Un récent sondage du Pew Research Center révèle de profondes divergences d’opinion depuis la création des premiers embryons humains génétiquement modifiés grâce à la technique de correction de séquence génomique CRISPR-Cas9, en juillet 2017.L’introduction du “ciseau moléculaire” CRISPR-Cas9, capable de corriger les gènes de n’importe quel organisme en utilisant la technique du couper-coller comme dans un traitement de texte (correction de séquence génétique ou génomique) alimente aux États-Unis, comme dans d’autres pays, un vif débat qui s’est ranimé en juillet de l’année dernière avec l’annonce de la création par des scientifiques américains des premiers embryons humains génétiquement modifiés après correction d’une anomalie sur un des gènes, appelé MYBPC3.
Comment le citoyen américain moyen voit ce puissant “scalpel génétique” ? Le Pew Research Center a mené une enquête pour le savoir. Du 23 avril au 6 mai dernier, le centre de recherche américain a ainsi réalisé un sondage d’opinion parmi 2.537 personnes d’âge adulte. L’enquête, intitulée Public Views of Gene Editing for Babies Depend on How It Would Be Used — L’opinion du public sur l’editing génétique pour les bébés dépend de l’usage que l’on en fera — et présentée par Cary Funk et Meg Hefferon sur le site du Centre[1], révèle que le point de vue des citoyens américains sur le bien-fondé ou non de modifier le patrimoine génétique d’un enfant tient à deux facteurs : l’objectif réellement poursuivi d’une part, et si des embryons humains sont utilisés pour tester ces modifications d’autre part.
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Selon l’enquête du centre de recherche , une majorité d’Américains est favorable à la modification génétique du génome si elle apporte des bénéfices directs aux enfants. Mais si le but à atteindre est d’augmenter l’intelligence de l’enfant à naître, alors une majorité d’entre eux considère que c’est “pousser la technologie médicale trop loin”.
Les trois quarts des personnes interrogées (72 %) se disent favorables à une intervention sur le code génétique de l’enfant à naître si c’est pour traiter une maladie ou un état grave dont l’enfant souffrirait à sa naissance. Par contre, plus d’un quart des personnes (27%) estiment que c’est « dépasser les limites. Les pourcentages sont plus ou moins les mêmes lorsqu’il s’agit d’appliquer la même technique pour réduire le risque pour un bébé de développer une maladie grave au cours de sa vie. 60% y sont favorables, alors que le pourcentage de ceux qui trouvent que “c’est pousser trop loin” s’élève à près de quatre citoyens sur dix (38%). À peine un citoyen sur cinq (19%) estime que l’édition du génome en vue d’augmenter l’intelligence est une bonne chose. Pour 80% des personnes interrogées, cela n’est pas acceptable.
L’impact de la religion
L’enquête du Pew Research Center s’intéresse aussi à l’impact de la religion sur l’opinion publique. Les personnes très engagées sur le plan religieux [2] sont plus réticents à la pratique de l’editing génétique comme utilisation appropriée de la technologie médicale que les personnes moyennement ou faiblement engagées. Chez les personnes très engagées, près de la moitié (46%) est favorable à cette méthode pour réduire le risque qu’un enfant développe une certaine maladie plus tard dans sa vie. 53% la rejettent carrément, car elle estime que cela va “trop loin”. Le taux d’approbation chez les personnes à faible engagement religieux s’élève à 73%.
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Pour ce qui est des tests réalisés sur des embryons humains, le rejet est clair chez les personnes très engagées sur le plan religieux. En effet, 87%, soit près de neuf sur dix, pensent que la recherche va “trop loin”, alors que seulement 11% y sont favorables. En revanche, plus de la moitié (55%) des personnes à faible engagement religieux y est favorable.
Hommes et femmes
Les opinions divergent également entre les hommes et les femmes. Selon l’enquête du Pew Research Center, 65% des hommes — soit près de deux sur trois — se disent favorables à la technique de l’édition génomique visant à réduire le risque pour un bébé de développer une maladie grave au cours de sa vie, contre 54% des femmes. Ces dernières sont également moins favorables que les hommes aux interventions sur le génome pour traiter une maladie congénitale : 68% des femmes contre 76% des hommes. Environ un quart des hommes (24%) accepte également la modification génétique pour rendre les enfants plus intelligents, contre seulement 13 % des femmes.
Les femmes sont également plus réticentes face aux tests sur embryons humains pour développer l’editing génétique. Seule une femme sur quatre environ (24%) estime que cette pratique de la technologie est appropriée, contre 43% des hommes, c’est-à-dire plus de quatre sur dix.
Les femmes sont aussi plus pessimistes quant à l’avenir. En effet, seulement 14% d’entre elles pensent que l’édition du génome “apportera des avancées médicales significatives bénéficiant à l’ensemble de la société”, contre 23% pour les hommes. En outre, 63% d’entre elles craignent que cette technologie ne soit accessible qu’aux plus riches, et ne fasse alors que creuser le fossé des inégalités. Cette opinion est partagée par 52% des hommes.
Les scientifiques contre les moins scientifiques
Autre élément intéressant de l’enquête, la divergence d’opinion entre “les accros” de la science et ceux qui ont un faible niveau de connaissances scientifiques. Alors que 86% du premier groupe sont favorables à la correction de séquence génomique pour guérir une maladie grave ou congénitale, ce pourcentage tombe à 58% chez les moins scientifiques. Et il tombe encore plus bas (49%) si l’objectif est de réduire le risque pour un bébé de développer une maladie grave au cours de sa vie. Par contre, chez les personnes ayant de très bonnes connaissances scientifiques, ce taux est de 71%.
La baisse de ces pourcentages s’accentue ultérieurement quand on parle de réaliser des tests sur les embryons humains pour développer les techniques d’editing génétique. Chez les Américains ayant un excellent niveau de connaissances scientifiques, le taux d’approbation est de 50%. Il tombe à 26% — soit une personne sur quatre — chez ceux dont le niveau de connaissances est faible.
Il y a par contre très peu de différence entre les deux catégories concernant le recours à cette technique d’intervention pour rendre un enfant plus intelligent. Le taux d’approbation est de 24% chez les premiers et de 21% chez les seconds.
1] Le lien vers le rapport complet en format PDF se trouve en haut à droite (Rapport complet PDF) de la page Web.
2] Pour le Pew Research Center ces personnes sont celles qui assistent au culte au moins une fois par semaine, prient au moins une fois par jour et affirment que la religion joue un rôle très important dans leur vie.
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