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Les droits de l’homme sont-ils devenus fous ?

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Grégor Puppinck - publié le 10/12/18
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Entre les « droits de l’homme islamique », qui refusent toujours la liberté de conscience et l’égalité des sexes, et les « droits de l’homme postmoderne », qui soutiennent des revendications antinaturelles, que reste-il de la Déclaration universelle des droits de l’homme, soixante-dix ans après son adoption ? À l’occasion de cet anniversaire, le Saint-Siège a organisé à l’ONU une conférence sur les Droits de l’homme et la dignité de la vie. Gregor Puppinck y a exposé les fondements éthiques des droits de l’homme : « En tant que source des droits de l’homme, dit-il, la nature humaine doit à la fois être l’origine du contenu des droits et de l’obligation qui y est attachée. » Dans la Charte fondatrice des Nations-unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, les « peuples des Nations-unies » se disent « résolus […] à proclamer à nouveau [leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ». Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à Paris le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des États membres affirme que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».

Les fondements de la Déclaration de 1948

Dans les deux pactes de 1966, les États affirment reconnaître « que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine ». Ainsi, la dignité serait inhérente à la personne humaine, et la source de ses droits. Cette compréhension est proche de celle énoncée par le pape Jean XXIII qui, dans l’encyclique Pacem in Terris de 1963, déclarait que « les droits de la personne humaine » « dérivent directement de notre dignité naturelle et […] pour cette raison sont universels, inviolables et inaliénables ». De même, l’Acte final de la Conférence d’Helsinki sur la Sécurité et la Coopération en Europe, signé en 1975, énonce que les « libertés et droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et autres […] découlent tous de la dignité inhérente à la personne humaine et […] sont essentiels à son épanouissement libre et intégral » (Principe VII). Cette formulation exprime parfaitement le lien entre la dignité, l’épanouissement et les droits et libertés de la personne humaine.


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Affirmer, comme le fait notamment la Déclaration universelle dès son article premier, que « tous les êtres humains naissent égaux en dignité », implique nécessairement de placer l’origine de cette dignité en ce que tous les hommes partagent de façon égale. Cela exclut de voir dans les caractères physiques, intellectuels ou matériels l’origine de la dignité humaine, car ils en donneraient alors une mesure variable selon les personnes.

La dignité de la nature humaine

Ce qu’il y a de commun à tous les hommes ne peut pas être matériel. Toute personne, quels que soient ses spécificités, son âge, ses capacités, ses talents et ses handicaps, partage cette dignité ontologique. Il suffit d’être humain pour y participer. Ce caractère digne et commun « à tous les membres de la famille humaine » a pour nom la nature humaine. Et c’est parce que la nature humaine est elle-même universelle que la dignité dont elle est revêtue est, elle-aussi, universelle. La dignité de la nature humaine est donc un bien commun à toute l’humanité auquel chaque personne participe.



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C’est à cette nature humaine que fait référence le caractère inhérent de la dignité soulignée dans la Déclaration universelle. Qualifier la dignité d’inhérente signifie qu’elle est possédée par l’homme parce qu’il est humain, et implique qu’elle ne soit pas conférée par l’État ou la société. Dans l’esprit des rédacteurs de la Déclaration universelle, il s’agissait d’affirmer par-là que la dignité de chaque personne et les droits qui y en découlent ne sont pas concédés par l’État, mais qu’ils lui préexistent et que l’État doit les respecter pour respecter l’homme. C’est ce que les Etats américains signataires de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme (Bogota, 1948) ont parfaitement exprimé en déclarant que « les droits essentiels de l’homme n’ont pas leur origine dans le fait que celui-ci est ressortissant d’un Etat déterminé, mais reposent avant tout sur les attributs de la personne humaine ».

Le droit international, traduction juridique de la morale naturelle

La dignité de la nature humaine n’est pas seulement abstraite, elle est aussi présentée comme la source dont découlent les droits de l’homme. Ce lien mérite d’être explicité car sa mauvaise compréhension peut engendrer de graves malentendus et controverses sur le contenu des droits humains. En tant que source des droits de l’homme, la nature humaine est à la fois l’origine du contenu des droits et de l’obligation qui y est attachée.

Si les hommes « naissent égaux en dignité », ils n’en demeurent pas moins inachevés à la naissance. Un bébé dans le ventre de sa mère est déjà humain — il a reçu, avec la vie, le don de la nature humaine, mais il doit encore œuvrer à le faire fructifier pour devenir un homme accompli. Mieux il accomplira en lui-même les potentialités de la nature humaine, plus il rendra témoignage de sa dignité. Ainsi, la dignité humaine, tel le trésor caché dans le champ du laboureur de la fable de Jean de Lafontaine, est à la fois un don et un potentiel : on la possède ontologiquement tout en devant l’accomplir en soi par ses œuvres. Elle exprime la valeur de la nature humaine que chaque personne partage et est appelée à accomplir en elle-même au mieux de ses capacités. Cette dignité que l’on réalise en accomplissant sa nature est dite opérative, à la différence de la dignité ontologique partagée par le seul fait d’être humain.


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Alors que les autres êtres (animaux, végétaux) sont comme prisonniers de leur nature, conditionnés par celle-ci, l’homme dispose d’une certaine liberté qui le rend capable et responsable de son accomplissement. De la conception à la mort, tout l’effort d’une vie humaine consiste pour chacun à accomplir en soi-même les potentialités de la nature humaine : à s’humaniser. Les Romains voyaient en ce désir fondamental un devoir, celui « de parfaire en soi la nature humaine et de la respecter chez les autres ». Ils l’appelaient l’Humanitas. En reconnaissant leur dignité, les hommes s’obligent ainsi mutuellement à respecter en eux-mêmes et en l’autre leur commune nature, c’est-à-dire à vivre dignement. C’est ce devoir envers soi-même et les autres, à cause de la dignité de notre commune humanité, qui génère des obligations : des devoirs et des droits mutuels.

Dans la nature humaine

De ce désir et devoir de perfection découle une morale naturelle en vertu de laquelle une chose est bonne ou mauvaise selon qu’elle contribue ou non à l’accomplissement en chacun de la nature humaine. Ainsi par exemple, l’instruction et l’activité physique sont particulièrement bonnes en ce qu’elles permettent la croissance des enfants. Le bien est donc déterminé par la nature humaine : les choses sont bonnes ou mauvaises selon qu’elles conviennent ou non à la nature humaine. C’est la nature humaine qui est ainsi à l’origine de la morale, d’où l’importance de la connaître. Les philosophes grecs puis chrétiens y ont distingué quatre aspects fondamentaux : l’homme est par nature un – êtrevivantsocialspirituel. Chacun de ces aspects est un bien qui produit en l’homme une inclination spéciale : comme tout être, l’homme désire conserver l’existence. Comme tout être vivant, l’homme désire transmettre la vie. Comme être social (ou politique), l’homme désire vivre en société. Enfin, comme être spirituel, l’homme désire connaître la vérité et Dieu. Tout ce qui répond à ces désirs fondamentaux est un bien, tout ce qui y fait obstacle (la mort, la maladie, la solitude, l’erreur) est un mal.


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Cette morale est naturelle car elle découle de la nature humaine : elle est le « droit chemin » par lequel la personne accomplit son être, sa nature humaine : elle est la « loi morale naturelle ». Ainsi, cette « loi naturelle » ne crée pas le bien, mais c’est le bien qui la détermine. La raison déduit la loi du bien désiré, comme on déduit un chemin d’un but à atteindre. En observant cette loi, la personne s’accomplit elle-même et y trouve son bien. La loi morale naturelle découle ainsi de la nature humaine dont elle reçoit aussi l’universalité et l’autorité.

Un ordre moral mondial

Après-guerre, les nouvelles formulations internationales des droits de l’homme ont traduit juridiquement, autant que possible, la loi morale naturelle, afin, selon le Président Roosevelt, de permettre l’avènement d’un ordre moral mondial. Le droit international des droits de l’homme a alors eu pour objet de protéger chaque personne dans l’exercice des facultés par lesquelles elle tend à s’humaniser, contre les ingérences arbitraires.

Il en résulte que c’est en observant les caractères de la nature humaine que le contenu des droits de l’homme peut être connu. Ainsi, l’observation que l’homme est par nature un être vivant, social et spirituel permet de déduire que les droits de l’homme doivent protéger la vie et l’intégrité physique des personnes (être), puis leur faculté de fonder une famille (être vivant), puis celle de s’associer et de s’exprimer (être social) et enfin les libertés de l’esprit (être spirituel). La protection de ces facultés vise finalement à réduire les obstacles à l’accomplissement harmonieux de la personnalité, dans toutes les dimensions de la nature humaine.

C’est donc la considération de la nature et de la dignité de la personne humaine qui permet d’établir la finalité, le contenu, l’autorité et l’universalité les droits de l’homme.

DROITS-HOMME-PUPPINCK

Les droits de l’homme dénaturé, Grégor Puppinck, Les éditions du Cerf, (novembre 2018)

 


1. Préambule

2. Qui sera à l’origine de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)

3. Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1983, p. 87.

4. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, IIae, q. 94, a. 2.

5. Par spirituel, il faut entendre doté d’un esprit c’est-à-dire capable de réfléchir, de penser sur lui-même.

6. Discours du Président Franklin Roosevelt devant le Congrès des Etats-Unis le 6 janvier 1941.

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