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Asia Bibi entre dans sa dixième année de détention

ASIA BIBI

MARTIN BUREAU / AFP

Paul De Maeyer - publié le 16/07/18

Malgré les pressions et les risques qu'elle encourt pour sa vie, Asia Bibi a toujours refusé de renier sa foi. Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) sollicite aujourd'hui l’Onu pour qu'elle demande au Pakistan de supprimer ou amender ses lois sur le blasphème.

Au cours des travaux de la 38e session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui s’est tenue du 18 juin au 6 juillet 2018 à Genève, en Suisse, le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) a présenté une déclaration sur l’impact des lois sur le blasphème au Pakistan et attiré l’attention sur le sort de l’une de leurs victimes les plus connues au monde, Asia Bibi.

“Les lois sur le blasphème de la République islamique du Pakistan représentent une menace continue pour les minorités religieuses”, relève la déclaration du 25 juin dernier, diffusée sur le site de l’ECLJ. L’organisme basé à Strasbourg cite à l’appui la mention la plus controversée et la plus sujette aux abus du Code pénal pakistanais : “Quiconque par des mots, à l’oral ou à l’écrit, soit par représentation visible ou par imputation, sous-entendu ou insinuation, directement ou indirectement, souille le nom sacré du Saint Prophète Mohamed […] sera puni de mort, ou d’emprisonnement à vie, et sera également passible d’amende”.

Un millier de cas de blasphèmes relevés

Depuis la promulgation de ces lois en 1986, “plus d’un millier de cas de blasphème ont été enregistré, plus de cinquante personnes ont été tuées par des foules ou des individus musulmans de façon extra-judiciaire, et au moins quarante personnes sont actuellement dans les couloir de la mort ou purgent une peine de prison à vie”, selon l’ECLJ tout en soulignant que la majorité des allégations de blasphème sont “fausses”. “Nous exhortons le Conseil des droits de l’homme à enquêter sur les cas de blasphème, les meurtres extra-judiciaires et à demander au Pakistan de supprimer ou amender ses lois sur le blasphème, de libérer des victimes innocentes, comme Asia Bibi, et de livrer à la justice les responsables des violences”.


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Le cas d’Asia Bibi est connu dans le monde entier. L’histoire de cette mère chrétienne de cinq enfants, emprisonnée depuis neuf ans, est emblématique de la situation des chrétiens au Pakistan et des pressions exercées sur les juges par les forces extrémistes. Tout a commencé en juin 2009, lorsque l’ouvrière agricole offre à ses collègues musulmanes de boire de l’eau de son verre. Cela a fini en dispute, au cours de laquelle Asia Bibi aurait dit que Jésus est vivant, mais Mahomet mort. Celle-ci est alors arrêtée et accusée d’avoir offensé le Prophète. Le procès en première instance s’est terminé en 2010 par une condamnation à mort par pendaison. Sentence confirmée en appel en 2014. Jusqu’à présent, la Cour suprême d’Islamabad, qui représente la troisième et dernière instance, n’a pas encore statué.

Défendre Asia Bibi, c’est risquer la mort

La retenue des juges suprêmes est, dans une certaine mesure, presque compréhensible. Renverser la sentence et libérer Asia Bibi provoquerait une avalanche de protestations, mais tous — que ce soit Asia, dont la tête est mise à prix ou les juges — risquent en plus d’être tués par des extrémistes islamiques. Certaines personnes, pour avoir défendu la cause de la femme, ont été en effet assassinées ou forcées à l’exil. Le gouverneur de la province du Pendjab, Salmaan Taseer, qui était allé trouver Asia à la prison de Shekhūpura (près de Lahore) et s’était prononcé publiquement en faveur d’une révision de la loi sur le blasphème, qualifiant cette loi de “loi noire” a été tué le 4 janvier 2011 par son garde du corps, Malik Mumtaz Hussein Qadri.


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Un autre partisan d’Asia Bibi, le catholique Shahbaz Bhatti, ministre des minorités religieuses de l’époque au Pakistan, a été tué le 2 mars 2011, soit moins de deux mois après Salmaan Taseer, devant son domicile à Islamabad, la capitale. L’assassinat a été revendiqué par le groupe djihadiste Tehrik-i-Taliban Punjab (TTP). L’homme politique est vénéré par l’Église comme Serviteur de Dieu. Sa Bible est conservée à Rome dans la basilique San Bartolomeo, sur l’île Tibérine, liée à la mémoire des “nouveaux martyrs”. À la suite de plusieurs menaces, le directeur de la Legal Evangelical Association Development (LEAD), Sardar Mushtaq Gill, défenseur d’Asia Bibi pendant de longues années, a dû fuir à l’étranger, début 2017. Le 1er avril 2015, des inconnus ont tiré sur son frère, Pervaiz Gill, qui, heureusement, n’a été que blessé.

Les partisans des lois anti-blasphème

Il y a en effet ceux qui défendent vigoureusement les lois contre le blasphème. Parmi ceux-ci, se distingue le Khatm-e-Nubuwwat Lawyers’ Forum, appellation qui pourrait se traduire par “Mouvement pour la défense du Prophète” signale l’AED (Aide à l’Église en détresse). Ce groupe réunit des centaines d’avocats et d’experts en droit qui supervisent la mise en œuvre de la législation. Selon la fondation de droit pontifical, depuis la création du Forum en 2001, le nombre de plaintes a triplé dans la seule province du Pendjab, atteignant en 2014 son point culminant avec 336 cas. L’objectif du groupe dirigé par Ghulam Mustafa Chaudhry est de s’assurer que quiconque insulte l’islam ou Mahomet soit mis en examen, jugé et exécuté. Selon Maître Chaudhry, qui a aidé le meurtrier de Salman Taseer, la seule punition pour le blasphème est la mort. « Il n’y a pas d’alternative », a-t-il dit. Rien d’étonnant donc à ce que cet avocat ait également assisté l’accusateur d’Asia.

Autre grand défenseur des lois anti-blasphème, le nouveau parti islamiste Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), fondé en 2015 par le prédicateur Khadim Hussain Rizvi. Son objectif est de “porter la religion du Prophète sur le trône”. Cette nouvelle formation politique est née du mouvement de soutien en faveur de Mumtaz Qadri. Ce dernier est considéré par beaucoup comme “un héros de l’Islam”. Dans la capitale, Islamabad, une mosquée lui a été dédié. Et le juge qui l’a condamné à mort, Pervez Ali Shah, dont la famille a reçu des menaces de mort, a dû quitter le pays et se réfugier en Arabie Saoudite.

Un sympathisant du TLP a tenté de tuer le ministre pakistanais de l’Intérieur, Ahsan Iqbal Chaudhary, le 6 mai dernier. L’attentat visait à protester contre une loi signée en octobre 2017 par le président Mamnoon  Hussain – retirée ensuite à cause d’une prétendue “erreur de transcription” – qui abolit, entre autres, les listes électorales séparées pour les Ahmadis, une branche de l’islam considérée comme hérétique dans le pays, car ne reconnaissant pas Mohammed comme le dernier prophète [1].

La loi sur le blasphème, un prétexte

Pour les radicaux, la loi sur le blasphème est un prétexte facile pour frapper les minorités et les faibles. Point de vue soutenu par feu Salman Taseer. “La loi sur le blasphème n’est pas une loi faite par Dieu mais par l’homme”, avait déclaré le gouverneur du Pendjab lors d’un entretien avec la CNN  deux mois avant sa mort. Cette loi, avait-il précisé “a été faite par le général Zia-ul Haq, et la partie sur la condamnation à la peine de mort insérée par Nawaz Sharif. C’est donc une loi qui donne une excuse aux extrémistes et aux réactionnaires pour frapper les personnes faibles et les minorités”.

“Ce que je trouve inquiétant c’est qu’en regardant les centaines de personnes traduites en justice en vertu de cette loi, on se demande où sont les riches. Pourquoi les cibles ne sont que les pauvres et les personnes sans défense ? Pourquoi plus de 50% d’entre eux sont des chrétiens alors qu’ils représentent moins de 2% de la population du pays ? Cela indique clairement qu’il y a un abus de cette loi pour frapper les minorités”, avait également déclaré Salman Taseer dans un autre entretien avec Newsline, un mois plus tard.

Comme il ressort clairement d’un document publié en 1994 par Amnesty International, les accusations de blasphème cachent souvent des jalousies ou rivalités professionnelles. Les personnes accusées de blasphème ont souvent du mal à trouver des avocats disposés à les défendre devant les tribunaux, parce qu’ils sont eux-mêmes menacées de mort. En outre, même ceux qui sont acquittés restent exposés à un harcèlement continu et à des menaces de mort, comme dans le cas d’un chrétien de Karachi, Chand Barkat.

Exécutions extrajudiciaires

Le problème des exécutions extrajudiciaires ou lynchages de personnes accusées de blasphème contre le Coran, le prophète Mahomet ou l’Islam en général, est un problème extrêmement grave, souligne la déclaration du CELJ. Le meurtre barbare et inhumain d’un couple chrétien, Shahzad Masih, 26 ans, et Shama Bibi, 24 ans, brûlés vifs dans un four à briques pour blasphème, en novembre 2014, a provoqué douleur et consternation. Le mari  était accusé d’avoir brûlé des morceaux du Coran. Le couple vivait près de Kot Radha Kishan, au sud de Lahore. Ils avaient trois enfants et attendaient le quatrième.

Un autre décès, celui de Sharoon Masih, 17 ans, élève du lycée public de Burewala dans la province du Pendjab, le 30 août 2017, est à la fois inquiétant et emblématique, car il rappelle le début du calvaire d’Asia Bibi : un simple verre d’eau. La faute du jeune chrétien était d’être le seul étudiant chrétien de toute la classe. Il a été lynché par ses propres camarades de classe “pour avoir puisé et bu de l’eau du même verre utilisé par d’autres étudiants”, a rapporté l’agence Fides.


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Être chrétien au Pakistan signifie vivre dangereusement. On se saurait donc s’étonner que ce pays d’Asie figure à la cinquième place de l’index mondial  des pays — la World Watch List — où il est le plus difficile d’être chrétien, dressée par l’Ong Portes Ouvertes.


1] Le cas des Ahmadis illustre bien que toutes les minorités religieuses sont en danger au Pakistan. En 1974, le premier ministre de l’époque, Zulfikar Ali Bhutto – le père de Benazir Bhutto – avait déclaré que les Ahmadis étaient une communauté non pas de musulmans mais de kafir, c’est-à-dire une communauté de “mécréants” ou “infidèles”. Dix ans plus tard, en 1984, le général Zia-ul Haq interdisait au mouvement Ahmadiyya de se dire musulmans ou de répandre leur foi.

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