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Relire Michel Houellebecq sans François Bayrou

MICHEL HOUELLEBECQ

Michel Houellebecq.

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Henri Quantin - publié le 18/12/24
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La référence romanesque à François Bayrou dans le dernier livre de Michel Houellebecq cache des personnages fictifs autrement plus évocateurs, avertit l’écrivain Henri Quantin. En composant le tableau d’un monde qui s’est voulu débarrassé de sa sève chrétienne, ils interpellent ceux qui se refusent à la résignation.

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"Il y est arrivé, François Bayrou. Il est arrivé au sommet de l’État. Le voilà à Matignon !" L’envolée légèrement moqueuse d’un journaliste de France Culture est plus amusante si on en précise la date : 7 janvier 2015. Aussi le journaliste nuançait-il immédiatement : "Sauf qu’il s’agit d’une fiction. Bien malgré lui, le président du Modem se retrouve dans le dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission. Il est nommé Premier ministre du président Frère Musulman que la France a élu en 2022." Les commentateurs n’ont pas manqué de rappeler ce nouvel accomplissement d’une "prophétie du mage Houellebecq". Ses admirateurs ont gagné une raison de plus de vanter sa lucidité, tandis que ses détracteurs ont saisi l’occasion de rappeler le mal qu’ils pensaient du reste de Soumission, roman dans lequel la France devient terre d’islam modéré.

L’art du satiriste

Présenté comme un opportuniste inapte à toute idée personnelle, ayant pour seul projet politique "son propre désir d’accéder par tous les moyens à la magistrature suprême", le François Bayrou de Michel Houellebecq jouit d’une excellente cote de sympathie chez les catholiques, "que sa bêtise rassure". D’autres brèves allusions, qui ont échappé aux journalistes pressés, achèvent la satire féroce de "cet animal politique sans consistance, tout juste bon à prendre des postures avantageuses dans les médias". Comme Premier ministre, Bayrou est comparé à Jean Saucisse, ce personnage-type comique de la tradition allemande, qui répète "sous une forme exagérée — et un peu grotesque — ce qui vient d’être dit par le personnage principal". Prophétie ? Une différence évidente est que, dans Soumission, le président élu jouit d’une pleine crédibilité et que François Bayrou peut se contenter d’être sa doublure. On ne peut guère dire qu’Emmanuel Macron bénéficie de l’aura du président Ben Abbès du roman.

Une fois de plus, bien des lecteurs se sont contentés de grappiller chez Michel Houellebecq les allusions à des personnes réelles. Christophe Barbier, Jean-Luc Mélenchon, Michel Onfray, David Pujadas…, nombreuses sont en effet les personnalités qui font une brève apparition dans Soumission. En lisant un roman ainsi, on peut s’amuser un peu et savourer l’art du satiriste, mais on est à peu près sûr de passer à côté de l’essentiel du travail d’un romancier. Aucune juxtaposition de punchlines — comme on dit aujourd’hui pour remplacer à la fois "pique ironique", "trait satirique", "épigramme", "attaque sarcastique", "mots d’esprit", … — ne parviendra à faire un roman et le Bayrou de Soumission n’y est qu’un éphémère agrément.  

Un monde débarrassé du religieux

Il faut dire que le propre d’un bon roman est de rendre ses personnages fictifs beaucoup plus vivants et consistants que des personnes réelles. Rien n’expliquerait, sans cela, que Gargantua, Robinson Crusoé et Emma Bovary soient plus présents à nos esprits que nos aïeux des siècles passés. Aussi les personnages inventés de Soumission nous semblent-ils nettement plus intéressants que le fantoche nommé François Bayrou. Ainsi du français François, le narrateur spécialiste de Huysmans qui lutte comme il peut contre le vide de son existence ; ainsi de la juive Myriam, qui rejoint Israël avec ses parents, après avoir révélé à François la beauté d’une famille traditionnelle, lors d’un déjeuner qui l’a ému aux larmes ; ainsi de Robert Rédiger, ancien "identitaire" converti à l’islam plutôt qu’au christianisme, parce qu’il estime que l’incarnation est "une faute de goût" de la part de Dieu. À travers eux et quelques autres, Soumission offre aux lecteurs le tableau d’un monde qui s’est voulu débarrassé du religieux. 

Et Michel Houllebecq exhibe, sur les pas de Huysmans, le refoulé majeur de notre temps, la sève chrétienne qui coule encore. Elle coule dans quelques lieux de grâce, comme l’abbaye de Ligugé et le sanctuaire de Rocamadour ; elle coule grâce à quelques auteurs qui n’ont pas entièrement disparu des librairies et qui jalonnent le roman pour des raisons variées : Huysmans, donc, "perturbé dans les chapelles", mais redevenant "inému et sec" dès qu’il en sort ; Péguy, qui suggère que l’amour de la patrie ne peut pas tenir sans être relié à Dieu ; Chesterton et Hilaire Belloc,  pour leur modèle économique du "distributivisme", inséparable du principe de subsidiarité défini par Pie XI.

Le poids du catholicisme

La question qui sous-tend le roman est simple et elle devrait hanter tout chrétien : entre un judaïsme qui s’éloigne et un islam qui s’installe, quel poids le catholicisme peut-il encore avoir ? Et quand le narrateur, après être passé tout près de la conversion au Christ et à la Vierge sur les pas de Huysmans, devient finalement musulman par confort professionnel, la question devient : qu’est-ce qui aurait pu l’empêcher de conclure qu’il n’aurait rien à regretter ? Une telle question a de quoi obséder tout ami du Christ, dès lors qu’il refuse de se résigner à ce que le monde tourne le dos au Sauveur qui lui tend ses bras crucifiés d’Amour. 

Telle est la pénitence que pourrait donner un confesseur à tous ceux qui viendront s’accuser d’avoir ironisé sur l’accès tardif du "parfaitement stupide" François Bayrou "au sommet de l’État" : lire Soumission entièrement. Pénitence plutôt douce et qui a toutes les chances d’être féconde.

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