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L’élève Pierre Niney et le professeur, vingt ans après

Pierre Niney

Pierre Niney lors d'une vidéo face caméra sur son compte TikTok "Arrêter le prouvisme ?"

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Henri Quantin - publié le 19/03/25
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Faut-il savoir maîtriser la science littéraire pour être un bon comédien ? À travers les relations entre un professeur et son élève devenu célèbre, l’écrivain Henri Quantin s’interroge sur les relations entre gens de lettres et gens de théâtre.

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"Vingt ans après." C’était la suite des Trois mousquetaires, c’est désormais la suite du Comte de Monte-Cristo. Ce n’est plus du Dumas, mais du Pierre Niney. L’intrigue, on s’en doute, est moins élaborée et moins prenante. Deux personnages seulement, Pierre Niney et son professeur de français, pour un dialogue rapide. "Je lui avais dit que je voulais être acteur, que j’aimais les grands textes, la littérature et que je voulais en faire quelque chose", raconte Pierre Niney, qui attribue à son enseignante cette réponse peu encourageante : "Avec des résultats comme les vôtres, il ne faut pas commencer à vous projeter sur ce genre de choses, […] vous êtes quand même assez médiocre." Vingt ans plus tard, le médiocre brandit, triomphant, un volume de Dumas avec sa tête en couverture. Cela reste nettement moins ingénieux que la vengeance d’Edmond Dantès.

Professeurs qui encouragent et professeurs qui cassent

Il y a bien sûr quelque chose de vertigineux, pour un professeur, dans le fait de savoir à quel point ses mots peuvent être retenus. Qu’il soit fidèle ou déformé par les années, l’épisode peut évidemment être lu comme une leçon sur l’enseignement. Il ne manquera pas d’être mis en avant par des pédagogues de la bienveillance envers les élèves, contre les coupeurs d’ailes que seraient les professeurs sévères. On oubliera au passage qu’éduquer consiste aussi à ramener au réel des adolescents volontiers adeptes de la pensée magique. Vouloir trancher dans l’absolu entre professeurs qui encouragent et professeurs qui "cassent" est le type même du débat vain. Loin du cas par cas exigé par le terrain, il y aura toujours quelqu’un pour dénoncer le rappel à l’ordre comme une humiliation ou, au contraire, pour voir de la démagogie dans toute valorisation d’une réussite partielle.

Dans les faits, une once de psychologie permet de distinguer l’élève qu’une remarque un peu sèche tire vers le haut de celui que la même remarque pousse à baisser définitivement les bras. Pierre Niney était-il un fanfaron paresseux à remettre à sa place ou un besogneux doutant de lui qu’il fallait rassurer ? Impossible de répondre rétrospectivement. Il semble, en tout cas, qu’il se soit bien remis de ce traumatisme minuscule. Son souvenir rend d’ailleurs un bel hommage involontaire à l’importance durable des paroles professorales.

Littérature et art dramatique

Au-delà de la blessure narcissique d’un lycéen pas encore traité comme une star ou d’une histoire édifiante pour favoriser l’éducation positive, l’anecdote nous semble surtout un épisode de plus des relations parfois difficiles entre ceux qui enseignent la littérature et ceux qui pratiquent l’art dramatique. Dans l’histoire telle qu’elle est racontée, le tort de l’enseignante tient avant tout à une confusion entre les qualités littéraires scolaires et celles qu’exige le travail du comédien. Il va de soi, pourtant, que bien de grands acteurs seraient incapables d’organiser harmonieusement les parties d’un commentaire composé, de même que bien des agrégés de lettres sont inaptes à jouer la comédie. Distinguer les qualités requises dans chaque domaine permettrait de réduire les soupçons, jamais tout à fait éteints, qui marquent les relations entre gens de théâtre et professeurs de français.

Le sentiment et le souffle, les deux clés du jeu selon Louis Jouvet, ne s’apprennent guère dans un cours de français.

Praticiens contre théoriciens, enfants de la balle contre intellectuels, Molière contre les fanatiques de La Poétique d’Aristote, un rien rallume la lutte pour l’autorité sur le texte. Deux caricatures s’affrontent alors : l’une dénonce une approche sclérosée qui tue la parole vivante, en faisant comme si l’étude d’un texte n’était qu’une froide dissection ; l’autre pourfend les anachronismes qui trahissent les supposés "intentions de l’auteur", en oubliant qu’un grand texte ne se réduit jamais à ce que l’écrivain y a consciemment mis.

Le sentiment et le souffle

Sans doute n’en a-t-il pas toujours été ainsi. Partout où l’art dramatique fut indissociable des exercices rhétoriques, un homme ne pouvait guère déclamer un texte en public sans maîtrise des qualités de l’orateur. Depuis au moins le XXe siècle, en revanche, le théâtre a trouvé ou retrouvé assez d’autonomie vis-à-vis de la littérature pour qu’on puisse consacrer sa vie à la scène sans briller en dissertation. Le sentiment et le souffle, les deux clés du jeu selon Louis Jouvet, ne s’apprennent guère dans un cours de français. Comme metteur en scène, certes, Jouvet y ajoutait une intelligence dans l’analyse textuelle que beaucoup peuvent lui envier, mais ce n’est nullement du même ordre que de jouer Arnolphe ou Dom Juan.

Vingt ans après, le meilleur dénouement serait sans doute que le professeur de français de Pierre Niney l’invite à venir parler du métier de comédien dans son cours. Si cela multiplie les vocations parmi les élèves, il reviendra à l’enseignante de rappeler qu’il ne suffit pas d’être médiocre en français pour réussir.

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