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Syndrome du Saint-Bernard : comment aider les autres sans s’épuiser ?

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Edifa - publié le 02/09/20 - mis à jour le 13/03/24
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Aider plus, s’investir davantage… Il est admirable de se dépenser sans compter pour les autres, mais ce dévouement peut avoir une double face, sans même qu’on s’en rende compte. Comment aider les autres sans les étouffer, ni s'épuiser ?

Vouloir satisfaire sans cesse autrui finit par fatiguer soi-même… et les autres. On ne sait plus donner à bon escient, en famille, à la paroisse ou au travail. Et le résultat est parfois inverse à celui escompté : on étouffe son entourage et on perd le goût d’aider : c'est le syndrome du Saint-Bernard. Pire, alors que le service et la prière sont deux fruits de la charité, « l’amertume du service gratuit ou un dégoût de la prière » peuvent advenir, affirme le père Pascal Ide, qui pense que les personnes les plus généreuses sont aussi les plus susceptibles d’être concernées par le burn-out. Alors comment éviter que les bonnes intentions virent à l’hyperactivité et à la générosité mal ajustée ?

S’imaginer inépuisable peut relever de l’orgueil

On admire souvent celui qui se dépense sans compter pour l’autre, mais ce dévouement peut aussi cacher une soif de pouvoir. Un besoin de se sentir indispensable et d’en faire toujours plus pour se sentir exister. S’imaginer inépuisable, comme Dieu, peut relever de l’orgueil, surtout quand on rejette les alertes de l’entourage. « Au travail j’imaginais que, sans moi, les clients seraient moins bien servis, et dans la vie, je me sentais obligée de m’investir dès qu’on avait besoin d’une bonne âme, comme si j’étais le remède à la misère humaine », confie Juliette. Bilan : le médecin du travail a imposé à cette DRH plusieurs mois d’arrêt maladie. D’autres généreux en arrivent à se couper de leurs émotions et de toute compassion pour ceux qu’ils aident. Ils persistent dans le devoir en oubliant la charité. Des conséquences qui révèlent un don dénaturé.

Car celui qui comble trop les autres d’attentions, de services ou de cadeaux, est mal relié à lui-même, et à Dieu. Les personnes trop dévouées asphyxient leur entourage. « On croit que plus on donne, plus on reçoit – alors que c’est exactement le contraire », avance le psychothérapeuthe Gérard Apfeldorfer, dans Les Relations durables. Les enfants dont la mère est trop présente peuvent se sentir étouffés. De son côté, la mère qui « se sacrifie pour ses enfants » peut tomber dans un engrenage dangereux, en oubliant ses besoins essentiels. Et si la sagesse populaire attribue à la Bible le proverbe « Charité bien ordonnée commence par soi-même », c’est bien parce qu’il est essentiel de s’occuper d’abord correctement de soi avant de pouvoir se tourner vers les autres.

Quand le bon Samaritain se transforme en bourreau…

Le don excessif peut se retourner aussi contre son bénéficiaire quand il prend en otage et exige de la reconnaissance en retour, selon le psychiatre Vincent Laupies, dans Donner sans blesser. Le bon Samaritain peut alors se transformer en bourreau. C’est le cas de Laure, la mère de famille nombreuse qui s’investissait à 100 % dans les devoirs de ses fils, tout en leur reprochant violemment de ne pas obtenir de bons résultats à l’école. Comme s’il fallait un retour sur investissement. « Plus l’actif s’attend à un feedback positif pour se rassurer sur le travail qu’il a accompli, plus est élevé le risque qu’il éprouve une profonde frustration », prévient le père Ide. Le « donneur à tout prix » peut développer du ressentiment quand il ne s’estime pas reconnu à la mesure de ce qu’il donne. Plus il s’impose, plus il agace son entourage, qui le fuit. Il développe alors des comportements toxiques envers tout le monde : « Critique, colère sourde, accusation, cynisme, calculs d’apothicaires », énumère le Père Ide.

Le don excessif peut se retourner aussi contre son bénéficiaire quand il prend en otage et exige de la reconnaissance en retour.

Ce basculement entre le trop-donner et la maladie part souvent d’un incident mineur. L’élément déclencheur pour Juliette ? La DRH s’est rendu compte qu’elle devait lever le pied de son bénévolat à la prison quand elle a systématiquement maugréé contre les prisonniers et le responsable du centre pénitentiaire. Il avait émis une réflexion anodine sur son retard, alors qu’elle avait donné sans compter de son temps la semaine précédente. Mais son amertume a perduré chez elle, en famille, le week-end. Elle a fini par comprendre que derrière son dévouement se cachait un besoin excessif d’être aimée. Or, comme l’a expliqué le sociologue Marcel Mauss, le don entier ne calcule pas, et ne devrait pas exiger de contre-don. « Toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6, 3-4). Un don plénier intègre la possibilité de l’échec. Se donner intensément est source de fatigue, et appelle donc le repos. Jésus Lui-même y invite ses disciples : « Venez à l’écart dans un lieu désert, et reposez-vous un peu » (Mc 6, 31).

Donner à sa mesure, en sachant se ressourcer

« Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir », dit également le Christ (Ac 20, 35). Mais on ne peut pas offrir ce qu’on n’a pas reçu. Le père Ide montre que pour prodiguer il faut être capable non seulement de recevoir mais de « se » recevoir du Christ : « En effet, l’homme est créature avant d’être créateur, il se reçoit avant de se donner. Il a besoin d’être aimé pour apprendre à aimer. » Dans un vrai don, « nous sommes toujours trois », résume le psychiatre Vincent Laupies : Dieu, moi et le donataire. Le donateur doit donc « s’ouvrir en amont de lui-même », précise-t-il. Les chrétiens ont les clés pour aller à la source du don, en s’arrêtant pour adorer le Christ, dans une église ou chez eux. Car si l’homme n’est pas branché à cette source immortelle, il ne pourra donner que selon ses capacités, limitées.

Celui qui prend le temps d’adorer se ressource intérieurement pour mieux en distribuer les fruits. Laure, la mère de quatre garçons, a fini par faire confiance à une autre pour prendre soin de ses enfants, un soir par semaine. Et Juliette a renoncé à une promotion professionnelle. Elles ont donné à moins de monde, mais elles ont donné mieux. Et ont recentré leur générosité sur leur entourage proche. Il est parfois plus facile de se dévouer pour une cause extérieure et lointaine que de penser au jour le jour à son prochain de proximité. À une mère de famille qui confessait ne pas en faire assez pour les autres, son curé a répondu : « Je ne considère pas votre aveu comme un péché. Vous occuper de vos enfants, c’est votre devoir d’état. » Donner à sa mesure peut sembler une mission bien humble et insuffisante, c’est pourtant là qu’il nous est demandé d’exceller.

Olivia de Fournas

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