Décidément, la France brûle la vie par les deux bouts. Non seulement elle s’est accoutumée à vivre à crédit, mais elle a sombré dans l’idolâtrie de l’instant. Pour la génération au pouvoir, une vie n’a de sens que lorsqu’elle est productive. Un enfant à naître, un vieillard dépendant sont pour cette génération une anomalie, une insulte au bon sens.
Un paradoxe mortifère
Le macronisme (qui dépasse de très loin la seule personne d’Emmanuel Macron et de très loin aussi son seul parti) semble avoir fait sienne la formule nietzschéenne : "Périssent les faibles et les ratés, et qu’on les aide encore à disparaître !" Le président de la République, dans la gloire de son début de premier mandat, avait séparé le bon grain et l’ivraie, "ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien". Ce n’était pas une bourde, mais bien l’expression d’une philosophie, comme sa politique l’a montrée par la suite. Selon cette philosophie, seule compte l’immédiateté de la performance. La vie est méprisable à son début, ce qui conduit à l’élargissement de l’idéologie abortive, et intolérable à sa fin, ce qui conduit aux projets euthanasiques. Dans cette vision du monde, le standard, c’est l’âge actif. Le modèle, c’est l’élite nomade. La vie n’est tolérable qu’en parfaite santé.
La France n’a jamais autant été empêtrée dans le dossier des retraites et elle n’a jamais vu sa natalité s’effondrer aussi vite qu’au cours de ces dernières années.
Cette préférence pour la satisfaction matérielle immédiate conduit à un paradoxe mortifère : la France n’a jamais autant été empêtrée dans le dossier des retraites et elle n’a jamais vu sa natalité s’effondrer aussi vite qu’au cours de ces dernières années. L’équation est pourtant simple : pas d’enfants, pas de retraite. Si vous supprimez les enfants, il faudra bien un jour supprimer les retraités. À court terme, la baisse de la natalité est une aubaine pour les finances publiques : moins de transferts sociaux, moins de places en crèches, moins de classes. À long terme, elle est une catastrophe humaine, y compris pour les finances publiques : moins de production, moins de cotisations, moins de services. La génération au pouvoir préfère le court terme, ou plutôt ignore le long terme. Le "quoi qu’il en coûte" est une version technocratique du "après moi le déluge". L’État encaisse les dividendes de la dénatalité comme il avait sous Michel Rocard encaissé les dividendes de la paix. Myopie criminelle !
Les familles, voilà l’ennemi !
Comment en sommes-nous arrivés là ? Pendant que la Chine remettait brutalement en cause la politique de l’enfant unique imposée par Mao pour sauver sa pyramide des âges, la France se précipitait dans le démantèlement de la politique familiale qui lui avait procuré un avantage comparatif en matière de démographie. En 2014, le président Hollande, peut-être traumatisé par La Manif pour tous, a décidé de régler leur compte aux familles nombreuses. Les familles discrètes d’employés, de cadres ou de militaires, ces familles dévouées qui subissent sans se plaindre les fins de mois difficiles et le contrôle technique de leur monospace d’occasion, qui paient leurs impôts en temps et en heure sans protester, élèvent leurs enfants dans des écoles qui leur coûtent cher, se dévouent dans des associations, cherchent à bien faire, qui enfin aiment la France de tout leur cœur : voilà l’ennemi !
François Hollande a brutalement baissé le plafond du quotient familial, mis sous condition de ressources les prestations pour jeunes enfants, relevé les cotisations sociales des nounous, bref il a prélevé à partir de 2015 1,5 milliards d’euros par an sur un million de familles nombreuses ; Emmanuel Macron a continué sur cette lancée, et l’on fait mine de s’étonner que ces familles nombreuses aient désormais moins d’enfants. En politique, la préférence pour l’immédiateté est toujours une préférence pour la mort.