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Assiste-t-on au réveil de la fibre patriotique ?

Des supporters français agitent des drapeaux français lors d'un match de rugby au Stade de France en mars 2025.

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Michel Cool - publié le 24/03/25
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Devant le retour du tragique — géopolitique, climatique ou démographique — nos démocraties semblent désarmées, aussi bien pratiquement que moralement. Pour autant, observe l’écrivain Michel Cool, un espoir se lève peut-être avec le réveil dans la jeunesse de la fibre patriotique.

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Notre démocratie représentative libérale consonait, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec les aspirations au progrès, à la liberté et à la paix des citoyens. Cette harmonie est à présent en déliquescence. D’élections en élections, on voit les citoyens douter de ces valeurs et voter pour des formations politiques nationalistes et populistes, ayant des affinités, voire faisant allégeance à des régimes étrangers poursuivant des visées militaires impérialistes. Ces mêmes notions de progrès, de liberté et de paix ont perdu leur sens collectif — patriotique même, au sens noble du terme : elles se sont comme individualisées en revendications catégorielles de sécurité et de tranquillité, s’illustrant, par exemple, par la désignation de boucs émissaires. Cette posture présente l’avantage de pouvoir se laver les mains de tout ce qui arrive, autrement dit, de tout ce qui va mal, et de montrer du doigt les coupables : les migrants, les musulmans, les clochards, etc. Si on additionne ces réactions, ces réclamations, ces répulsions, on obtient la "mondialisation de l’individualisme et de l’indifférence" déplorée depuis douze ans par le pape François.

Durcissement géopolitique

En cette année commémorative du 80e anniversaire de la victoire des forces de la liberté contre le totalitarisme nazi, le 8 mai 1945, les démocraties européennes se retrouvent confrontées à un retour brutal du tragique sur leur sol, avec depuis trois ans, l’invasion de l’Ukraine par la Russie ; une agression militaire, rappelons-le, qui a été fomentée au plus grand mépris du droit international. Si cette diplomatie du fait accompli faisait école, ça autoriserait tous les despotes de la planète qui convoitent les terres, les minerais précieux de leurs voisins plus ou moins proches, de satisfaire leurs frénésies impérialistes. Cette loi du plus fort ne connaissant que le langage de l’intimidation, quand ce n’est pas celui de la force des armes, est une forme du tragique de l’histoire qu’on pensait réservée désormais aux documentaires historiques ou aux films de fiction.

Le retour du tragique c’est aussi, et on ne saurait le négliger, la montée en force d’un ressentiment anti-occidental dans le monde, en particulier chez les pays émergents de l’hémisphère sud, qui n’ont pas digéré la couleuvre de notre arrogance coloniale passée.

Mais le retour du tragique en Europe, s’illustre aussi par le schisme du lien atlantique, provoqué par les rodomontades de Donald Trump, un président américain imprévisible et versatile qui veut gérer les affaires de son pays, mais aussi ceux du monde, c’est-à-dire les nôtres, comme un gros bonnet de l’immobilier au style pas très catholique, autrement dit avare sur la marchandise et filou dans le marchandage. Le retour du tragique c’est aussi, et on ne saurait le négliger, la montée en force d’un ressentiment anti-occidental dans le monde, en particulier chez les pays émergents de l’hémisphère sud, qui n’ont pas digéré la couleuvre de notre arrogance coloniale passée. Pour Amin Maalouf, secrétaire perpétuel de l’Académie française et auteur du livre Le Labyrinthe des égarés, le monde occidental ne s’est peut-être jamais autant connu d’adversaires qu’en ce début de XXIe siècle. Le retour du tragique, c’est encore la progression impressionnante du nombre de régimes autoritaires sur la planète, et puis ce poison lancinant du fatalisme, du désenchantement et de la méfiance qui sclérose l’opinion et mine profondément de l’intérieur nos sociétés démocratiques. Notre force d’âme est un château en ruines.

Révolution climatique

À cette dramatisation du paysage géopolitique, il faut ajouter cette autre clé de Damoclès que représente la révolution climatique, le réchauffement de la planète entraîné par nos modes de vie et de production inconséquents, avec sa cascade de catastrophes naturelles. Les inondations qui périodiquement provoquent des crises sanitaires locales dans notre pays révèlent, à chaque fois, cette fragilisation de l’opinion et ses sentiments de défiance et d’impatience envers les pouvoirs publics, quelles que soient d’ailleurs leurs couleurs politiques.

La France est de tous les pays européens le plus porté au pessimisme et à la défiance en l’avenir.

Enfin, la pandémie du Covid 19, encore fraîche dans les mémoires, qui fit 20 millions de morts à l’échelle planétaire, a accru un fort sentiment de fragilité et d’impuissance que les décennies d’insouciance passées durant les fameuses "Trente glorieuses", avaient réussi à émousser. Selon des statistiques sérieuses, la France est de tous les pays européens le plus porté au pessimisme et à la défiance en l’avenir. Son taux de natalité sur le déclin en est un des signes les plus éloquents.

Les démocraties désarmées

Le diagnostic du pape selon lequel nous vivons une "Troisième Guerre mondiale par morceaux" est en train de se vérifier, de se préciser et de se rapprocher de nous, en ce moment, sous nos yeux. Face à ce retour du tragique, autrement dit, de la perspective de devoir un jour être confronté à des formes de violence et de mort, contre lesquelles on se croyait protégés pour toujours, nos démocraties se trouvent impréparées et désarmées. Désarmées, tant au sens opérationnel que moral.

Si le nationaliste voue un culte quasi religieux à sa nation et veut la dicter aux autres, le patriote est animé par un sentiment défensif, marquant son attachement à un lieu, à un style de vie, qu’il n’entend pas pour autant imposer à d’autres.

L’idéal de la paix apparaît en effet de plus en plus compromis et fragile, et avec lui l’idéal démocratique. L’accélération de l’histoire et du temps numérique qui conditionne nos vies, nos gestes quotidiens, nous a fait oublier tout ce que nous devions, malgré ses imperfections et ses ratages, à la démocratie représentative libérale depuis 1945. On connaît tous ce bon mot de Winston Churchill : "La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes." Et en faveur de ce système si décrié de nos jours, on pourrait ajouter ceci : quelle est l’alternative sérieuse qu’on lui oppose actuellement ? Au pire la dictature, au moins pire, la tyrannie d’une femme ou d’un homme fort.

Regain patriotique

Un espoir se lève-t-il quand même à l’est de notre horizon recouvert de nuages opaques ? Oui, on peut espérer raisonnablement, qu’à l’épreuve des difficultés, un ressaisissement du sentiment démocratique ait lieu. Et même, parallèlement, un regain du sentiment patriotique. Une étude réalisée l’an passé chez les jeunes Français de 18-25 ans, par la chercheuse Anne Muxel, constatait une accentuation de la fibre patriotique dans cette jeunesse, plus affirmée que chez leurs aînés. Quand on demandait à l’écrivain britannique George Orwell, auteur du brûlot antitotalitaire 1984, ce qui différenciait un patriote d’un nationaliste, "tout" répondait-il. Si le nationaliste voue un culte quasi religieux à sa nation et veut la dicter aux autres, le patriote est animé par un sentiment défensif, marquant son attachement à un lieu, à un style de vie, qu’il n’entend pas pour autant imposer à d’autres. Cette différence est considérable. Le fait qu’elle soit claire pour les générations montantes n’est pas le moindre indice d’espoir pour notre temps et pour notre Europe.

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