Après la récente authentification d’un deuxième miracle dû à son intercession, le pape François devrait, au cours de cette année, canoniser le bienheureux John Henry Newman (1801-1890). Benoît XVI, qui l’avait béatifié en 2010 lors de son voyage apostolique en Grande-Bretagne voyait en lui « un des grands maîtres de l’Église ».Né en 1801 à Londres, Newman est l’aîné de six enfants d’une famille anglicane peu pratiquante. Très tôt, il est envoyé en pension. En 1816, il y vit une première conversion et découvre l’importance capitale du cœur à cœur avec le Seigneur — « Moi-même et mon Créateur », les « deux êtres » dont, pour lui, l’évidence est « absolue et lumineuse ».
Sa conversion : l’entrée dans une plénitude
Étudiant, pasteur (en 1825), puis professeur à l’Université d’Oxford, il devient catholique, le 9 octobre 1845, au bout d’un long cheminement. Il s’appuie sur les « Pères de l’Église, qui, dira-t-il, ont fait de [lui] un catholique ». En les étudiant, il prend conscience que l’Église catholique du XIXe siècle, quelles que soient ses faiblesses, est bien celle du Christ et des Apôtres — moyennant un « développement » historique de la foi où la nouveauté n’est que le déploiement de ce qui était déjà en germe dans le dépôt de la foi apostolique. Sa conversion est ainsi, pour lui, l’entrée dans une plénitude… plutôt qu’une rupture. Dans son fameux Essai sur le Développement de la doctrine chrétienne (1844), il écrit : « On dit quelquefois… que le fleuve est plus limpide près de sa source. L’image est belle, mais elle ne s’applique pas à l’histoire d’une philosophie ou d’une croyance, qui, au contraire, est plus équilibrée, plus pure, et plus forte, quand son lit s’approfondit, s’élargit et devient plus ample. » Et, dans un autre passage clef : « Dans le monde d’en haut, il en va autrement, mais ici-bas, vivre, c’est changer ; être parfait, c’est avoir changé souvent. » Il écrit cela après avoir rappelé que « l’idée (c’est-à-dire la substance même du christianisme) change (avec les circonstances) afin de rester fidèle à elle-même ». Quelle belle définition de la Tradition vivante !
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Le penseur de la conscience
Il est ordonné prêtre en 1847 à Rome puis fonde, en 1848, l’Oratoire (de saint Philippe Néri) à Birmingham. Son zèle missionnaire lui fait dire : « L’Église doit être préparée pour les convertis aussi bien que les convertis pour l’Église. » Autrement dit, sans faire de concession aux modes de l’époque, il est crucial de rendre accessible, au plus grand nombre, les trésors de la foi. Par ses fondations d’écoles, de collèges, et d’une université à Dublin, il fait beaucoup pour former les laïcs et les mettre en situation de témoigner de leur foi et de dialoguer avec les incroyants et les chrétiens d’autres confessions.
Il affirme aussi l’importance de la conscience. Pour lui, « la conscience est le premier de tous les vicaires du Christ » (phrase citée par le Catéchisme de l’Église catholique, § 1778). Pour lui, « la conscience a des droits parce qu’elle a des devoirs » (phrase citée par saint Jean Paul II, dans Veritatis Splendor, § 34) — notamment celui de rechercher la Vérité, cette « Vérité qui rend libre » (Jn 8, 32) ! En tout cela, il fut le génial précurseur de Vatican II, dont Jean Guitton disait qu’il fut le « penseur invisible ». En 1864, dans l’Apologia Pro Vita Sua, son autobiographie spirituelle, il retrace les étapes de son cheminement spirituel et de sa conversion. On peut comparer cette œuvre majeure aux Confessions de saint Augustin. Léon XIII le fit cardinal en 1879.
Ami dans le Christ
Sa devise cardinalice, qui a servi de fil conducteur à la visite de Benoît XVI en Grande-Bretagne et qui lui vient de saint François de Sales, résume bien son cheminement : Cor ad cor loquitur (« Le cœur parle au cœur »), c’est-à-dire, le cœur de Dieu parle au cœur de l’homme, le cœur de Dieu au cœur de l’Église et, par elle, au cœur de toute homme de bonne volonté. Ou, comme le disait encore le Pape émérite, dans son homélie lors de la béatification, cette « devise […] nous donne une indication sur la manière dont il comprenait la vie chrétienne : un appel à la sainteté, expérimenté comme le désir profond du cœur humain d’entrer dans une intime communion avec le Cœur de Dieu. Il nous rappelle que la fidélité à la prière nous transforme progressivement à la ressemblance de Dieu… »
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Précisons — et c’est vraiment une dimension importante de son ministère sacerdotal — que cette devise est comme la charte de l’accompagnement spirituel qu’il dispense généreusement ! Ce « cœur-à-cœur », typique de la spiritualité newmanienne, est en effet essentiel pour celui qui se veut d’abord témoin et ami dans le Christ avant d’être théologien et professeur. En témoigne ce beau passage de l’Idée d’Université où il cite une lettre de saint François de Sales à l’archevêque de Bourges : « Il faut que nos paroles soient enflammées, non par des cris et des actions démesurées mais par l’affection intérieure. Il faut qu’elles sortent du cœur plus que de la bouche. On a beau dire, mais le cœur parle au cœur (cor cordi loquitur), et la langue ne parle qu’aux oreilles. » Jusqu’à son dernier souffle, Newman n’a cessé, comme son maître savoyard du XVIIe, de consoler, d’accompagner, de conseiller et d’encourager des hommes et des femmes qui — quel que soit leur état de vie — cherchaient à discerner la volonté de Dieu dans leur vie. Sur les vingt mille lettres de sa correspondance, plus de la moitié témoigne de cet accompagnement spirituel bienveillant !
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Face à la désertification spirituelle
En 2013, François, a cité Newman dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Il est significatif que le Pape se soit référé à l’une de ses lettres pour dénoncer le désert spirituel qui est un grave danger pour notre foi. « Il est évident, écrivait le Pape, que s’est produite, dans certaines régions, une désertification spirituelle, fruit du projet de sociétés qui veulent se construire sans Dieu ou qui détruisent leurs racines chrétiennes. Là “le monde chrétien devient stérile, et s’épuise comme une terre surexploitée, qui se transforme en sable“ (lettre du 24 janvier 1833) » (EG §86).
Notre Europe, visée ici, a à choisir — comme le disait François au Parlement européen en 2014 — entre être « mère » (féconde) ou « grand-mère » (stérile). Le bienheureux (et futur saint) J.H. Newman peut, j’en suis convaincu, nous aider à faire ce discernement vital !