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Frères rivaux, confrontation de deux milieux sociaux opposés, adoption, grève de longue durée dans une usine, lutte contre la maladie, hommage aux chefs d’orchestre et à l’harmonie par la musique…, chacun de ces thèmes a inspiré des dizaines de films et deux heures ne sont souvent pas de trop pour en déployer avec finesse les mille facettes. Avec En fanfare, le réalisateur Emmanuel Courcol réussit brillamment à tresser tous ces fils ensemble, sans en bâcler aucun.
Son scénario, son montage et ses dialogues sont d’une précision qu’on pourrait étudier dans toutes les écoles de cinéma. C’est particulièrement vrai des dix premières minutes, modèle d’efficacité narrative comme on en voit peu. "Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué", affirmait Boileau, qui riait des longs préambules bavards, fatiguant le spectateur au lieu de le divertir. Il aurait admiré l’exposition d’En fanfare, où rien n’est en trop et rien ne manque. Impossible, devant cette mise en place virtuose de toute l’intrigue, de se demander : "Quand est-ce que ça commence enfin ?"
Entre le duel et le duo
Deux milieux, donc, à travers deux frères séparés dès la naissance sans le savoir, tous les deux adoptés, tous les deux musiciens. L’un, Thibaut, est un compositeur et chef d’orchestre mondialement admiré ; l’autre, Jimmy, joue du trombone dans la fanfare du village. Le bourgeois et le prolo ? Le risque de la caricature paresseuse était grand, dans la lignée de La vie est un long fleuve tranquille, où les deux milieux lourdement opposés ont surtout en commun d’être ridicules, voire un peu déplaisants. Emmanuel Courcol, dont l’ambition est de faire "un cinéma d’auteur populaire" — souvenir du "théâtre élitaire pour tous" d’Antoine Vitez ? — parvient au contraire à faire successivement admirer les deux, sans renoncer ni à faire rire, ni à émouvoir. Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin, tous les deux impeccables dans leur rôle, rendent crédibles et émouvants ces deux frères qui oscillent entre le duel et le duo, comme entre lutte des classes et harmonie musicale.
Un acteur pas comme les autres
Parmi tous les éléments qui sonnent juste, il y a la présence d’un acteur handicapé mental, Antonin Lartaud, membre de la compagnie théâtrale de l’Oiseau-Mouche. À côté de films entièrement centrés sur le miroir d’humanité que nous tendent des personnes avec « un p’tit truc en plus », il est réjouissant qu’il y en ait d’autres qui contribuent, plus discrètement, à ce qu’on juge naturel de croiser des personnes handicapées dans la rue ou dans le monde du travail. Le cinéma aura pleinement donné leur place aux comédiens trisomiques, par exemple, quand on les verra tour à tour héros, seconds rôles ou simples figurants. En fanfare offre sur ce point un exemple qu’on ne peut que souhaiter voir abondamment suivi. Près de onze millions d’entrées pour Un p’tit truc en plus, déjà plus d’un million pour En fanfare. L’ouverture à l’autre rejoindra-t-elle un jour l’intérêt bien compris des producteurs ? Ce serait un amusant paradoxe que ceux dont chaque instant de vie nous apprend une autre logique que la rentabilité soient désormais jugés rentables au cinéma.
Sur la ligne de crête
Emmanuel Courcol regrette que la France sépare à l’excès le cinéma d'auteur, où le spectateur souffre, et le cinéma populaire à grosses ficelles. Son désir est d’être "sur la ligne de crête, entre les deux". "Quand c'est réussi, ajoute-t-il, ça parle à tout le monde." En l’occurrence, c’est parfaitement réussi et son film accomplit auprès des spectateurs ce que son intrigue met en avant avec ses personnages : la possibilité d’une brève rencontre entre des mondes qui, en général, ne se croisent pas. L’abonné de la salle Pleyel et l’habitué des bals populaires peuvent tous les deux apprécier. Si En fanfare n’est pas un film de Noël à proprement parler, c’est certainement un film qu’on peut aller voir à Noël. Une fanfare sans fausse note, en somme.
Pratique
En salles depuis le 27 novembre 2024
1h44