à la victoire anticipée de chaque âme venue en ce monde. Quel travail !
Il s’y emploie au moins de trois façons. Responsable des anges gardiens, il vient s’assurer que chacun fait bien son office. Il se promène parmi nous. Mais nous ne le voyons pas ! Jeanne d’Arc, elle, le voyait. Parlant des saints : « Ils viennent très souvent, et très souvent je les ai vus parmi les chrétiens… Je vis saint Michel et ses anges des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois... » Mon Dieu, donnez-nous le regard de Jeanne. Puis il s’active au moment de notre mort, comme en témoigne cet Offertoire de funérailles : « Seigneur Jésus-Christ, Roi de gloire, délivrez les âmes de tous les fidèles défunts des peines de l’enfer et du gouffre sans fond ; délivrez-les de la gueule du lion pour que l’abîme ne les engloutisse pas et qu’elles ne soient pas précipitées dans les ténèbres, mais que saint Michel, le porte-étendard, les introduise dans la sainte Lumière. » Dans ce rôle les savants disent qu’il est psychopompe, il accompagne les âmes, comme Hermès ou Mercure. Car il y a dans tout cela, sans la moindre irrévérence, une discrète part mythologique, dont il serait bien de parler un jour.
Et puis surtout il continue son combat contre le Malin ou le Mauvais, tant que ce monde reste dans le temps. Le pape Léon XIII avait composé une prière à saint Michel :
Les autres esprits mauvais… Ô saint Michel, nous pourrions vous en faire une belle liste. Voilà l’Archange et ses états d’incessants services. Et il en a d’autres. Il protège la France. Henri Pourrat l’appelle l’Ange de la Nation. Chaque nation a son ange : nous, c’est saint Michel. Tous les 29 septembre, il reprend sa tenue militaire à la tête (et à la fête) des parachutistes.
Nous, nous avons rendez-vous avec saint Michel au dernier jour. Cette fois Michel psychostase : le peseur d’âmes. Nous le voyons au tympan des cathédrales, Autun par exemple, balance à deux plateaux en main. La pesée d’une vie. Il est beau, il est sûr, il est souriant. Le plateau des bonnes actions descend : c’est le plus lourd. Agrippé à l’autre plateau, Satan grimace : il ne fait pas le poids. Comment laisser Michel ? Il faut plutôt lui demander de ne pas nous quitter. Faisons nôtre une antienne des IIes vêpres de sa fête : « Prince très glorieux, Archange Michel, souvenez-vous de nous ; ici et en tous lieux, priez toujours pour nous le Fils de Dieu, alleluia, alleluia. »