Mardi, une évocation de Charles Péguy dans l’enceinte du Parlement européen a valu à son auteur d’être accusé de faire référence à un « nationalisme belliqueux et réactionnaire ». Mauvaise foi ? Ignorance ? Cette description de la pensée du poète socialiste et chrétien est aussi réductrice qu’insultante. On oublie trop souvent que derrière l’auteur du fameux « Étoile de la mer, voici la lourde nappe… », chantre tout à la fois de la simplicité de la France terrienne et des trois vertus théologales, se cache un homme au parcours hors du commun. Charles Péguy est né en 1873 à Orléans d’une mère rampailleuse de chaises. Issu d’un milieu très modeste, c’est l’école républicaine naissante qui lui a permis un parcours scolaire brillant jusqu’à l’intégration à la rue d’Ulm. Il sait qu’il la doit à l’enchantement que furent pour lui la fréquentation des « hussards noirs de la République », ses maîtres laïques entièrement dévoués à l’instruction du peuple.
La figure humble de Jeanne
Ses années normaliennes sont celles d’une active militance socialiste et de la rencontre émerveillée avec la figure tutélaire qu’est Jean Jaurès. Ce sont aussi celles de l’Affaire Dreyfus, à la défense duquel Péguy se consacre avec passion. Il redécouvre durant cette période, alors même qu’elle commence à être annexée par la droite nationaliste, la figure humble de Jeanne, héroïne orléanaise, qui devient sous sa plume une sorte d’incarnation du peuple de France. D’esprit très indépendant, Péguy lance en 1900 les Cahiers de la Quinzaine, publication d’inspiration socialiste mais libre de toute obédience partisane, où se côtoient le politique et le littéraire. Sa pensée propre évolue alors progressivement vers une reconsidération de l’idée de nation, tout en refusant tout exclusivisme.
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Le tournant des années 1910 laisse apparaître une nouvelle dimension de Péguy : son retour à la foi catholique. Immensément épris de liberté intellectuelle, Péguy ne tourne pas le dos à un questionnement spirituel qui le replonge dans la foi de son enfance. Farouchement fidèle à sa femme athée et ayant élevé ses enfants sans éducation religieuse, Charles Péguy ne devient pas pour autant un catholique pleinement dans le giron de l’Église. Éloigné des sacrements, auquel il n’est pas admis, sa prière s’exprime largement sous la forme poétique, qu’il s’approprie dans ce contexte. La lecture des trois Mystères est à cet égard éloquente.
Fidèle jusqu’à la mort
C’est ainsi un homme dense, attaché farouchement et à la France et au socialisme — ce qui l’amène à une grande intransigeance à l’égard du pacifisme de Jaurès — fidèle à ses engagements de jeunesse et à son Dieu — même quand l’un et l’autre sont, pour les pharisiens de l’époque, inconciliables — que la guerre fauche dès l’été 1914. Mort en s’écriant « Mon Dieu ! Mes enfants… », sa vie et sa poésie se rejoignaient alors en un cri à la fois simple et magnifique.