Moins connu que le tombeau de Philippe le Hardi, le Puits de Moïse à Dijon est aussi l’œuvre de Claus Sluter. Mais il ne se contente pas d’incarner l’éclat des arts à la cour des ducs de Bourgogne. Il répond également à la spiritualité des Chartreux. D’abord c’est un vrai puits ! Il est alimenté par l’eau d’une rivière, l’Ouche. Ensuite, pour saisir le lien entre ce puits et Moïse, entre l’œuvre d’art et l’œuvre cartusienne (qui se rapporte à l’ordre des Chartreux), il faut remonter à la source du projet. En 1384, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi fonde la chartreuse de Champmol à Dijon, pour en faire la nécropole de sa famille. Il lance un chantier démesuré où se mêleront défis techniques (Champmol signifie champ marécageux) et révolution artistique. Le tombeau du duc avec son cortège de pleurants (conservé aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Dijon) sera placé dans le chœur de l’église. Les moines chartreux prieront ainsi chaque jour pour son salut.
Lire aussi :
10 lieux insolites à aller visiter cet été
La Grand Croix
Pour la chartreuse de Champmol, Philippe le Hardi commande trois ensembles sculptés : le portail de l’église, son tombeau en 1381 et la Grand Croix en 1395. En effet, le Puits de Moïse n’est qu’un vestige de ce qui était à l’origine une grande croix, haute de 15 mètres environ et composée de quatre éléments : un puits profond, une pile hexagonale sculptée de 7 mètres de haut surmontée d’une table de pierre formant Golgotha et enfin la croix sculptée aux armes du duc. La Grand Croix, réalisée entre 1395 et 1405 par Claus Sluter, n’a pas seulement une fonction décorative.
Une iconographie édifiante
Elle est placée au centre du cloître, un vaste carré de cent mètres de côté sur lequel donnent les cellules des moines. Elle se situe donc dans l’espace de la clôture, où seuls les moines ont accès, contrairement au tombeau qui est dans l’église. L’enjeu est d’offrir aux moines une iconographie édifiante, visible de loin sous tous les angles. Le sculpteur Claus Sluter a dû certainement discuter avec le prieur du monastère pour choisir une iconographie cartusienne tout en respectant les désirs du duc. La croix rappelle la devise de l’ordre fondé par saint Bruno : « Stat Crux dum volvitur orbis », le monde tourne, la croix demeure. Les personnages sculptés, fixés sur la pile hexagonale, sont les six prophètes de l’Ancien Testament, qui dans l’esprit cartusien ouvrent le chemin vers Dieu. D’où la présence de Moïse dans le décor de ce puits. Tout symbolise alors la vocation spécifique des chartreux. Chaque prophète renvoie, par son attitude et ses attributs, à leur vie quotidienne : l’écriture ou la copie (Zacharie), la règle (Moïse et les tables de la Loi), la lecture, le silence ou la solitude (Jérémie). Jérémie a les traits de Philippe Le Hardi… Même les anges en habit liturgique illustrent le canon de la messe selon la tradition cartusienne.
Claus Sluter fascine encore
Enfin, il faut dire un mot de l’artiste Claus Sluter surnommé le « Donatello du Nord ». Son oeuvre suscite l’admiration incontestée des historiens de l’art qui saluent le génie et l’ingéniosité de ce sculpteur des années 1400. Le puits de Moïse est tantôt qualifié de « monument essentiel de l’art médiéval tardif » ou de « chef d’œuvre annonciateur de la Renaissance ». La puissance expressive du Puits de Moïse, l’humanisme des visages, le réalisme des détails (ceinturon, pages de livre, boutons de manches) continuent d’être source d’émerveillement pour ceux qui prennent le temps de venir le découvrir au Centre hospitalier spécialisé La Chartreuse (visite organisée par l’Office de tourisme de Dijon).
Lire aussi :
Le souvenir du miracle eucharistique de Dijon reste vivace