Édouard de Castelnau, général parmi les plus brillants de la Grande Guerre fut le moins récompensé. Volontiers provocateur et sans calcul, il détestait se mettre en avant. Il était surtout un catholique assumé, ce qui ne plaisait guère, et n’est toujours pas bien porté. Il reste le grand oublié du centenaire de la fin de la Grande Guerre.« Le maréchal Haig n’a rien vu, rien préparé, le général Pétain ne s’est occupé que de préserver sa situation. Quant au général Foch, c’est un malade, un impulsif, nerveux et brutal qui traite les divisions comme un ballon de football… Un seul général émerge, c’est le général de Castelnau ! » C’est par ces mots que Lord Milner, le secrétaire d’État à la Guerre britannique apostrophe Clemenceau lors des heures les plus graves de cette Grande Guerre en mars 1918. C’est la troisième fois au cours de cette guerre que le nom de Castelnau est mis en avant pour le commandement suprême. Rares, en effet, sont les généraux français ou anglais pouvant s’enorgueillir d’un parcours tel que le sien.
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Aux premières places, durant toute la guerre
Commandant d’une des armées à l’ouverture des hostilités, il remporte une victoire décisive en Lorraine à la Trouée de Charmes (24 au 26 août 1914). Sans ce succès, le redressement français sur la Marne aurait été impossible. Sauveur de Nancy quelques jours plus tard, il se voit ensuite confier le principal commandement du front occidental en 1915. Nommé chef d’état-major général des armées, il s’illustre lors de la bataille de Verdun en prenant les premières décisions qui sauvent la ville avant même d’y nommer le général Pétain. Alors que Joffre, puis Nivelle, finiront par être limogés et que Foch connaîtra une longue traversée du désert, lui sera maintenu aux premières places du haut commandement. Il restera en poste d’un bout à l’autre de cette guerre jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918. Pourtant, Clemenceau, à l’instar de ses prédécesseurs, oppose à Lord Milner une fin de non-recevoir : Castelnau est « le Capucin botté » !
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Un catholique social-provocateur
On ne peut pas comprendre le parcours militaire puis politique du général sans prendre en compte le contexte très particulier dans lequel baigne la France de cette époque. Le paysage politique est dominé par une majorité de parlementaires radicaux-socialistes qui exercent l’exclusivité du pouvoir pendant près de trois décennies. Au cours de cette période, Castelnau est certainement la personnalité la plus emblématique de l’ostracisme qui frappe les officiers catholiques. Il faut dire que, contrairement à ceux qui comme Foch essayent d’atténuer les possibles conséquences auxquelles les exposent leurs convictions religieuses, lui, provoque. Il assume pleinement une foi profonde associée à une culture religieuse étendue. Son père, Michel de Curières de Castelnau, a été très proche des cercles catholiques avancés animés par La Tour du Pin et Lamennais. Cet apport est ensuite relayé par le frère aîné du général, Léonce de Castelnau. Brillant avocat très engagé dans la conférence Saint Vincent de Paul de sa région, il va faire une carrière politique de premier plan. Avec Albert de Mun, il créée le premier parti politique regroupant les catholiques ralliés à la République, l’Action libérale. Ces hommes font figure de progressistes dans un univers catholique plutôt conservateur. Léonce transmet à son jeune frère cette composante sociale dont celui-ci fera un axe permanent de son action politique d’après-guerre. Pour reprendre les mots de Pierre-Henri Simon : « Castelnau fait partie de ceux qui songent à défendre leur conscience religieuse contre les pesées de leur conscience sociale. »
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La foi du centurion
Mais, dépassant cette culture, il y a sa foi ; c’est celle du centurion (Luc, 7). En raison de ses hautes fonctions et de ses responsabilités, Castelnau n’a pas une minute à lui. Pourtant, il arrache des instants de prière chaque fois qu’il le peut, y compris en pleine bataille. Il a coutume de se lever très tôt pour, dit-il, « attraper un bout de messe ». Parmi les généraux de cette Grande Guerre, il se distingue par son humanité. Le souci constant qu’il porte à limiter les pertes lui vaut le dédain de certains de ses pairs qui y voient un manque de tempérament. Après la guerre, ces généraux seront qualifiés de « bouchers » alors que lui deviendra « le nouveau Turenne » en raison de sa forte popularité et de l’affection que lui portent ses anciens soldats. Joffre ne sera jamais vu dans un hôpital de campagne. Foch passera l’essentiel de la guerre loin du front dans des bureaux. Castelnau, lui mettra un point d’honneur « à aller jusqu’aux obus » afin de parler aux combattants de première ligne.
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Auprès de Dieu, la prière de la France
Un tel personnage aurait mérité une place centrale dans notre histoire militaire. Mais en refusant d’écrire ses mémoires et en mettant sous clef d’importantes archives personnelles, Castelnau a lui-même contribué à s’exclure de ce « roman national » que même le Centenaire de l’Armistice n’a pas réussi à renouveler. Cette guerre lui a pris trois de ses fils. Il juge indécente cette quête de gloire qui anime tant ses homologues. À ses yeux, « seul le peuple français avait été admirable », et il ajoute : « Quel remords pour nous les chefs de ne pas lui avoir donné plus tôt la victoire. » Sa disparition aux heures les plus sombres de l’occupation allemande en mars 1944 contribue un peu plus à estomper son nom de l’Histoire. Mais, n’ayant jamais cherché les hommages, cet homme a eu le privilège d’en recevoir les plus authentiques. Le dernier qui lui est rendu par son ami Mgr Saliège dépasse par sa simplicité et sa force toutes les apologies et les panégyriques prononcés lors des funérailles nationales des maréchaux. Dans la petite église de Montastruc-la-Conseillère résonnent alors ces mots : « Il est allé porter auprès de Dieu la prière de la France qui ne veut pas mourir. Il s’en est allé plaider la cause de ce pays dont il aimait à chanter les beautés et à raconter les gloires. Le général de Castelnau était pour nous une fierté, un appui, un drapeau. »
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