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Hassaké, une province syrienne entre le marteau de Daesh et l’enclume kurde

Martyrs syriens

Deux frères tués lors de l'attentat du Miami café du 30 décembre 2015 (détail) @ A.Goodarzy pour Aleteia

Alexandre Goodarzy - publié le 05/04/17

À Qamichli, capitale du gouvernorat majoritairement kurde d'Hassaké, les chrétiens sont la cible des tirs de l'Etat Islamique et des autonomistes kurdes.

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Début mars 2017, l’Armée arabe syrienne a repris officiellement le contrôle de plusieurs villages majoritairement kurdes autour de la ville de Manbij, dans la périphérie d’Alep. C’est la première fois depuis le début du conflit que l’armée régulière regagne du terrain dans les zones tenues par le Parti de l’union démocratique kurde (le PYD, séparatiste). Les forces pro-Assad se sont déployées à la demande des Forces démocratiques syriennes (FDS, soutenues par les États-Unis), alliées au bras-armé du PYD : les Unités de protection du peuple (YPG).

L’opération, consistant à bloquer les velléités expansionnistes turques dans le Nord de la Syrie et à cantonner l’Armée syrienne libre (l’ASL, islamiste, révolutionnaire et alliée à la Turquie) sur la frontière a porté ses fruits. Les Russes et les Américains ont obtenu exactement ce qu’ils voulaient : l’opération militaire « Bouclier de l’Euphrate » menée par Ankara dans le nord de la Syrie s’achève.

Le vieux rêve kurde d’une région autonome dans le Nord de la Syrie, qui s’étendrait au delà de la frontière turque et plus à l’Est, dans la vallée du Tigre en Irak a, lui aussi, pris du plomb dans l’aile, mais toutes les zones chèrement reprises à l’ASL ou à Daesh par les milices kurdes ne sont pas près de retomber dans l’escarcelle de Damas…


Kurdes et chrétiens à couteaux tirés

Quand deux explosions ont déchiré la nuit, le 30 décembre 2015, au cœur du quartier chrétien de Qamichli, l’État Islamique revendiqua rapidement l’attentat mais les regards se tournèrent vers les miliciens Kurdes. Seize personnes trouvèrent la mort dans ce double attentat : dix chrétiens et deux musulmans au Miami Café ; trois chrétiens et un musulman partageant la même table au restaurant Gabi.

La milice chrétienne Sootoro entreprit dès lors de protéger le quartier en y dressant des barrages afin d’en contrôler les entrées et les sorties et surtout, de ne plus laisser y stationner les véhicules. Les Kurdes, pensant que l’ordre venait du gouvernement syrien, retirèrent les barrages, ouvrirent le feu sur les unités paramilitaires chrétiennes et tuèrent le jeune Gabi Henri Dawoud, le 19 janvier 2016 (voir diaporama). Cinq jours plus tard, le 24 janvier, le Stars Café était à son tour la cible d’un attentat, causant quatre morts. Pour les Chrétiens il devient clair que ce ne sont pas les membres de l’État islamique qui sont les auteurs de ces carnages. Les Kurdes blâment les islamistes mais la milice chrétienne est formelle. L’EI va au contact, organise des attentats suicides, « n’emploie pas ces méthodes ».




Lire aussi :
Sootoro, unité de combat chrétienne syrienne

Nous verserons notre sang pour cette terre

Deux garçons grièvement blessés au Miami Café ont accepté de témoigner, quelques mois après cette nuit où leur vie a basculé. Le premier demeure allongé dans un lit aménagé dans le salon, entouré de la chaleur des siens. Deux hommes assis à la table voisine sont morts sur le coup, ils étaient frères. Lui a eu la jambe droite amputée, la jambe gauche cassée, le tympan crevé… mais il ne veut pas perdre espoir et ses ambitions sont intactes. Il ne dira pas qui est l’auteur du drame mais soupire : « Le but était de cibler les Chrétiens, de nous faire fuir. Mais nous resterons. Nous avons versé notre sang pour cette terre et nous le verserons encore… »

Le second, Gabriel, reste des heures par jour allongé dans le noir, ses deux jambes sont brisées. Le jeune homme ne parle pas ou très peu. Les semaines ont passé mais il est encore sous le choc. Son père, les larmes aux yeux, prend la parole : « Nous sommes syriens, nous devons obéir aux lois syriennes. C’est notre gouvernement et nous savons où est notre devoir. Nous avons toujours été loyaux envers notre pays, la Syrie. Nous n’avons pas à subir les pressions kurdes dans la région. Nous n’avons pas à obéir aux Kurdes, à leurs exigences, ni à rejoindre leur armée. Nous n’avons pas à nous battre pour eux. Ils nous font payer cher notre loyauté à la patrie. Ils prennent nos fils et les enrôlent de force. Au moins le gouvernement syrien attend que les garçons finissent leurs études avant de les envoyer au service militaire. Les Kurdes n’attendent pas. Étudiant ou pas, ils t’enrôlent de force. »

« Abouna ils ont pris mon fils aîné »

De nombreux pères de famille expriment le même désarroi, la même colère. L’ « abouna », le curé de la communauté peine à les apaiser. Ici comme dans tous l’Orient, la vie paroissiale est intense et le prêtre s’occupe des affaires religieuses, supervise l’éducation des enfants et assure le lien entre la communauté et l’État, ou du moins les autorités locales. Le père ne compte plus les hommes qui viennent le voir pour lui confier : « Abouna ils ont pris mon fils aîné ! Abouna je dois payer une rançon pour qu’ils le relâchent ou bien il devra faire son service militaire kurde ».

L’autorité de l’État syrien est en lambeaux dans la région : si vous êtes soumis à un contrôle des papiers au volant d’une voiture, la police vous demande votre permis de conduire « kurde », le permis national n’étant pas reconnu par les autorités locales. Ainsi les habitants de la Djezireh (la région historique qui recouvre le gouvernorat de Hassaké, Ndlr) doivent passer deux services militaires (voir diaporama), deux permis de conduire, apprendre une langue qui leur est étrangère, etc.

Il n’est pas rare non plus de constater, au détour d’une artère, que les noms arabes des rues de Qamichli ont été effacés pour laisser place à une nouvelle inscription, à la gloire des martyrs kurdes.

Les grandes puissances ont le destin de la Syrie entre leurs mains

Certains établissements scolaires publics ont fermé, faute de pouvoir assurer l’enseignement de toutes les matières en langue kurde. Les écoles privées de Qamichli se sont retrouvées submergées d’élèves, pas tous capables de s’acquitter des frais d’inscription.

Aujourd’hui, l’ensemble des musulmans doivent recevoir tous les cours en langue kurde. Les chrétiens bénéficient encore d’une tolérance et peuvent poursuivre leurs études en langues syriaque ou arabe à la condition que la langue kurde fasse aussi partie du programme scolaire. Poursuivre ses études à l’université syrienne est devenu un parcours du combattant faute de pouvoir faire valider les acquis de l’enseignement kurde…

L’État syrien, impuissant, appelle à la patience : « le Gouvernement ne parviendra pas à prendre des mesures tant que les grandes puissances n’auront pas décidé du destin de la Syrie et ne trouveront pas de solution », reconnait un cadre administratif local.

De plus en plus d’habitants de la Djezireh s’insurgent contre la « kurdisation » de l’administration syrienne locale. Qu’ils soient syriens et chrétiens d’origine syriaque ou chaldéenne, arabes musulmans ou bien même kurdes. Ces derniers ne tarissent pas d’éloges pour le PDK de Barzani au pouvoir au Kurdistan irakien voisin et ont la dent dure contre le YPG syrien affilié au PKK indépendantiste venu de Turquie. Hors de question de lorgner de l’autre côté de la frontière pour les chrétiens syriens. Loyaux à l’État, pris en tenaille par les djihadistes venus de l’Ouest (de la principale ville de Syrie aux mains de Daesh, Raqqa) ou du Sud (Deir ez Zor) et les revendications politiques kurdes, ils voient l’avenir d’un œil sombre mais ne perdent pas l’espoir d’un retour au monde d’avant.

Retrouvez la première partie de ce reportage ici :




Lire aussi :
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Tags:
ChrétiensChrétiens en Syrie
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