Avec ce 93e roman publié, la romancière de talent, parfois controversée, se met dans la peau du Christ durant les dernières heures de sa vie. « Soif » est selon elle l’un de ses romans les plus importants. Elle attendait en tout cas depuis longtemps d’en accoucher.
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Que d’encre a coulé sur la vie de Jésus, de romanciers en exégètes, de philosophes en théologiens, rien ni personne n’en fera assez le tour. Car c’est incontestable : Jésus reste le plus grand héros de tous les temps. Et voilà qu’un roman surgit à nouveau. Il n’est pas comme les autres. Il ne cherche pas à expliquer, mais à vivre en Jésus et à l’humaniser franchement, avec toute la délicatesse propre à l’écrivain belge. Pour cette raison, l’humour n’est jamais loin, la liberté de ton non plus. On suit le Christ depuis son procès jusqu’à sa mort et sa résurrection, dans une vision très personnelle propre à la fiction. Le petit livre, assez court pour un roman, est donc à lire avec la distance nécessaire par rapport à la vérité historique.
« Soif » est-il mystique et pourquoi ?
Dans « Soif », il ne faut pas s’attendre à une démonstration spectaculaire de ce qu’a signifié le sacrifice ultime du Fils de Dieu, dans un sens spirituel et religieux. Sans doute dans la vérité théologique « Vrai Dieu et vrai homme », Amélie Nothomb s’est-elle attachée davantage au terme second. Un choix romanesque, mais aussi romantique semble-t-il : elle a préféré savoir Jésus amoureux.
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L’auteur a été éduquée dans la foi catholique, dont elle ne s’est jamais départie d’ailleurs. La figure du Christ fait donc réellement sens pour elle. Et ce depuis ses deux ans et demi, à en croire sa fulgurante mémoire d’où se confirme ce souvenir. L’acception mystique relève ici essentiellement du mystère, d’une sorte de secret que Jésus, qui parle à la première personne dans le roman, ne nous révèle jamais vraiment. L’auteur détricote plutôt la lourde charge portée par le Fils de Dieu, en le rendant distant de ce qui lui arrive, même le plus terrible. L’homme qu’est Jésus est plus porté par le bonheur terrestre, bien que pur et mû par l’amour, que par celui du Ciel. Il n’est pas non plus exempt de défauts, de sentiments bien humains comme le besoin de recevoir de l’aide. Aussi, cette nécessité est-elle frappante au moment où Jésus porte sa Croix et que Simon de Cyrène vient le soutenir. Les petites contradictions ne lui sont pas non plus étrangères. Et sa relation avec son Père est loin d’être évidente.
L’ordinaire au service de l’incarnation
Si Jésus est grand sous la plume d’Amélie Nothomb, c’est en cela qu’il ne se prend pas au sérieux, qu’il ne complique rien, qu’il vit et se voit avec des yeux empreints d’une lucidité lancinante et à la fois très innocente et libre. L’argument essentiel de l’auteur est en effet l’incarnation, et avec elle tout ce que suppose avoir un corps. Il faut écouter avec attention ce qu’elle essaye de dire. Non pas qu’elle prétende à renouveler l’image du Christ ni à en saisir l’essence, mais parce qu’au cœur de cette simplicité presque troublante quelque chose s’apaise. La souffrance s’éloigne, la distance avec Jésus se réduit, le questionnement sur la foi grandit.
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Le roman est écrit dans une langue qui va à l’essentiel, sans ambages. La scène du procès, au début du roman, se lit aisément, tout comme plus tard la description de Judas qui est très drôle. Des passages, enfin, sur l’amour, la soif, le pardon et la mort ne manquent pas d’intérêt et viennent confirmer le parti pris d’Amélie Nothomb : écrire sur le Christ à sa façon, de manière un peu détournée, comme pour en désamorcer la douleur et la difficulté. Car l’une des questions essentielles de l’auteur était : pourquoi Jésus a-t-il accepté la crucifixion ? Question bien difficile s’il en est. Mais on est plus fortement marqués par la solitude de Jésus, ou plutôt, sa singularité si prodigieuse d’humain qui sait et ne sait à la fois pas vraiment. Ainsi, ce roman aurait pu s’intituler : Confessions d’un homme ordinaire, le Fils de Dieu.
Soif, d’Amélie Nothomb, Albin Michel, août 2019, 17,90 euros.