Qu’est devenu le projet européen de Robert Schuman, son idéal d’une Europe démocratique, unie dans la diversité ? François nous en donne un aperçu.« En m’adressant à vous aujourd’hui, à partir de ma vocation de pasteur, je désire adresser à tous les citoyens européens un message d’espérance et d’encouragement. (…) Encouragement pour revenir à la ferme conviction des Pères fondateurs de l’Union européenne, qui ont souhaité un avenir fondé sur la capacité de travailler ensemble afin de dépasser les divisions, et favoriser la paix et la communion entre tous les peuples du continent. Au centre de cet ambitieux projet politique il y avait la confiance en l’homme, non pas tant comme citoyen, ni comme sujet économique, mais en l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendante. »
Le discours du pape François au Parlement européen est un texte clair, bienveillant, mais aussi ferme et sans langue de bois.
« Revenir à la ferme conviction des Pères fondateurs de l’Union européenne. » Par ces quelques mots, François a totalement résumé son message à l’Union européenne. Il est peu loquace sur l’identité de ces Pères fondateurs : Robert Schuman, mais aussi Alcide de Gasperi et Konrad Adenauer. Trois fervents catholiques, et les deux premiers font l’objet d’un procès de béatification. Les Pères fondateurs de l’Europe étaient des chrétiens à 100 %, des hommes habités par leur foi. C’est cette foi qui a nourri en eux une préoccupation de l’homme : un humanisme intégral pour reprendre la formule de Jacques Maritain, un philosophe qui les a beaucoup inspirés.
L’humanisme des Pères fondateurs est résumé par François par ces quelques mots : l’homme, personne dotée d’une dignité transcendante. Principe qui se traduit concrètement par une société dont la personne est au centre. Tout le reste en découle : démocratie, unité, diversité…
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Qu’est devenu le projet Européen de Robert Schuman, son idéal d’une Europe démocratique, unie dans la diversité ? François nous en donne un aperçu : « On peut constater qu’au cours des dernières années, à côté du processus d’élargissement de l’Union Européenne, s’est accrue la méfiance des citoyens vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occupées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité des peuples particuliers, sinon complètement nuisibles. D’un peu partout on a une impression générale de fatigue et de vieillissement, d’une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante. Par conséquent, les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive, en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions ».
Le diagnostic pontifical est sans appel. Il résonne dans nos cœurs comme un « Europe, qu’as-tu fait des promesses de ta fondation ? ». L’idéal démocratique de Schuman s’est mué en bureaucratie, le rêve d’une Europe au service de l’homme s’est transformé en organisation économique. Certes, le Pape ne noircit pas le tableau, il reconnaît les grandeurs de cette noble institution comme son rôle dans la « promotion des droits humains ». Mais il met devant nous sa crise : un essoufflement, une perte d’âme, un éloignement de l’idéal fondateur.
Il est difficile de résumer un tel discours sans le trahir mais un sujet est transversal : l’économie qui semble fonctionner pour elle-même, au service de quelques-uns.
Le Pape dénonce « des styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres ». Et il constate avec regret « une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique, au détriment d’une authentique orientation anthropologique ». Ce qui, selon lui, a pour conséquence que
« l’être humain risque d’être réduit à un simple engrenage d’un mécanisme qui le traite à la manière d’un bien de consommation à utiliser, de sorte que – nous le remarquons malheureusement souvent – lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître. ».
Ce sont des propos très forts, bien loin de l’image d’un pape « politiquement correct ». Il invite l’Union européenne à rejeter toute « culture du déchet » qui enferme l’homme dans une « utilité », une fonction déniant notre humanité. Euthanasie, avortement, abandon des plus faibles sont des conséquences de cette culture du déchet qui considère l’homme comme un producteur et un consommateur… Le discours économique du Pape rejoint son discours sur les questions de société : les deux sujets sont intimement liés, les problématiques de notre temps forment un tout.
Comme il le dit, les débats politiques se font au détriment d’une authentique orientation anthropologique. L’Union européenne est touchée de plein fouet par cet utilitarisme. L’essentiel des compétences de l’Union sont économiques. Le grand marché européen ouvert sur le reste du monde semble le seul objectif d’une organisation essoufflée. Les institutions européennes semblent coupées des citoyens du continent, alors qu’elles sont exposées au lobbying des multinationales. Certes, l’euthanasie et l’avortement ne sont pas dans les compétences de l’Union, mais dans celles des États. Mais ces idées sont des conséquences de cette économie qui tourne pour elle-même. Et nous pouvons rattacher à ce sujet d’autres problèmes qu’il a évoqué : l’écologie, les migrations, l’éducation… L’Europe ne peut se contenter d’être un grand marché et elle ne peut plus être ainsi la proie des lobbies. Le Pape nous invite à remettre l’Union dans le bon sens : celui de la démocratie et du bien commun, centré sur la personne.
Pour pouvoir remettre l’homme au centre de la société Européenne, François invite les Européens à retrouver le patrimoine culturel et philosophique chrétien de notre continent : « En ce sens j’estime fondamental, non seulement le patrimoine que le christianisme a laissé dans le passé pour la formation socioculturelle du continent, mais surtout la contribution qu’il veut donner, aujourd’hui et dans l’avenir, à sa croissance. Cette contribution n’est pas un danger pour la laïcité des États ni pour l’indépendance des institutions de l’Union, mais au contraire un enrichissement. Les idéaux qui l’ont formée dès l’origine le montrent bien: la paix, la subsidiarité et la solidarité réciproque, un humanisme centré sur le respect de la dignité de la personne ».
Ainsi, selon lui, les racines même de l’Union européenne sont chrétiennes. Le respect de la dignité transcendante de la personne, la centralité de la personne humaine ne sont pas des idées nouvelles que le Pape propose aux Européens : elles sont au contraire intrinsèquement liées au projet Européen tel que l’ont conçu ses Pères fondateurs. « Je vous exhorte donc à travailler pour que l’Europe redécouvre son âme bonne », autrement dit l’intuition de Robert Schuman, d’Alcide De Gasperi et de Konrad Adenauer.
Enfin, son discours nous délivre cette conclusion historique, qui ressemble à une exhortation : « Chers Eurodéputés, l’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables ; l’Europe qui embrasse avec courage son passé et regarde avec confiance son avenir pour vivre pleinement et avec espérance son présent. Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité ! ».
Puissions-nous entendre son message.