Notre société est obsédée par le culte de la performance, de l’excellence et cette obsession peut nous atteindre même au cœur de notre vie de chrétien dans notre rapport à l’Église. Dieu a beau révéler “aux tout petits” ce qu’il cache “aux sages et aux savants”, il est souvent difficile de renoncer au pouvoir et d’accepter de se faire le plus petit.Le père Olivier Turbat est prêtre au sein du Chemin Neuf, une communauté catholique à vocation œcuménique née dans le courant des communautés nouvelles. Sa vie a basculé à la suite d’un AVC qui l’a conduit à expérimenter dans la profondeur de sa chair la fragilité physique. Pourtant, bien avant, dans un journal spirituel débuté en 1998, le mystère de la faiblesse, de la fragilité et de l’abandon nécessaire à la vie spirituelle faisait déjà partie de son profond questionnement. Ce journal spirituel empli de douceurs poétiques et de fulgurances mystiques permet d’entrer dans l’intimité de l’itinéraire d’une âme en quête de Dieu.
La tentation de la force
En même temps qu’une méditation sur notre rapport aux autres, ce journal est un témoignage au plus près de l’intériorité de la vie d’un prêtre du monde contemporain. On y découvre les grandes tentations qui l’habitent et dont il ne cesse de se méfier. En effet, c’est comme prêtre qu’il a appris à prêcher, à enseigner la parole de Dieu, ce Dieu qui souhaite que l’on se fasse tout petit pour entrer par la “porte étroite”. C’est aussi en tant que prêtre qu’il reçoit beaucoup de dons, de reconnaissance et de marques d’estime qui sont une grande tentation pour son orgueil.
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Le père Olivier Turbat est très lucide sur une certaine volonté de pouvoir, de reconnaissance, qui reste très prégnante en lui, comme une trace du péché au cœur d’une vie donnée pour le Christ et son Église. Son journal spirituel, publié sous le titre La fragilité et la grâce, raconte l’histoire d’une âme qui aspire profondément à Dieu et qui se sent entachée encore par des emprises qu’il regrette. On y découvre un combat spirituel permanent contre la tentation de la force et de l’orgueil de se sentir important aux yeux des autres.
La grâce du discernement
Ce qui est fascinant dans ce journal d’une âme qui s’en remet à Dieu, c’est la constante lucidité du père Oliver Turbat qui arrive à prendre conscience de toutes les tentations qui l’éloignent de Dieu. Le paradoxe, c’est que c’est en prêchant Dieu, grâce à son statut de prêtre, qu’il reçoit cette reconnaissance et ce pouvoir qu’il sent mauvais pour sa relation à Dieu. On retrouve ici toute la tentation du cléricalisme évoqué par le Pape François. C’est donc une lutte pour les prêtres, pour qu’ils arrivent à rester de véritables serviteurs de Dieu et n’utilisent pas les dons de l’Esprit et du Christ contre lui en profitant de l’emprise que ces dons peuvent donner face aux laïcs.
Le seul moyen de ne pas tomber dans cet excès, c’est de retrouver la profondeur de l’humilité dans un abandon total à Dieu. On retrouve ainsi auprès du père Olivier Turbat la présence de Thérèse de Lisieux et de sa voie de confiance et d’abandon. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dès son vivant elle soutenait déjà grâce à ses lettres la vie et le combat spirituel de nombreux prêtres. C’est cet abandon qui permet de ne pas céder à la tentation de la force, du paraître, de la reconnaissance et de l’honneur.
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Repoussant sans cesse la tentation de la force, le père Olivier Turbat semble avoir toujours pressenti qu’il serait contraint de s’abandonner totalement à Dieu, en oubliant toute force et toute puissance propre pour ne plus compter que sur celles du Christ et de sa Parole. Son AVC l’a en effet contraint à perdre les nombreuses responsabilités qu’il avait au sein de sa communauté et à devenir humble parmi les humbles, répondant au désir qu’il avait toujours senti le plus fort au fond de lui.
Ainsi, en le suivant pas à pas au fil de ce journal spirituel qu’il continue toujours aujourd’hui à écrire, bien que difficilement, on découvre à quel point la fragilité peut être un chemin spirituel.