Parmi les conditions d’accès à l’aide à mourir décrites dans le projet de loi sur la fin de vie figure le fait d’être atteint d’une affection grave et incurable engageant le pronostic vital à court ou moyen terme. Un critère controversé dans la mesure où il est extrêmement difficile d’établir un pronostic vital chez des patients en fin de vie.Campagne de Carême 2025
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Le projet de loi sur la fin de vie devrait bientôt être de retour dans l’agenda parlementaire. Le 27 janvier, François Bayrou a confirmé sur le plateau de LCI sa décision de scinder le texte en deux, l'un portant sur les soins palliatifs et l'autre sur l'aide à mourir. Les débats, stoppés en juin dernier avec la dissolution de l’Assemblée nationale, s’étaient notamment cristallisés autour de la question du "pronostic vital". La version initiale du gouvernement, présentée en avril, prévoyait que le patient soit atteint "d'une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme", l'objectif étant de réserver le dispositif à des patients en fin de vie, en excluant ceux pouvant encore vivre plusieurs années.
Dans la pratique, pour déterminer si un malade relève ou non du "moyen terme", chaque médecin serait chargé d'évaluer le temps restant à vivre de son patient. Dans son avis du 4 avril 2024, le Conseil d'État a validé ce dispositif, avec deux précisions : le moyen terme ne devrait pas excéder "12 mois" et la Haute Autorité de santé (HAS) pourrait être chargée de formuler des "recommandations pour évaluer le pronostic vital à moyen terme. La ministre de la Santé de l'époque, déjà Catherine Vautrin, a donc sollicité la HAS le 22 avril, qui a publié une note de cadrage en décembre 2024 et promis une recommandation formelle "d'ici au deuxième trimestre 2025".
Mais mi-mai, en commission, les députés sont revenus sur ce critère, décidant que la personne devrait souffrir "d'une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale". Des partisans de l'aide à mourir se sont inquiétés que des patients, notamment atteints de la maladie de Charcot, puissent être écartés du dispositif au motif que leur espérance de vie serait supérieure à un an. Une interprétation jugée trop large par l'exécutif qui s'est opposé à la réécriture de la commission. Le 7 juin, les députés ont finalement approuvé, après d’âpres discussions, une version hybride, en statuant qu'un patient devrait être atteint d'une "affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale, qui engage le pronostic vital". Une condition qui est loin de faire l’unanimité. "Mentionner le pronostic vital sans horizon de temps, comme dans la rédaction actuelle, c'est absurde et idiot", s'est insurgé le député LR et urgentiste Philippe Juvin. "En effet, comme l'a dit M. Dharréville, le pronostic vital est engagé dès la naissance."
Et quand bien même le projet de loi reviendrait à la proposition initiale du gouvernement et à la notion de "moyen terme" : comment établir un pronostic vital à moyen terme ? Comment définir, de manière certaine, le reste à vivre d’un patient ? Pour Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs à Narbonne, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) et auteur du récent ouvrage Journal de la fin de vie (Fayard), "il est impossible de définir un reste à vivre pour un patient".
"Le pronostic n’est pas une question médicale"
Un pronostic que les médecins jugent difficile voire impossible à définir avec certitude, comme l’a pointé l’Ordre des médecins en audition. "Il existe des pronostics statistiques en fonction des maladies mais, sur le plan individuel, ces pourcentages ne veulent rien dire. Aucun médecin ne peut s’avancer sur un pronostic vital à 6 ou 12 mois", avait souligné Philippe Juvin.
Le pronostic n’est pas une question médicale, pas seulement. C’est d’abord une question personnelle.
"Tous les jours, en tant que médecin, je suis interrogée par les familles et sollicitée pour donner un pronostic vital. Mais une pratique quotidienne de la médecine permet de savoir qu’il est impossible d’établir, sans se tromper, un pronostic vital", confie Claire Fourcade à Aleteia. "Le pronostic n’est pas une question médicale, pas seulement. C’est d’abord une question personnelle. Certains patients, très accrochés à la vie, vivent sans que les médecins puissent comprendre ce qui les maintient en vie quand d’autres lâchent prise alors qu’on avait l’impression qu’ils avaient du temps devant eux." Un pronostic impossible à établir et ce, même en fin de vie. "On se trompe forcément. Cela a l’apparence d’un critère strict, mais personne ne sait le calculer", souligne encore Claire Fourcade.
L’incertitude est inhérente au pronostic
Des propos que confirment des données récentes issues du gouvernement britannique qui soulignent "l’incertitude inhérente aux pronostics d’espérance de vie". Selon cette étude, les chiffres révèlent que, dans 20% des cas environ, les patients à qui l’on donne six mois à vivre sont encore en vie trois ans plus tard. Dans sa note de cadrage intitulée "Pronostic vital engagé à moyen terme/phase avancée", la HAS souligne également que "l’incertitude est inhérente au pronostic". "Les estimations du pronostic par les médecins chez leurs patients en fin de vie sont souvent fausses, habituellement optimistes", affirment les auteurs. Et de citer une étude de cohorte prospective publiée en 2000, qui avait pour objectif de décrire la précision du pronostic médical chez des patients en phase terminale. Selon les résultats, seulement 20% des estimations pronostiques étaient correctes, 63% étaient optimistes et 17% pessimistes. Autre enseignement de l’étude : plus le médecin connaît le patient, plus il a de chance de se tromper. "Plus le médecin est expérimenté, plus le pronostic est correct ; mais plus la relation médecin-patient est longue, et plus les chances du médecin de faire une prédiction erronée augmentent", affirme la même étude.
Il y a donc consensus sur la difficulté à établir un pronostic à "moyen terme". Si les partisans les plus farouches de l'aide à mourir veulent par conséquent exclure toute limite temporelle (au profit de l'expression, plus floue, "phase avancée"), le gouvernement semble quant à lui dans une impasse. Car comment peut-on légitimement fonder un critère d’accès à l’euthanasie sur un pronostic impossible à réaliser ? Pour rappel, la loi de Claeys-Leonetti reconnaît le droit à une sédation profonde et continue jusqu'au décès pour les personnes souffrant d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et subissant une souffrance réfractaire aux traitements. Le court terme a été précisé par la suite par l’European Association of Palliative Care et la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), comme un délai de quelques heures à quelques jours.
Deux textes devraient donc être examinés prochainement à l’Assemblée nationale, "dans une même temporalité parlementaire", selon le gouvernement. Une manière de distinguer "la possibilité pour tous les Français de bénéficier de soins palliatifs, qui sont une réponse à la peur tout à fait légitime vis-à-vis de la souffrance et de la fin de vie" d'un sujet "éthique qui a trait à l'aide active à mourir".