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C'est à la fois un homme et un Dieu qui agonise sur la croix dans la personne de Jésus de Nazareth. Aussi les paroles qu'il prononça sur le Golgotha sont-elles chargées d'humanité et de divinité. Certes, il est toujours risqué de trop différencier ce qui relève de l'homme et ce qui relève de Dieu dans les gestes et les dires du Christ, de peur de scinder sa personnalité en deux dimensions éloignées l'une de l'autre, et de porter ainsi atteinte à son unité. Cependant, le disciple qui contemple et écoute la Croix ne peut ignorer que chaque parole du Christ est à entendre selon deux niveaux. Les deux natures du Christ nous révèlent simultanément un Dieu qui nous sauve, et un homme qui assume nos dérélictions et mérite le salut, en tant qu'un des nôtres, pour tout le genre humain. Le cri : « J'ai soif » que l'évangéliste saint Jean rapporte dans le récit de la crucifixion, doit lui aussi se lire et se comprendre selon cette double dimension humaine et divine.
Un cri d'homme
En tant qu'homme, Jésus exprime son besoin lancinant de se désaltérer. En effet, une des plus cruelles souffrances de la crucifixion était la soif terrible qui tenaillait le condamné. C'est donc la physiologie et sa répercussion sur la sensibilité de Jésus qui lancent en premier lieu cet appel. De ce premier niveau de lecture, il est nécessaire de passer et s'élever à un degré de compréhension plus spirituel. Car le Christ n'est pas un individu isolé. Il porte toute l'humanité en lui sur le Calvaire. En disant « J'ai soif », il assume tous les appels vers Dieu lancés par les croyants de tous les temps. Il fait sienne la confidence du psalmiste : « Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ; quand pourrai-je m'avancer, paraître face à Dieu ? » (Ps 41,3). Jésus a pris sur lui nos appels à la divinité, ce désir spirituel qu'aucune idéologie matérialiste n'a pu déraciner du cœur de l'homme. Et il l'a fait à la fois pour les purifier de ce qu'ils contenaient encore de trop terre-à-terre, et pour les exaucer. Car il sera fait droit à sa supplication le troisième jour : par sa résurrection, il paraîtra face à Dieu, ainsi que le demandait déjà le psalmiste. En nous coulant dans sa prière, nous aussi serons exaucés.
Cependant, il faut aller plus loin encore. Jésus avait conscience que la Croix allait sauver le monde. Le Sauveur ne pouvait en effet faire œuvre de rédemption malgré lui ! Aussi, en manifestant explicitement sa soif, Jésus manifeste son désir que les hommes soient sauvés. Son zèle à accomplir la mission que le Père lui a donnée d'accomplir, éclate dans ces paroles. Sa soif témoigne du motif profond de sa venue parmi nous. Il est venu nous arracher à la damnation et nous donner la vie éternelle. Cette motivation, âme de son existence, éclate quelques minutes avant son trépas, comme un secret livré à la dernière extrémité, dans ces mots : « J'ai soif ». C'est la soif du salut éprouvée par le Messie pour ses frères et sœurs.
Un Dieu à la recherche de l'homme
Mais Jésus est aussi la seconde personne de la Trinité. C'est Dieu qui nous révèle Sa soif dans cette parole du Christ. Or, Dieu ne peut avoir soif d'eau, ni de Lui-même, puisqu'Il Se possède parfaitement en son Être. Quelle soif éprouve-Il donc ? Si Dieu, en la personne du Christ, a soif de quelque chose, ce ne peut être que de nous, les hommes. Depuis que nous nous sommes détournés de Lui, Il est parti à notre recherche, et mendie notre amour. Humilité insondable du Très-Haut !
La soif de Jésus fait pendant à une autre parole que le premier homme a entendue, peu après qu'il ait chuté : « Où es-tu ? ». Déjà cette interrogation était adressée à Adam par le Créateur. Déjà, dans le jardin d'Eden, Dieu partait à la recherche de l'homme ! Sur le Golgotha, Il renouvelle son appel. Mais c'est un désir encore plus pressant, plus viscéral, que le premier. Dans la soif de Jésus, la Révélation nous donne à contempler le Cœur de Dieu, qui n'a jamais cessé de nous poursuivre, d'aller à la rencontre des hommes.
Car, chez Jésus, la soif des hommes n'est pas née sur le Calvaire : elle est aussi éternelle que sa divinité. Voilà pourquoi cette exclamation représente une parole de révélation. Dieu a soif des hommes depuis toujours. « D'un amour éternel je t'ai aimée » déclare-t-Il à Jérusalem, dans le livre de Jérémie. Sur le Calvaire, cette soif se fait plus pressante parce que la Rédemption s'y accomplit. Désormais, par Jésus, la maison du Père est de nouveau ouverte ! C'est le moment décisif !
Une parole entendue par mère Teresa
Une des plus grandes saintes du XXe siècle aura entendu cette parole : mère Teresa. Ce cri décidera même de sa vocation spécifique. Le pape qui la canonisera en témoignera : « Sa mission commençait à l'aube devant l'Eucharistie. Dans le silence de la contemplation Mère Teresa entendait retentir le cri de Jésus sur la Croix : « J'ai soif. » Ce cri, conservé au fond du cœur, la poussait sur les routes de Calcutta et de toutes les banlieues du monde, à la recherche de Jésus chez le pauvre, l'abandonné, le mourant » (St Jean-Paul II, Angélus du 7 septembre 1997). La sainte n'aura qu'un désir, pour elle et ses religieuses : désaltérer Jésus, étancher sa soif.
La soif de Jésus constitue en effet un appel à la mission, un appel à passer de la contemplation à l'action. Après avoir médité sur le désir de Jésus qui le pousse à demander notre cœur, le disciple est invité à se retrousser les manches.
Soif de l'Esprit-Saint chez le disciple
Enfin, signalons que cette soif, le chrétien doit la faire sienne. Alors deviendra-t-elle pour lui source de grâce, ainsi que Jésus l'a promis : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive, celui qui croit en moi ! » Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui ; car il n'y avait pas encore d'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié » (Jn 7,37, 39). En Jésus, la soif de nos âmes ne fait qu'une avec celle d'accomplir la volonté du Père de nous sauver et de répandre l'Esprit sur nous.