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Les annonces successives de l’absence du pape François aux cérémonies solennelles de réouverture de Notre-Dame à Paris les 7 et 8 décembre, puis de sa visite surprise à Ajaccio une semaine plus tard ont semé le trouble dans les esprits. Même parmi les participants à la dernière assemblée plénière des évêques à Lourdes, certains plus indiscrets que de coutume ont rompu le sacro-saint huis-clos. Il n’en fallait pas plus pour provoquer tout un galimatias polémiste, dont notre époque déboussolée par la météorologie médiatique et infantilisée par les réseaux sociaux, s’est faite une consternante spécialité. La dernière trouvaille en date colportée par des journalistes très en verve, "la meilleure" comme on dit un peu familièrement, serait que François aurait pris un malin plaisir à humilier le président Macron en lui tournant le dos sans façon !
Le choix des périphéries
Si cette information était exacte, on se demande vraiment pour quel profit agirait de la sorte l’évêque de Rome. Cette intention méchamment mesquine prêtée au Pape n’est en tout cas pas gratifiante pour ceux qui la font circuler à seule fin de dénigrer une énième fois le chef de l’État. Sa capacité de résilience à toute épreuve — il ira accueillir le Pape en Corse et assistera à la messe le 15 décembre — est certainement exaspérante, on peut fort bien le comprendre, pour tous les commentateurs agités à la petite semaine qui spéculent sur sa scoumoune ou sur sa chute.
Mais revenons à l’essentiel de cette actualité précisément : comment interpréter raisonnablement le choix papal d’aller à Ajaccio plutôt qu’à Paris ? J’ai lu, comme tout le monde sans doute, sous des plumes aussi autorisées que celle par exemple du cardinal François Bustillo, par ailleurs évêque d’Ajaccio et force invitante très persuasive du Pape, que la décision de ce dernier s’inscrivait dans la ligne de son pontificat de se déplacer en priorité dans les périphéries. Sur un plan géographique et démographique la Corse rentre en effet dans cette catégorie, même si elle est loin d’être la terre insulaire la plus ignorée de la planète, ne serait-ce qu’à cause de Napoléon !
L’affront fait à Pie VII
On a aussi entendu dire que François n’aimait pas réitérer des destinations déjà visitées par ses prédécesseurs. Depuis Pie XII, tous les papes sont en effet entrés dans Notre-Dame, avant ou pendant leur pontificat. François a un goût prononcé de l’inédit. Ce penchant n’est pas blâmable. C’est un indice sur le trait de caractère l’identifiant le plus : la liberté. À Rome, on a aussi laissé entendre que François avait décliné l’invitation parisienne parce qu’il n’entendait pas ravir la vedette à Notre-Dame en s’ajoutant à la liste déjà copieuse des dirigeants de la planète invités aux solennités de sa réouverture.
Souvenir historique : le dernier pape invité par un chef d’État français à franchir le portail de la cathédrale de la capitale fut Pie VII ; l’infortuné pape italien y avait été poussé de force pour couronner Napoléon empereur le 2 décembre 1804. En venant de son plein gré à Paris, François aurait pu d’une certaine manière laver l’affront essuyé par son prédécesseur. Mais, clin d’œil malicieux de l’Histoire, il n’échappera quand même pas à Napoléon : à Ajaccio, il célèbrera la messe sur la place d’Austerlitz où s’élève une statue monumentale de l’Empereur.
La foi des cœurs simples
Venons-en maintenant au motif primordial du choix corse de François : c’est le thème du colloque organisé à Ajaccio sur la religiosité populaire en Méditerranée. Ce sujet est le cœur battant de la théologie du peuple à laquelle adhère Jorge Mario Bergoglio depuis qu’il est jésuite et prêtre. Cette théologie met au premier plan la dévotion populaire, la religion des pauvres, les gestes cultuels les plus simples et sincères des plus humbles et à travers lesquels les fidèles expriment affectueusement leur foi, mais à travers lesquels aussi Dieu leur parle, les inspire et les instruit de son amour. Cette option préférentielle pour la piété populaire est très prégnante dans tout le continent latino-américain. Pour François, qui s’en est toujours fait l’avocat enthousiaste, cette foi des cœurs simples est le meilleur antidote au risque d’endoctrinement idéologique de la foi. Elle est aussi un moyen de concurrencer les évangéliques en pleine offensive et expansion dans le sous-continent américain. Cette étape corse ne pouvait donc qu’être une évidence pour un Pape qui voit d’un mauvais œil le dessèchement spirituel progresser dans la société européenne de plus en plus gouvernée par une laïcité dédaigneuse et discriminatoire du fait religieux populaire. On rappellera toutefois que l’incendie de Notre-Dame de Paris les 15 et 16 avril 2019 avait suscité dans le monde entier une émotion considérable, spontanée et absolument non feinte. Émotion religieuse ou purement sentimentale… ? Ce drame montra de manière spectaculaire — pas moins de 300.000 donateurs volontaires et souvent modestes — que ce monument de l’architecture religieuse gothique avait une symbolique non seulement nationale, mais mondiale ; une portée universelle pas si étrangère que cela non plus à la religiosité populaire. Dans son beau livre La Liberté de Dieu (Le Cerf), l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, dont le nom restera historiquement attaché à la nouvelle consécration de Notre-Dame, témoigne avec éloquence que cette catastrophe a aussi été pour une foule de gens, parfois éloignés de l’Église, le début d’une quête spirituelle.
Une réaction qui peut surprendre
Ce phénomène semble avoir échappé à ce pape natif d’Argentine, un pays plus récent que le nôtre et émergeant, dont la culture n’a pas été façonnée par un millénaire d’histoires et d’architectures religieuses, en l’occurrence chrétiennes. En outre, l’événement national mais aussi planétaire de l’incendie de Notre-Dame ne l’a pas ému plus que cela. Pour s’en rendre compte, il suffit de relire le communiqué qu’il a publié au moment du sinistre : celui-ci n’exprime aucun débordement d’émotion personnelle. Or le pape François, dont on connaît le caractère latino démonstratif, est capable de faire vibrer et retentir ses cordes les plus sensibles. Celles-ci sont restées bien mesurées à l’occasion de l’effrayant spectacle de Notre-Dame en flammes. Il n’a pas non plus, à la différence de l’historien Andrea Riccardi dans son livre L’Église brûle (Le Cerf), fait une relecture spirituelle de l’événement, une parabole sur les défis de l’Église contemporaine.
La réaction de ce pape extra-européen peut surprendre. C’est oublier qu’il n’a pas les mêmes vibrations patrimoniales que ses prédécesseurs ; qu’il a aussi tendance à voir l’Europe comme un continent fatigué et dépassé par les événements et de nouvelles puissances. Son positionnement est intéressant à analyser. Il est à verser au dossier "inventaire" du pontificat. C’est pourquoi on aimerait avoir vieilli de quelques décennies pour lire comment les historiens jugeront cette préférence assumée du pape argentin pour la Corse plutôt que pour Paris. En attendant, on peut penser ceci : si l’éloge de la religiosité populaire vaut bien une messe sur la plus grande place d’Ajaccio, la cathédrale Notre-Dame de Paris, mythifiée par Victor Hugo dans son illustre roman éponyme et relevée de ses cendres grâce aux prières, aux mains des bâtisseurs et aux oboles d’un peuple immense et simple, valait bien aussi qu’une messe du Pape y soit dite.