Tandis qu’une nouvelle traduction du Notre-Père est entrée en vigueur ce 3 décembre, premier dimanche de l’Avent, le père Guillaume de Menthière propose dans « Redécouvrir le Notre Père » (Salvator) de se ré-approprier cette prière essentielle que nous disons bien souvent du bout des lèvres sans forcément nous rendre compte des paroles que nous prononçons.Aleteia : « à la longue », on le rabâche un peu le Notre-Père, non ?
Père Guillaume de Menthière : Oui effectivement, d’ailleurs l’introduction du Notre-Père dans l’Évangile de Matthieu a cette fameuse phrase « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés ». Nous sommes invités à dire le Notre-Père non pas comme une prière rabâchée, mais au contraire comme une prière consciente de ce celui à qui elle d’adresse. Les deux premiers mots du Notre-Père sont déjà une déflagration tout à fait étonnante. Nous nous adressons à celui qui est « Notre Père » et que nous professons comme Dieu. Rien que cela c’est impressionnant. Je pense à l’histoire de cette vachère mystique qui disait qu’elle ne pouvait pas aller plus loin que ces deux mots là, puisqu’à chaque fois qu’elle prononçait « Notre Père », et qu’elle songeait à celui qui dans les cieux est son Père, elle était bouleversée et restait dans cet état toute la journée. C’est cette redécouverte que nous devons faire. Combien de chrétiens récitent ou bâfrent du Notre-Père sans se souvenir de Celui à qui il s’adresse.
Peut-on adresser d’autres prières à Notre Père ?
Bien sûr que nous pouvons adresser d’autres prières à Notre Père. D’ailleurs l’Église ne s’en prive pas, à commencer par la prière des psaumes que nous disons si souvent à l’Office divin. Il y a bien d’autres prières qui sont possibles. Mais néanmoins toutes les prières doivent rejoindre celle du Notre-Père qui nous a été donnée par Dieu lui-même —on l’appelle l’oraison dominicale. Ce sont les mots même que Jésus nous donne pour prier. Et finalement ce que nous dit Jésus en saint Matthieu c’est : ne multipliez pas les paroles vous-mêmes, vous n’avez pas besoin d’inventer des choses compliquées ou d’aller chercher midi à quatorze heure, tout ce que vous pouvez légitiment demander à Dieu votre Père est déjà compris dans ces quelques mots que je vais vous donner et qui est la prière du Pater.
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On a envie de dire beaucoup de chose à Notre Père. La prière du Notre-Père se distingue pourtant par une extraordinaire sobriété.
C’est une sobriété qui est très étonnante, qui tranche quand on connaît les prières orientales où il y a parfois une espèce d’inflation de paroles et où on aime rajouter des adjectifs et des qualificatifs. Or cette prière du Notre-Père frappe par son extraordinaire concision. Le Seigneur Jésus nous dit vous n’avez pas besoin de rajouter ou de multiplier des paroles, ces quelques mots là suffisent et tout ce que vous pouvez demander par ailleurs et qui est légitime se retrouve inclus en quelque sorte dans cette demande du Notre-Père. Souvent nous présentons à Dieu nos demandes, mais nous ne savons pas si elles sont légitimes. Sommes-nous si sûrs que c’est pour notre bien ? Par exemple je demande de réussir mon examen, c’est légitime. Il n’y a pas de mal à prier pour que le Seigneur nous aide à réussir un examen. Mais est-on sûr que la réussite de cet examen sera notre vrai bien ? On en sait rien. Dieu seul sait ce qui est bon pour nous. En tout cas, tout ce qu’il est légitime de demander est déjà contenu dans le Notre-Père. Toutes nos prières doivent rejoindre, par un biais ou un autre, la prière du Notre-Père.
Est-ce une prière à dire tous les jours ?
Oui. Et je vais même reprendre les mots d’une figure de la littérature un peu inattendue pour vous le dire. Michel de Montaigne disait qu’il voudrait qu’on ait sans cesse le Pater à la bouche. Et que cette prière est « suffisante, sinon seulement du moins toujours » disait-il dans son langage du XVIe siècle. Cette prière-là suffit, mais finalement c’est toujours vers cette prière là que nous devons tendre. En effet, le spectre de la prière est extrêmement large, tout cri du malheureux est une prière comme le dit le psaume : « Un pauvre crie, le Seigneur entend ». Même s’il crie dans l’absolu, sans même savoir à qui il s’adresse, ce cri est une prière, informulée, anonyme, mais une prière quand même. C’est le premier bout du spectre de la prière, et à l’autre bout, à l’autre extrémité, il y a la prière du Notre-Père. Finalement récitée et en pleine conscience. Entre cette prière informulée, la violente clameur des Hébreux criant après Pharaon et le Notre-Père, où la prière de Jésus, du fils, pleinement articulée, on peut faire varier le curseur infiniment. Mais nous devons tendre vers une prière tout à fait filiale. Cette prière filiale, c’est le Notre-Père.
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Le Notre-Père est une école de prière.
Le Notre-Père est une prière qui change insistez-vous dans votre ouvrage ?
La prière nous change. C’est ce que disait beaucoup les Pères de l’Église. Cette prière du Notre-Père n’est pas seulement une prière mais une école de prière, une école de l’être chrétien et une école de notre désir. Prenons un exemple très simple. Nous spontanément quand nous prions, nous disons Seigneur, fais que nous ayons ceci, fais que nous ayons cela, que la Paix soit signée dans le monde et que ma grand-mère aille mieux… Autant de demandes qui sont très légitimes. Il ne s’agit pas de ne pas les demander, même si elles sont triviales. Au Seigneur, on peut tout lui demander, comme à un père. Cependant, la prière du Notre-Père nous réapprend les priorités. Ce que nous disons d’abord, ce n’est pas « Seigneur délivre-nous du mal ». C’est d’abord, « Seigneur, que ton nom soit sanctifié ». La priorité du chrétien, c’est de prendre en compte la gloire de Dieu, le saint nom de notre Père. « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite », nous prions d’abord pour que la gloire du Seigneur soit pleinement manifestée. Ce qui est la priorité de notre prière, c’est d’abord la gloire de Dieu. Ensuite, c’est demander ce qui convient. « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », « Pardonne-nous nos offenses », « Ne nous laisse pas entrer en tentation », « Délivre nous du mal » … Cet ordre des demandes est inverse à celui ce que nous faisons spontanément : d’abord on demande des choses pour soi, et après on pense à remercier Dieu et à manifester sa gloire. Le Notre-Père nous apprend à faire l’inverse. D’abord la gloire de Dieu ! Un peu comme Jésus dit dans l’Évangile : cherchez d’abord Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît. Ce Notre-Père est l’école de notre désir. Il réoriente notre désir vers des biens véritables, vers des biens célestes.
Cet ordre des demandes, c’est un des enseignements du Notre-Père ?
Cette prière du Notre-Père est importante, l’ordre dans lequel les prières sont énoncées est important. On remarque souvent le plongeon qui nous fait partir du Notre-Père dans les cieux, nous sommes dans les hauteurs avec le ciel, nous sommes déjà dans la contemplation du père céleste, et la prière se termine par une demande à nous délivrer du malin, c’est-à-dire de Satan, celui qui grouille dans les bas-fonds. Nous sommes partis du ciel et nous sommes descendus dans les entrailles du mal et du diable. Il y a un mouvement dans le Notre-Père. De sorte que des auteurs disent comment le Notre-Père nous arrache aux entrailles du mal pour peu à peu nous tourner vers Dieu notre Père. Je crois que l’ordre du Notre-Père, tel qu’il est dans l’Évangile et tel que nous le récitons, est aussi un enseignement que Jésus nous donne.
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Chaque phrase compte dans la prière du Notre-Père ?
Ce serait difficile de dire de la prière reçue du Seigneur qu’il y a des mots superflus. Toutefois on fait souvent remarquer que saint Luc a une version du Notre-Père ou plutôt du Pater, dans son Évangile, où il nous livre non pas sept demandes, mais cinq. Alors on pourrait se dire que les demandes non retenues par saint Luc sont peut-être superflues ? Non. La prière telle que Matthieu la livre et telle que l’Église récite, est vraiment la prière du Seigneur. Et je pense que tous les mots portent. D’ailleurs l’objet de chaque mot à son importance, sa signification. Comme pour toutes les paroles de Dieu, on n’a jamais fini d’inventorier tous les sens possibles, les interprétations. La richesse d’une prière comme le Notre-Père est vraiment un trésor. Dans la liturgie du catéchuménat, juste avant d’être baptisés, les catéchumènes reçoivent d’ailleurs solennellement de l’Église le texte du Notre-Père. Parce que c’est un trésor d’une richesse incommensurable. On peut interpréter, Dieu sait s’il y a des livres et des commentaires sur le Notre-Père, mais je crois qu’on n’aura jamais fini d’investiguer et de comprendre cette prière et ces mots ineffables que le Seigneur nous livre.
Le Notre-Père, finalement, c’est un « bréviaire de l’Évangile » dites-vous…
L’expression est de Tertullien, un des premiers commentateurs connus, un père de l’Église, à Carthage, grand avocat et grand exégèse. Au IIe siècle, il dit effectivement que le Notre-Père, c’est le « bréviaire de l’Évangile », comme un petit abrégé de l’Évangile. On le voit dans la place que le Notre-Père occupe dans l’Évangile de Matthieu. Le Notre-Père est donné par Jésus au cœur de ce sermon sur la montagne dont on dit qu’il est la charte de l’Évangile. C’est dans les chapitres 5, 6 et 7 de l’Évangile de Matthieu que Jésus leur livre LA Prière. La prière des chrétiens, le Notre-Père. C’est le cœur du cœur de l’Évangile. C’est vraiment le résumé de tout l’Évangile. Quand on regarde un peu de près le Notre-Père, on réalise que toutes les dimensions de la vie chrétienne y sont présentes. Je pense à la dimension sacramentelle, par exemple, « Donne-nous aujourd’hui notre pain », mais également à la vie morale, « Pardonne-nous nos offenses ». Tous les grands domaines de la vie chrétienne, toutes les lumières de l’évangile sont contenues dans cette prière inestimable.
Propos recueillis par Eric de Legge.