Une enquête toute récente de la Conférence des évêques de France (CEF) sur le patrimoine religieux a justement recensé ces manifestations de piété sur notre territoire. Ce sont 43 ostensions remarquables, 41 rogations particulières, 266 processions remarquables, et on ne comptabilise pas celles de Lourdes, 743 Pardons locaux, 112 fêtes patronales au retentissement large et 134 confréries de pénitents (dont 62 en Corse) qui sont des confréries de dévotion, d’assistance, de règlement des conflits, de pénitence, de corporations de métiers, d’accompagnement des funérailles…
Dès l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, nous l’avons tous remarqué, le pape François a souligné l’importance de la force évangélisatrice de la piété populaire :
"Chaque portion du Peuple de Dieu, en traduisant dans sa vie le don de Dieu selon son génie propre, rend témoignage à la foi reçue et l’enrichit de nouvelles expressions qui sont éloquentes… D’où l’importance particulière de la piété populaire, expression authentique de l’action missionnaire spontanée du Peuple de Dieu. Il s’agit d’une réalité en développement permanent où l’Esprit Saint est l’agent premier" (EG, 122).
Une attitude juste envers Dieu et son prochain
Le Pape invite donc à prendre au sérieux cette expression de la foi, là où nous pourrions la suspecter d’irrationalité et de superficialité. En fait, ce jaillissement qu’est la piété populaire est déjà un fruit du Saint-Esprit à l’œuvre, comme "agent premier", dans les baptisés. Il faut prendre le mot de piété non pas dans le sens dévié et restreint d’un attachement à des pratiques extérieures mais dans le sens du don de piété reçu tout particulièrement dans le sacrement de la confirmation. Ce don nous fait répondre à l’amour et à la fidélité de Dieu reconnu et confessé non seulement comme Créateur mais aussi comme Père. La piété est notre réponse filiale à son amour paternel.
La piété n’est pas seulement une attitude juste envers Dieu ; c’est aussi une attitude juste envers notre prochain.
Mais la piété n’est pas seulement une attitude juste envers Dieu ; c’est aussi une attitude juste envers notre prochain. Elle n’est réelle que si elle s’accompagne d’un amour généreux envers les autres. Un acte de piété est aussi un service rendu ou la visite à une personne malade. Il est très significatif, par exemple, que les membres des confréries, à Séville, soient engagés dans des œuvres de secours ou d’assistance. La Confrérie de la Macarena à Séville compte 12.000 adhérents. Ceux et celles qui y participent s’engagent aussi auprès des malades, des toxicomanes, des personnes âgées, des mineurs abandonnés par leur famille, des femmes maltraitées ou en précarité, des migrants. Voilà ce qui fait la force de cette piété et qui la rend authentiquement chrétienne. Rappelons-nous aussi qu’à Lourdes, processions et services des personnes malades ou handicapées sont entremêlés : la piété populaire se fait d’abord accueil et service des pèlerins fragiles. C’est la marque incontestable de l’Évangile.
Une force entraînante
Il y a donc une vie théologale authentique qui se déploie dans le cœur des fidèles et qui est manifestée à travers ces formes de piété. L’Esprit-Saint est à l’œuvre et c’est à nous de porter sur ces réalités un regard théologal. C’est la foi d’un peuple qui s’exprime. Dans ce contexte le terme "populaire" ne désigne pas d’abord des gens de condition modeste. Il désigne un peuple dans son ensemble, un peuple rassemblé, composé de fidèles qui veulent marcher, chanter et prier ensemble avec leurs pasteurs. La piété populaire appartient à tous.
On porte une statue, un cierge, on chante des refrains. À travers ces gestes simples on est subitement inclus dans une communauté qui chante, qui processionne, qui confesse sa foi.
Comment se fait-elle missionnaire ? Étant un témoignage privilégié de la façon dont la foi chrétienne s’incarne dans une culture, la piété populaire est faite de gestes, de signes, de paroles ; elle implique le corps. Ce n’est pas anodin. C’est essentiellement par le corps qu’on entre dans une manifestation de la piété populaire. Il y a une sorte d’immédiateté de la participation parce qu’il suffit d’être là et de s’associer aux gestes posés : on marche, on porte une statue, un cierge, on chante des refrains. À travers ces gestes simples on est subitement inclus dans une communauté qui chante, qui processionne, qui confesse sa foi ; et cela par la médiation du corps. Voilà la force de la piété populaire. Elle est entraînante. Mais c’est le peuple qui entraîne ceux qui s’y joignent. C’est une évangélisation du peuple par lui-même sous la conduite du Saint-Esprit. Les évêques d’Amérique Latine écrivaient à Aparecida en 2007 : "Le fait de marcher ensemble vers les sanctuaires, et de participer à d’autres manifestations de piété populaire, en amenant aussi les enfants ou en invitant d’autres personnes, est en soi-même un geste évangélisateur par lequel le peuple chrétien s’évangélise lui-même et accomplit la vocation missionnaire de l’Église" (Document d’Aparecida, 13-31 mais 2007, n. 264).
Une porte d’entrée dans la foi
C’est ainsi que la piété populaire est également une porte d’entrée dans la foi pour ceux qui cherchent du sens, pour ceux qui traversent des épreuves, pour ceux qui sont seuls. Le langage de la piété populaire est facilement accessible. Il est la voie d’une première annonce ou d’un retour à la foi, d’un retour à la vie chrétienne, à une pratique plus régulière. Dans une Lettre apostolique du 19 mars 2016, le pape François affirmait que la pastorale populaire est un des rares espaces où le peuple et les pasteurs de l’Église se retrouvent avec le Saint-Esprit sans chercher à contrôler l’action de Dieu sur eux, précisément parce qu’il y a une sorte de liberté qui jaillit du peuple chrétien pour exprimer sa foi, la mettre en pratique, l’incarner dans la culture avec ses mots, ses gestes, son calendrier, ses chants, sa musique, ses vêtements, ses bannières… Les expressions de la piété populaire ne sont pas d’abord organisées d’en-haut ; elles ne sont pas le fruit d’un projet pastoral. Elles jaillissent comme d’un besoin spontané du cœur et du corps pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû (Rm 12, 1), pour répondre à ses appels.