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Saurez-vous retrouver le sujets de ces différentes œuvres représentant une même scène célèbre, tirée de l’Ancien Testament, au premier livre de Samuel (17, 18) ?
L’inspiration de Caravage
Claude Vignon, né à Tours le 19 mai 1593 et mort à Paris le 10 mai 1670, est un peintre, graveur et illustrateur français, qui fut aussi marchand de tableaux. Fils d’un talentueux valet de chambre ordinaire du roi récemment converti au catholicisme, il se forma en Espagne et en Italie, et en revint très marqué par Le Caravage. Comme lui, il aime à représenter des adolescents ambigus, à la forte expressivité charnelle.
Le tableau met l’accent sur la disproportion entre les deux adversaires. Le vaincu semble en état d’épuisement amoureux tandis que son meurtrier languissant est un indiscutable sujet de tentation, extrêmement féminin. Le tableau du musée des Beaux-Arts de Rouen transmet une tendresse étrange chez le bourreau.
“Lequel est le bon, lequel est le méchant ?”
L’époque baroque voit une floraison d’œuvres sur le thème du contraste dramatique entre un jeune homme ou une jeune femme d’une beauté surhumaine, décapitant un homme mûr et invincible jusqu’à cet ultime duel : Samson et Dalila, Judith et Holopherne, Salomé et Jean Baptiste. Le Caravage et Nicolas Régnier ont repris le thème qui nous occupe ici, avec la même fascination, se traduisant par une mise en scène sanglante d’une intensité troublante. Le vaincu, malgré ses dimensions imposantes et le redoutable souvenir qu’il laisse, attire la compassion et l’identification, une fois mis à mort. Chaque reprise de ce sujet en fait une énigme, et nous invite à réfléchir aux apories de la justice. Car au final, lequel est le bon, lequel est le méchant, de quel côté peut bien être la justice ? Le fort en apparence n’est-il pas bien plus fragile qu’on ne le pensait, le plus jeune et frêle des deux n’est-il pas le géant “en puissance” ? L’histoire ne manque pas d’exemples de peuples ou d’individus frêles prenant une revanche éclatante sur leurs adversaires, jusqu’à abuser cruellement de la situation, Petits Poucets devenant Ogre en grandissant.
La justice du Christ tend toujours à inverser les automatismes en la matière, le récit évangélique évacuant les forces féroces qui sont si souvent à l’œuvre dans les récits de l’Ancien Testament, la rancune et la soif de vengeance. Les Béatitudes, la Parabole du Fils prodigue, celle des Ouvriers de la onzième heure disent que l’amour est aux antipodes de la justice humaine, et qu’il la transcende.
“Avant d’enlever la paille de l’œil de ton voisin, retire la poutre qui est dans le tien”
Dans le “David vainqueur de Goliath” de Claude Vignon, le paroxysme de la mort donnée ou reçue semble homologue du paroxysme amoureux avec une fusion acceptée des rôles antagoniques ; l’inversion évangélique se fait chair peccamineuse. Loin de toute apologétique, Claude Vignon, comme le Caravage et comme Nicolas Régnier, s’est affranchi du schéma moralisant ou patriotique d’origine, confondant à plaisir l’agonie et la transe amoureuse, l’innocence et le meurtrier, le sexe soi-disant faible ou adolescent et la force fascinante. Doit-on en conclure que l’histoire sainte ne sert aux peintres baroques que de prétexte pour des suggestions érotiques profanes ?
Si il fallait chercher un commentaire christique sur ces polarités parfois interchangeables, nous pourrions invoquer la Parabole de la paille et de la poutre. L’hyperbole de la poutre n’est-elle pas déjà une expression superbement orale et ramassée du goût populaire universel, toujours porté sur l’humour et les dynamiques baroques ? La grivoiserie n’est jamais bien loin, dans la créativité qui vient d’en bas, des racines du corps social.
Pour ce qui est de la confusion des genres, elle est toujours, dans la méditation chrétienne, associée à l’amour, un thème souvent présent dans la mystique. Saint Jean de la Croix se décrit lui-même comme une jeune fille s’échappant de chez elle dans la nuit noire pour aller retrouver son amant divin, et saint Jean, le disciple préféré du Christ, est féminisé dans la tradition picturale au point que certains peintres ont souhaité le confondre avec Marie Madeleine, par ses traits et par sa pose d’abandon durant la Cène, posant sa tête sur l’épaule ou les genoux de Jésus, chez Léonard de Vinci.
la tête coupée, puissance spirituelle
D’un autre côté, les peintres mettent généralement à profit le personnage décapité pour offrir un autoportrait sur le mode expressionniste, insinuer la révolte face à l’ordre injuste des choses. L’époque baroque a été friande de ces mirages psychologiques et mises en abyme inépuisables ; mais un siècle plus tôt Jérôme Bosch avait exploité aussi la veine polissonne, sur un mode amer, après les sculpteurs sur chapiteaux, qui avaient souvent développé un contenu narratif explicite, tout en se voulant neutres.
Si la tête coupée est bien une figuration de l’évasion hors du contrôle de la raison, elle peut aussi porter une signification mystique. En effet, la tête coupée libère la personne de son animalité, la rapproche du père, ce que développe une légende de la Misdrah, la “Torah orale” ensemble de traditions mises par écrit après le Talmud : Esaü accourut à la mort de son père Isaac, mais les enfants de son frère Jacob lui tranchèrent la tête, par crainte de se trouver déshérités. La tête tomba sur les genoux d’Isaac et y resta. Ainsi, le matérialisme qui avait caractérisé Esaü sa vie durant, fut-il brusquement allégé, la tête d’Esaü découvrant la spiritualité dans le mouvement involontaire du “retour vers le père” nous dit-on. Les légendes de saint Denis ou de saint Nicaise, continuant leur combat pour l’évangélisation alors même qu’ils ont été décapités, disent la même chose, l’augmentation de la puissance spirituelle par la décollation.
Après les vertiges caravagesques, les domaines respectifs du profane et du sacré ne se confondront plus. L’érotisme, devenant chaque jour plus agressif et coupé des autres dimensions de la vie humaine, s’appauvrira d’autant plus, tandis que l’art sacré, recherchant la pudeur, deviendra plus sobre, mais aussi bien souvent plus fade. “Il faut aimer pour croire”, disent les prêtres africains, la foi se nourrit des leçons de la chair.