Aleteia vous fait découvrir en exclusivité les bonnes feuilles de la première biographie consacrée au père Jacques Hamel.
« Que cet exemple de courage, mais aussi le martyre de sa propre vie, de se vider de soi-même pour aider les autres, de faire de la fraternité entre les hommes, nous aide tous à aller de l’avant sans peur. Que lui, du Ciel […] nous donne la douceur, la fraternité, la paix, et aussi le courage de dire la vérité : tuer au nom de Dieu est satanique ». C’est en ces termes que le pape François avait évoqué, en décembre dernier, le père Jacques Hamel. Alors que son procès en béatification a été ouvert en mai Armand Isnard, auteur et réalisateur de films pour la télévision, a décidé de prendre la plume afin de donner à comprendre qui était le père Jacques Hamel. Dans cette biographie inédite intitulée Père Jacques Hamel, c’est avec une grande délicatesse et de bouleversants témoignages — sa sœur Roselyne Hamel, l’archevêque de Rouen Mgr Lebrun… — que l’auteur lève progressivement le voile sur « l’homme qu’était le prêtre et le prêtre qu’était l’homme ».
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Un contexte familial douloureux
Avec une grande simplicité, Roselyne [la sœur cadette du père Hamel, Ndlr] raconte l’histoire familiale et ses difficultés: « La foi aide dans les épreuves, et nous avons eu notre lot. Nos parents avaient divorcé. Notre père était resté en Normandie, et ma mère était repartie dans le Nord. Elle était tisserande et vivait très pauvrement. Mais, tous les matins, elle allait travailler avec le chapelet dans la poche de sa blouse et priait en regardant les métiers à tisser. Elle nettoyait l’église, astiquait les cuivres, faisait du ménage chez les religieuses qui vivaient en face de chez elle. » Une foi familiale partagée par les enfants, en dépit des démêlés entre les parents séparés: « À ma profession de foi, à l’ordination de Jacques, elle était cachée derrière un pilier. C’était l’époque où les divorces étaient rares et on ne voulait pas faire d’histoires. Dans la cour de l’école, certains parents conseillaient à leurs enfants de ne pas jouer avec “ces enfants-là”. Jacques, lui, a souffert de cette situation, de voir notre mère se cacher aux grandes occasions… »
De sa famille, Jacques Hamel a aussi reçu la vie simple qu’oblige une certaine pauvreté. Il n’a jamais oublié ses origines modestes, ce qu’il exprimait à travers une solidarité familiale impressionnante. Bien sûr, il a suivi les études normales de tout séminariste, mais est demeuré un homme simple, alors que les connaissances acquises, les responsabilités pastorales auraient pu lui monter à la tête. D’un autre côté, cette pauvreté aurait pu détourner le jeune homme de sa vocation. Au contraire : non seulement son désir de suivre le Christ en a été affermi, mais l’exemple maternel l’a conforté. Et par la suite, il a entraîné les siens dans cette solide confiance en Dieu. La foi éprouvée au gré d’une histoire familiale chaotique a par exemple profondément marqué Roselyne comme son frère Jacques […]
La foi ne protège pas des difficultés familiales. Ces dernières restent une épreuve : « Face aux incohérences du malheur, on se demande où est l’amour de Dieu… Ne voit-il pas ce qu’on essaie de faire de bien sur la terre ? », s’interroge Roselyne, à qui rien n’est épargné. Quelques semaines après la mort de son frère, une personne bien intentionnée l’interpelle encore : « S’il y avait un bon Dieu, vraiment, ça ne serait pas arrivé. » C’est elle, membre de la famille, qui trouve et donne un sens au sacrifice : « Jacques était l’apôtre de Dieu, le disciple. Le premier martyr pour sa foi, c’était Jésus, puis il y a eu les disciples. Je partageais la foi de mon frère. Nous devons suivre le Christ… »
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L’amour de la Liturgie
Quel prêtre peut-il être ? Rien de tel que de petits faits pour décrire la personnalité discrète de celui qui, sa vie durant, reste fidèle à sa vocation et aussi à ses habitudes. Par exemple, Jacques Hamel apporte un soin tout particulier à ses homélies, multipliant les brouillons. Il lit les différentes versions à sa mère qui s’en amuse : « Il ne sera pas content tant que la corbeille ne sera pas à moitié remplie », soupirait-elle. Perfectionniste en tout, le célébrant est aussi très attentif aux chants, aux moindres détails : rien ne doit être laissé au hasard, et c’est sa foi qui s’exprime dans cette exigence.
Une anecdote met bien en valeur la justesse de son attitude qui peut être jugée un peu dure… Tout juste nommé archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun visite le doyenné Rouen-Sud, avec une célébration à Saint-Étienne-du-Rouvray. « J’étais à côté de lui quand nous sommes rentrés à la sacristie, se souvient le père Jean de Blangermont, prêtre du diocèse de Rouen de la même génération. Il était en pétard, excusez-moi le terme, parce que la chorale africaine, qui avait la responsabilité de l’animation, avait choisi un certain nombre de chants que l’assemblée ne connaissait pas. Seule la chorale chantait. Il m’a dit: “Ce n’est pas normal, ils se sont encore imposés, ce n’est pas conforme au Concile, le Concile a bien dit que le chant, avant tout, c’est le chant de l’assemblée.” »
Un prêtre des périphéries
Aujourd’hui, seuls quelques proches sont en mesure de témoigner de la façon de vivre sa foi du père Hamel. Une foi si profonde et en même temps « enfouie ». « Je pense que le père Hamel était un homme de Vatican II, souligne le père Vigouroux, postulateur chargé de préparer le dossier de béatification du père Hamel. Il avait vécu le Concile. Il voulait vivre aussi dans les quartiers périphériques de Rouen, avec la population, s’enraciner vraiment dans le tissu humain. C’est en ce sens qu’il accueillait au presbytère toute personne, quelle que soit sa condition, pour tout ou pour rien. »
Aujourd’hui responsable du dialogue avec l’islam, le père Pierre Belhache a été pendant six ans curé à Saint-Étienne-du-Rouvray, avant l’arrivée du père Auguste, en poste au moment de l’assassinat: « Jacques Hamel n’était pas particulièrement engagé dans le dialogue interreligieux mais, habitant dans une ville comme Saint-Étienne-du-Rouvray qui accueille diverses nationalités et traditions, il était au contact de cette population très diversifiée, et notamment des personnes de confession musulmane, se souvient l’ancien responsable de la paroisse. C’était un homme très simple qui, d’une certaine manière, ne cherchait pas à approfondir les relations mais les vivait simplement. Quand il avait un contact avec des familles musulmanes, il appréciait la richesse de ces dialogues. »
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Le père Hamel ne manque pas une occasion de faire mention de cette étape capitale pour l’Église catholique que fut Vatican II. C’est un prêtre du Concile. Ordonné avant même la convocation du Concile par le bon pape Jean XXIII, il vit les premières années de son sacerdoce avec en toile de fond ce grand bouleversement de l’Église. Il a connu aussi toutes les crises qui ont suivi, mais il est resté fidèle. « Il ne cessait de nous dire que peu de prêtres avaient résisté à ces changements, témoigne le père Auguste Moanda-Phuati. On le sentait solide dans ses positions, s’appuyant sur ce que l’Église demandait de croire. Et quand la doctrine ou le Magistère décrétaient quelque chose, il était prêt à le suivre. C’était le secret d’une foi solide. »
L’Algérie
Le père Hamel n’a pas à attendre de célébrer sa première messe pour souffrir. Jamais, par exemple, il n’oubliera ce 4 novembre 1954, date à laquelle il part pour l’Algérie via Marseille, à bord du Général Chanzy. Trois années plus tard, il est ordonné en la cathédrale de Rouen, l’épreuve ne l’ayant pas détourné du sacerdoce.
La traversée est déjà une épreuve, Jacques Hamel étant saisi par le mal de mer. Mais ce n’est qu’un début: à l’arrivée dans le port d’Alger, il est séparé d’avec les autres jeunes gens de son contingent. Il est simple sergent mais, au vu de ses études, ses gradés lui proposent de passer par l’école des officiers. « Demander à des hommes de tuer d’autres hommes, c’est pas possible pour moi », réplique-t-il. On lui trouve alors un poste à responsabilités aux transmissions, adapté à sa réaction: il doit garder et protéger les munitions dans de grands hangars, enregistrer ce qui sort, ce qui rentre… « On nous confiait aussi des dossiers secrets, à porter d’un bout à l’autre d’Alger, sans arme. Au début de la guerre, nous étions obligés de ne pas porter d’arme pour ne pas avoir l’air de provoquer les indépendantistes. » À sa sœur qui s’inquiète, craignant pour lui, il répond simplement: « Le bon Dieu est avec moi. »
Il ne croit pas si bien dire… Un épisode le marque pour toute son existence, tant il reste énigmatique à ses yeux. Il est parfois amené à effectuer des déplacements, par exemple comme chauffeur d’un gradé. À l’entrée d’une oasis, Jacques Hamel entend distinctement une rafale de mitraillette. Pas de doute, la jeep est visée : les passagers à l’arrière sont mortellement touchés. Seul survit le conducteur. Bien des années après, il s’interroge encore : « Je suis resté à mon volant, me répétant: qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi moi ? Pourquoi je suis encore là ? » Survivre peut parfois être traumatisant, en tout cas marquer toute l’existence…
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La force de la fragilité
Le père Hamel cherche et s’interroge. Il aime évoquer le jeune homme qu’il était, dont la santé avait été florissante jusqu’au jour où, tombé malade, il dut être hospitalisé: « À l’hôpital, tout a commencé à aller mieux lorsque j’ai été assez fort pour montrer ma fragilité. J’ai pleuré et ma vie a pu renaître de ces larmes. » Être chrétien aujourd’hui, « c’est une recherche patiente, une ouverture à la vie, à Jésus-Christ, qui nous rend forts quand nous le laissons entrer, en reconnaissant notre fragilité. » La faiblesse de la force est qu’elle ne croit qu’à la force. […]
Même la silhouette frêle du père Jacques peut laisser croire à sa fragilité. En apparence seulement. Car il suffit, semble-t-il, de le regarder pressant la croix dans ses mains pour se convaincre du contraire. Son énergie, sa résistance physique, témoignent de sa force spirituelle puisée dans sa consécration intime à Dieu. Le Christ a une place importante dans sa vie : la croix, la spiritualité de la croix ne sont pas étrangères à sa vocation. Et si le Christ est là, présent, tout au long de sa vie, il le soutient certainement beaucoup et l’accompagne dans les dernières minutes de son chemin sur terre. Quelques jours encore avant l’horrible assassinat dont il sera victime, l’octogénaire effectue une marche de huit kilomètres, entre Mesnières-en-Bray et Neufchâtel-en-Bray. On pense à saint François d’Assise qui, sous sa rugueuse écorce, avait une âme tout à la fois forte et exquise. […]
Quel âge a le père Hamel lorsqu’il dit: « Pour prouver notre amour, nous n’avons que cette vie et peut-être même nous en reste-t-il peu »? Il est né pour aimer et comprend très tôt qu’il convient d’aimer si l’on veut être aimé. Qu’importe si parfois « je l’aime beaucoup » est suivi de « mais »… Qu’importe s’il y a de sa part une légère maladresse — ne dit-on pas de lui qu’il a « deux bras gauches » ? Qu’importe qu’il soit teigneux, selon la propre expression amoureusement exprimée de sa sœur Roselyne, au point que ceux qui ont quelques raisons de le critiquer s’amusent à dire que, souvent, « on avait l’impression qu’il allait nous mordre ». Qu’importe ! Sait-il que certains l’appellent secrètement « le mouton », car il a la réputation de ne pas savoir dire non et se laisse tondre facilement ? Chaque jour, à l’heure de son réveil, le père puise dans le trésor de son cœur la conviction que personne n’est trop pauvre pour avoir quelque chose à partager.
L’Évangile au quotidien
Le père Hamel n’est qu’un modeste mais exemplaire curé de campagne dont nous n’aurions jamais entendu parler sans ce drame. « C’était un prêtre de paroisse qui, comme dit le psaume, portait le poids du jour et de la chaleur, pour le tout-venant, précise Mgr Lebrun. Vous savez, faire le catéchisme, par exemple, être là avec les enfants qui s’intéressent ou qui s’intéressent moins, qui sont un peu nerveux, ce n’est pas si évident que cela. » Et l’archevêque de Rouen poursuit le portrait avec tendresse : « Il vivait avec son peuple, allait acheter sa baguette de pain, attendait, comme tout le monde, le plombier. Le père aimait aussi dessiner pour les enfants du catéchisme : je revois encore, sur le tableau, le dessin de sa dernière rencontre, probablement au mois de juin. »
Un homme de foi qui vit à travers sa propre existence une sorte d’incarnation, de traduction concrète de l’Évangile : « Quand vous lisez ses petits papiers dans la feuille paroissiale, quand vous écoutez ses homélies, c’est vrai que c’est vraiment tout simple, constate le père Vigouroux. C’est vraiment l’Évangile au quotidien qu’il vivait. » C’est ce qui est à la fois si beau et si simple, et en même temps, si extraordinaire. Parce que l’Évangile au quotidien est un défi de tous les instants.
Père Jacques Hamel, Armand Isnard, Artège, juin 2018, 172 pages, 15,90 euros.