Si le pape François change le Catéchisme de l’Église catholique, ce n’est pas d’abord un changement de doctrine, mais pour aider nos consciences à comprendre que les conditions qui encadraient la peine de mort dans la doctrine classique ont évolué.Ce n’est pas une surprise. Il y a un an, le pape François avait envisagé l’abolition de la peine de mort du Catéchisme de l’Église catholique en expliquant, devant les participants d’une rencontre organisée par le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, que la Tradition de l’Église est « une réalité vivante » et non pas « quelque chose de statique ». Le pape savait combien son propos pourrait en bousculer plus d’un qui lui opposerait d’emblée différents textes doctrinaux, magistériels ou autres.
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Certes, l’enseignement de l’Église avait envisagé comme une possibilité – et une possibilité seulement – la peine de mort. Certes, saint Thomas d’Aquin aussi. Mais oui, la conscience de l’Église a évolué, les mœurs ont évolué et les États aussi, dans leurs structures comme leur compréhension des choses. Ce fut à l’occasion du 25e anniversaire de la promulgation du Catéchisme de l’Église catholique que le pape actuel avait souligné que « le développement harmonieux de la doctrine […] demande d’abandonner des prises de position en faveur de questions qui apparaissent désormais absolument contraires à la nouvelle compréhension de la vérité chrétienne ».
La doctrine et sa compréhension
Faudrait-il faire la liste des points sur lesquels la doctrine a pu bénéficier d’une compréhension nouvelle ? Je sais bien que la tendance n’est plus à la nuance : soit le pape est opposé à la Tradition et on se doit de le contester, soit parce qu’il a parlé ou qu’il a décidé, cela serait nécessairement marqué du sceau de l’infaillibilité (on m’a opposé récemment cet argument sans grand fondement…).
Le pape lui-même avait d’ailleurs expliqué, à cette occasion, que
« cette question ne saurait se réduire au pâle souvenir d’un enseignement historique sans faire émerger non seulement les progrès doctrinaux opérés par les derniers papes, mais également l’évolution de la conscience du peuple chrétien, qui refuse une attitude consentante face à une peine qui nuit terriblement à la dignité humaine ».
Jusque-là, le Catéchisme de l’Église catholique précisait que « l’enseignement traditionnel de l’Église n’exclu[ait] pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains » (n° 2267). Et en cela, le pape François n’a donc pas changé la doctrine, mais sa compréhension à la lumière des conditions nouvelles qui sont les nôtres. En effet, le Catéchisme l’énonçait déjà : « Si celle-ci est l’unique moyen praticable… » Comment peut-on honnêtement et intellectuellement opposer saint Thomas d’Aquin (pour ne parler que de lui) et le pape François sur un point doctrinal si dépendant du contexte, si ce n’est en oubliant que près d’un millénaire les sépare ?
Le Catéchisme de l’Église catholique allait plus loin déjà :
« Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine. Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable “sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants”, se rapportant au pape Jean-Paul II, en 1995, dans Evangelium vitae, au n. 56. »
La peine et la justice selon l’Église
Le Catéchisme comprenait déjà en lui-même les nuances que le pape François vient d’appuyer, de confirmer, et de dépasser quelque peu. Mais pour bien les comprendre, il faut en revenir, en amont, à la compréhension de la peine et de la justice par l’Église, contrairement à l’idée que s’en font certains chrétiens, restés sans doute à la loi du Talion… Au numéro 468, le compendium du Catéchisme de l’Église catholique enseigne le but d’une peine dans l’ordre de la justice de ce monde :
« Une peine infligée par l’autorité publique légitime a pour but de réparer le désordre introduit par la faute, de défendre l’ordre public et la sécurité des personnes, et de contribuer à l’amendement du coupable. »
Et le n° 469 de poursuivre :
« La peine infligée doit être proportionnée à la gravité du délit. Aujourd’hui, étant donné les possibilités dont l’État dispose pour réprimer le crime en rendant inoffensif le coupable, les cas d’absolue nécessité de la peine de mort “sont désormais très rares, sinon même pratiquement inexistants” (Evangelium vitæ). Quand les moyens non sanglants sont suffisants, l’autorité se limitera à ces moyens, parce qu’ils correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun, ils sont plus conformes à la dignité de la personne et n’enlèvent pas définitivement, pour le coupable, la possibilité de se racheter. »
Si la peine doit être proportionnée à la gravité (exit la loi du talion), et que l’on doit aussi prendre en compte le caractère pleinement volontaire du délinquant, alors on comprend que la peine a pour but de réparer le désordre provoqué par la faute, de combattre toute forme de délit, de corriger de délinquant, et de protéger le bien commun et l’ordre public (qui comprend la sécurité des personnes) ; sans oublier le fait que la peine doit être infligée par l’autorité légitime (mais cela ne fait pas ici, l’objet du débat… enfin je l’espère !). De plus, l’une des conditions est la parfaite vérification de l’identité du délinquant : quid des erreurs judiciaires ?
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Le compendium du Catéchisme, sans doute assez méconnu, a encore précisé les conditions d’application de la peine de mort : cette peine appartenait à l’enseignement classique de l’Église parce qu’elle se basait sur trois finalités : le pouvoir de dissuasion (intimider les éventuels délinquants et prévenir les délits) ; la compensation ou une forme de réparation du délit ; la sécurité de l’ordre public pour éviter les délits futurs. Mais il faut bien constater qu’aujourd’hui, la première et la troisième finalité sont assurées par d’autres moyens.
Aider les consciences
Si le pape François change le Catéchisme de l’Église catholique, ce n’est pas d’abord un changement de doctrine, mais bien pour aider nos consciences à comprendre que les conditions qui encadraient la peine de mort dans la doctrine classique ont évolué. In fine, notre discernement doit donc évoluer lui aussi sur l’application de cette éventualité qui a toujours été comprise comme le dernier et ultime recours, sans autre solution efficace. Qui me fera croire aujourd’hui, au XXIe siècle, que d’autres recours efficaces n’existent pas ? C’est pourquoi je ne comprends pas comment ce changement peut heurter les consciences de certains, si ce n’est à croire que leur compréhension de la justice se réduit à la seule punition du coupable : plus le délit serait grand, plus la punition se devrait d’être grande.
Si le pape François nous bouscule, c’est pour mieux nous faire prendre conscience que, de nos jours, extrêmement rare est la nécessité de recourir à la peine de mort, pour ne pas dire inexistante. Les possibilités dont disposent les États pour combattre efficacement le crime et rendre inefficaces les délinquants sont plus développées qu’à l’époque de saint Thomas d’Aquin. Et que l’on ne vienne pas opposer à cela le fait que la perpétuité n’existe pas concrètement, comme j’ai pu le lire ici ou là…
Mais comme souvent, c’est bien une conversion du cœur qu’il nous faut opérer : croire et sans cesse espérer en l’éventualité d’une repentance, quel que soit le péché, plutôt que d’assouvir toute forme de vengeance qui nous dédouanerait, au fond, d’accompagner tout pécheur et de croire en sa repentance. N’est-ce pas là sa dignité immuable ? Or l’absence de l’accompagnement du pécheur, quoi que cela nous coûte, ne serait-il pas, au fond, une violence plus grande que la miséricorde qui peut s’exercer jusque dans nos prisons ? Et là, c’est bien saint Thomas qui le dit : « Si pour se défendre, on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite » (Compendium, n° 2264).