Jésus ne nous a pas habitués à nous en mettre plein les yeux en accomplissant des miracles. En pratiquant des miracles, il ne recherchait pas la célébrité mais nous tendait un signe afin que nous en fassions notre profit. Par exemple, que chercha-t-il à nous révéler en marchant sur l’eau ? Sa divinité ? Sa maîtrise des éléments de la nature ? Sans doute. Mais surtout, pour la pleine compréhension de ce miracle, il est important de garder à l’esprit que pour la mentalité sémite de l’époque, l’eau était le symbole de la mort. Aussi, en marchant sur elle, en la dominant, Jésus démontrait-il à ses disciples, et plus largement aux chrétiens de tous les temps, qu’il était maître de la mort — ce que la Résurrection manifestera ostensiblement. En nous rapportant l’épisode de la marche sur l’eau, les évangiles affermissent de la sorte notre foi en la victoire du Christ sur la mort.
La liberté conditionnée par la victoire sur la mort ?
Toutefois, il n’est pas anodin qu’à ce miracle, l’évangile selon saint Matthieu ait adjoint la demande de Pierre de venir rejoindre Jésus en marchant à son tour sur la mer (Mc 6, 45-52). L’auteur sacré n’a pas relaté cette demande de Pierre pour satisfaire une curiosité sans conséquence ou bien un goût du merveilleux chez le lecteur. Là encore, il s’agit de nous proposer un enseignement fondamental. Lequel ? En fait, si Jésus a répondu favorablement à la requête de Pierre de venir le rejoindre sur la mer, c’est afin de nous révéler que ses disciples auront, comme lui, autorité sur la mort et même la vaincront comme il le fit lui-même le Jour de Pâques. Mais que signifie être maître de la mort ?
Pour bien saisir les enjeux de cette victoire, il est nécessaire de se reporter à l’épître aux Hébreux : "Comme les enfants [les hommes] avaient en partage la chair et le sang [la fragilité humaine], il [Jésus] s’en est revêtu également afin de pouvoir par sa mort anéantir celui qui détenait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable, et délivrer ceux que la crainte de la mort tenait toute leur vie dans l’esclavage" (He 2, 14-15). Le texte biblique affirme donc que le diable détenait l’humanité captive par le moyen de la crainte de la mort. En effet, cette crainte nous rend lâches, timorés, pusillanimes, et finalement égoïstes et repliés sur nous-mêmes. Aussi, se rendre maître de la mort équivaut-il à accéder à la liberté. Car dès lors que l’homme cesse de la craindre, de croire qu’il ne possède qu’une seule vie, celle d’ici-bas, il devient libre de ses mouvements et capable d’entreprendre des projets qu’il n’aurait jamais tenté de réaliser s’il avait continué à croire que son existence restait limitée à la dimension terrestre, immanente, et que faire le bien ne serait jamais récompensé.
L’exemple de Jésus
À cet égard, la vie de Jésus est exemplaire. Jésus a souvent pris le contrepied des préjugés de son époque au péril de sa vie, a témoigné de la miséricorde de Dieu jusqu’au bout, n’a pas craint de dire leurs quatre vérités à ses adversaires et a aimé jusqu’à l’extrême (Jn 13,1). Or, cette liberté, où l’a-t-il puisée sinon dans sa certitude que le Père ne le laisserait pas dans les fosses de la mort ? C’est bien ce qu’affirme l’épître aux Hébreux en nous révélant que, par sa mort, il a détruit le diable qui détenait l’empire de la mort, c’est-à-dire l’empire de la peur. À la suite de Jésus, son disciple est prêt lui aussi à oser les plus audacieuses entreprises, à braver tous les dangers pour annoncer l’Évangile, à ne pas se laisser intimider par l’adversité ou le respect humain car, comme son maître, il n’est plus habité par la peur et sait que son existence est dans la main miséricordieuse et toute-puissante de Dieu.
Voilà ce que signifie la marche sur l’eau de Pierre : à travers l’exemple de l’apôtre, Jésus nous donne part à sa victoire sur la mort. Mais encore faut-il pour cela que nous conservions la foi en la victoire pascale de Jésus. C’est ici que l’épisode de la marche sur l’eau de Pierre est riche d’un deuxième enseignement. Car pourquoi le prince des apôtres a-t-il commencé-t-il à couler ? Parce qu’il a eu peur. Et pourquoi a-t-il eu peur ? Parce qu’il a douté. "Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?" lui demande Jésus en lui tendant la main.
La leçon est claire : notre victoire sur la mort, c’est notre foi en la victoire pascale de Jésus. Nous ne vaincrons pas notre peur de la mort et nos lâchetés par nos seules forces mais avec la grâce de la foi pascale. Accéder à la liberté que procure la victoire spirituelle sur la mort, c’est donc s’attacher au Christ en mettant notre confiance en lui.