En RD-Congo, l’Église a pris la tête de l’opposition au régime de Joseph Kabila. Ce dimanche 21 janvier, un collectif catholique appelle à une grande manifestation contre la dictature. Le journaliste Laurent Larcher, qui couvre l’Afrique au service Monde du quotidien La Croix, explique pourquoi l’Église s’engage ouvertement dans la dissidence politique.Aleteia : La République démocratique du Congo (RD-Congo) s’enfonce dans la crise. Des massacres ont été signalés au centre du pays. À Kinshasa, les manifestations contre le gouvernement s’enchaînent sans discontinuer mais sont violemment réprimées. Les catholiques se sont imposés comme le fer de lance de l’opposition au régime, avec le soutien de Rome et des puissances occidentales : que demande l’Église au gouvernement congolais ?
Laurent Larcher : L’Église demande l’application de l’accord que le gouvernement a signé, sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale congolaise (Cenco), avec l’opposition, le 31 décembre 2016. Le gouvernement s’était engagé à mettre en place une transition politique, en attendant l’organisation d’élections présidentielles, législatives et communales d’ici à la fin de 2017. Un an plus tard, rien n’a été fait.
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Pourquoi l’Église prend-elle la tête de la résistance ?
Sur le plan intérieur, l’opposition politique est décapitée depuis la disparition, le 1er février 2017, de l’opposant historique Étienne Tshisekedi. Les mouvements issus de la société civile — ceux de la jeunesse en premier lieu — qui ont été en pointe dans la lutte contre Joseph Kabila, sont aujourd’hui affaiblis après avoir été brutalement réprimés. Plus d’une centaine de manifestants ont été tués par les forces de l’ordre entre le 19 septembre et le 19 décembre 2016, sans compter 290 blessés et 1000 personnes arrêtées. La Cenco a d’abord supervisé le dialogue entre le pouvoir et l’opposition pour arrêter cette spirale de la violence. Elle le fait d’autant mieux que le pape François la soutient en ce sens.
Traditionnellement neutre, pourquoi l’Église s’engage-t-elle de manière aussi directe dans les affaires de l’État ?
Depuis l’Indépendance de la RDC, l’Église catholique s’est souvent trouvée en position délicate avec le pouvoir. Sous Mobutu, elle était la seule institution qui ne lui était pas entièrement soumise. Entre 1972 et 1976, par exemple, le bras de fer a été violent entre elle et le régime. De fait, l’Église catholique est la seule institution debout dans ce pays et elle possède une réelle autorité morale : à plusieurs reprises, elle a été appelée à intervenir comme médiateur dans le champ politique.
Enfin, il y aussi le rôle des laïcs. Les chrétiens de RDC sont capables de se mobiliser comme ils l’ont fait une première fois le 16 février 1992 : à l’appel d’un collectif d’intellectuels, les catholiques étaient descendus dans la rue pour soutenir les aspirations démocratiques et libérales au Zaïre. Fortement réprimée (40 morts), cette mobilisation des catholiques a fait école. C’est sur le modèle de 1992 qu’un collectif de laïcs catholiques a appelé à la marche du 31 décembre 2017, et à nouveau ce dimanche 21 janvier.
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Quel est le poids réel de l’Église dans la société en RD-Congo ?
L’Église catholique compte 35 millions de fidèles soit à peu près la moitié de la population. Elle pèse dans la société à travers ses diocèses et ses paroisses : seule son administration est organisée, hiérarchisée et présente dans l’ensemble du territoire de la RDC. Elle pèse aussi par ses écoles et ses centres de santé. Mais depuis l’intervention directe de l’Église en faveur de la libéralisation du pouvoir, au début des années 1990, on ne peut pas dire que ce pays ait fait d’énormes progrès. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé des jeunes Congolais à lancer des mouvements comme “Y’en a marre” au Sénégal ou le “Balais citoyen” au Burkina Faso. Toutefois, à chaque fois que le pouvoir s’est directement attaqué à l’Église, celui-ci a toujours fini par reculer. Le poids social de l’Église est trop important dans ce pays où rien d’autre ne fonctionne vraiment, pour s’en débarrasser sans grand dommage pour tout le monde.
Les relations entre le cardinal archevêque de la capitale, Mgr Laurent Monsengwo, et le gouvernement sont notoirement détestables : ces tensions sont-elles anciennes ?
En 1992, à la demande de Mobutu, Mgr Laurent Monsengwo a présidé la Conférence nationale souveraine (CNS) chargée de préparer une réforme constitutionnelle. Il a aussi présidé le parlement de transition, le Haut Conseil pour la République, de 1992 à 1996. Pendant ces années, il n’était pas vraiment un opposant au régime, il l’a plutôt accompagné dans ses tentatives de réformes et d’assouplissement. En revanche, il a toujours été très hostile aux Kabila, père et fils, comme souvent l’Église de l’Ouest, à la différence de l’Église de l’Est, réputée plus conciliante avec eux1.
Face à l’opposition catholique, le gouvernement a tenté de faire croire que le Vatican critiquait l’engagement de l’Église congolaise. Mais le nonce l’a ouvertement soutenue. À Rome, Mgr Monsengwo est très apprécié. Benoît XVI l’a élevé au rang de cardinal en 2010. Et depuis 2013, il est l’un des huit cardinaux choisis par le pape François pour le conseiller dans le gouvernement de l’Église et la réforme de la curie, le G8.
L’exemple de la résistance des catholiques de RDC peut-il faire tâche d’huile en Afrique ?
Si les catholiques réussissent à contraindre le régime à organiser l’élection présidentielle et si Joseph Kabila ne préside plus ce pays à la suite de cette élection, il y a des chances que leur résistance fasse école comme le montrent les succès sénégalais de “Y’en a marre” et burkinabé du “Balai citoyen”. Mais faut-il encore que les catholiques pèsent véritablement dans leur pays, ce qui est loin d’être le cas dans toute l’Afrique. Les présidents à vie renversés ces derniers temps en Afrique, l’ont été par des manifestations issues de la société civile comme au Burkina et en Gambie ou par le parti présidentiel comme au Zimbabwe. Dans les autres pays où leur pouvoir est contesté par la rue, comme au Togo en ce moment, je remarque que l’Église catholique est plutôt discrète.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
1Dans les années 2000, l’abbé Malu Malu, un prêtre originaire de l’Est, a été nommé par Joseph Kabila à la tête de la Commission électorale indépendante. À ce titre, il devait superviser les élections en 2005 et 2006 (dont la présidentielle). Un rôle plutôt bien accueilli à l’Est mais ouvertement critiqué à l’Ouest. Avec sa disparition en 2016, Joseph Kabila a certainement perdu un allié dans l’Église congolaise.