Pour sa VIIIe édition, les frères dominicains de la Sainte-Baume restent fidèles à la mission des universités d’été du diocèse de Fréjus-Toulon : questionner le sens de la politique pour aller au-delà des polémiques et rechercher le bien commun.Le mistral souffle à décorner les bœufs de Camargue, mais l’atmosphère est encore à la retraite estivale et familiale. On prie, on réfléchit ou on bavarde dans la prairie avec les intervenants, au détour d’une pause. Le sanctuaire de la Sainte-Baume accueille un public averti pour ce dernier week-end d’août. Dédié au culte de sainte Marie-Madeleine où son corps fut redécouvert au XIIIe siècle au fond d’une grotte à flanc de falaise, l’hôtellerie des pèlerins ne désemplit pas. « Les Provençaux sont très attachés à ce qu’il considère comme leur sanctuaire » nous explique d’emblée Gilles Texier, véritable cheville ouvrière de ces universités qui, avec sa famille, travaille pour les dominicains. Ces derniers veillent sur les lieux depuis Robert II d’Anjou, il y a sept siècles. Le cadre est si paradisiaque qu’on peine à les plaindre devant l’ampleur de la tâche. 500.000 personnes visitent le sanctuaire chaque année.
Toutes les sensibilités
Future campagne électorale oblige, cette VIIIe université d’été, sous le patronage du diocèse de Fréjus-Toulon, a choisi pour thème l’Europe. Pas d’élu Rassemblement national cette année (chacun se souvient de la présence remarquée de Marion Maréchal en 2015) mais Patrick Louis, ancien député MPF du Parlement européen et co-président du comité scientifique de l’ISSEP fondé par l’ancienne députée du Vaucluse, questionne les « valeurs » européennes auquel il oppose des « principes chrétiens ». Autre invité de marque, le premier adjoint de Christian Estrosi à la mairie de Nice (il l’avait suppléé entre 2016 et 2017 à la tête de la ville). Philippe Pradal ne cache pas sa foi même s’il s’interdit de se faire le porte-voix d’un potentiel lobby confessionnel. Si son parti parvient à se mettre d’accord sur une ligne claire, il n’exclut d’ailleurs pas de participer à une liste pour les européennes. « Pour fabriquer du consensus, il faut transiger sur pas mal de sujets » admet-il au cours du débat avec le président des Poissons roses, un petit mouvement personnaliste engagé au Parti socialiste (une centaine d’adhérents). Pierre Saulnier représentait pour sa part Sens commun qui tente de retrouver un second souffle après l’échec de François Fillon à la présidentielle. Henrik Lindell, du magazine La Vie, coordonne avec humour et franchise les interventions.
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Sortir des caricatures
Au fur et à mesure des débats, on notera l’apport à la fois théorique et expérimental de Christophe Beaudoin, attaché parlementaire à Strasbourg au sein du groupe conservateur et docteur en droit. Sa tâche n’est pas simple puisque l’action européenne est souvent caricaturée dans un sens ou un autre. Il révèle au public le cœur de sa thèse, le fonctionnement très imparfait de la démocratie européenne. Il détricote la symbolique de l’euro et décrypte les périphrases de l’administration bruxelloise (Aleteia, 23 août). Gérard Leclerc et Jacques Sapir sont incontestablement les deux intellectuels qui élèvent le débat chacun dans leur domaine. Les questions fusent, parfois sans filtre, mais les opinions politiques peuvent s’exprimer dans leur diversité. Le postulateur de la béatification de Robert Schuman, Ghislain Knepper converse avec Max-Erwann Gastineau, rédacteur des pages politiques de la revue écolo-conservateur Limite et Guillaume de Prémare qui fut le premier président de La Manif pour tous. Christophe Geffroy, partenaire également de ces rencontres varoises avec le mensuel La Nef, interroge Mgr Malle, le jeune évêque de Gap, qui semblait toutefois échaudé par la polémique de l’été sur les migrants. Chacun convient que l’Europe doit nécessairement rester plurielle sans avoir peur de coopérer dans certains domaines.
Remettre les idées au cœur du débat
Un colloque parmi d’autres ? Cette initiative n’est pourtant pas si courante dans un univers politique qui a autant d’universités d’été que de chapelles politiques. Quant à l’épiscopat français, il aborde en général ces sujets avec une prudence extrême. Dès lors, il peut s’installer une incompréhension mutuelle d’autant plus sensible que l’Europe est un clivage politique qui transcende les partis et casse l’habituelle opposition droite-gauche. Les Français se désintéressent en général de ces élections européennes qui battent des records d’abstention à moins d’en faire un référendum contre le pouvoir en place. Il est donc urgent de remettre les idées au cœur du débat et de savoir vers quelle Europe nous voulons aller.
Ces universités d’été se terminent par la messe présidée par Mgr Rey, le très dynamique pasteur du diocèse (plus de 260 prêtres en activité). Un exemple de pluralisme et d’écoute qui pourrait être médité par les partis politiques en attendant la campagne des européennes qui arrive.
Sur ce sujet :
Christophe Beaudoin, « l’Europe sans corps n’est pas une fatalité », Aleteia, 23 août.