Le monde de Marie se compose de pigments, de lettres calligraphiées, de pinceaux et de feuilles d'or délicatement imprégnées sur des parchemins. "J'ai toujours été passionnée du Moyen Âge, mais je ne m'imaginais pas forcément devenir enlumineuse professionnelle", sourit-elle. À 28 ans, cette jeune femme fait partie de la soixantaine d'enlumineurs professionnels que compte la France, gardiens d'un savoir-faire que l'on pensait éteint ou jalousement gardé par quelques monastères. Pourtant, l'enluminure ne s'est pas arrêtée aux portes des abbayes. Elle n'a pas non plus cessé d'exister lorsque l'imprimerie a remplacé les moines copistes et les ateliers laïcs de production de manuscrits. Dans un monde qui crie en permanence sa soif du "tout tout de suite", où l'immédiat et l'éphémère sont rois, les enlumineurs ont la particularité d'exercer un métier où le beau existe pour lui-même, patiemment, dans le silence des ateliers qui remplacent les scriptoriums.
Copies d'enluminure, faire-part de baptême ou de mariage... Marie Lefèvre passe ses journées à réaliser des commandes, les doigts dans l'encre de couleur. C'est pendant ses cours d'histoire qu'elle découvre l'existence de cet art, mais elle se dirige d'abord vers une prépa littéraire, "qui m'a déprimée", se souvient Marie. "J'ai dit à mes parents que je voulais dessiner, créer, travailler de mes mains. Je devenais malheureuse." Direction l'école de graphisme. Mais les doigts de Marie ne sont pas faits pour tapoter sur les touches de clavier et son esprit s'embrouille devant l'écran. "Travailler sur un ordinateur me déplaisait vraiment, alors que j'étais bonne en croquis, en dessin et en calligraphie... Bref, dans tout ce qui nécessitait juste mes mains et un crayon !" Parce qu'il n'existe pas d'école de calligraphie, Marie atterrit un peu par hasard à l'école d'enluminure d'Angers, et c'est la révélation.
Un hommage à Notre-Dame de Paris
Diplômée en 2021, elle créé son entreprise et lance son atelier d'enluminure à Angers en 2023. "Je fais un métier qui me passionne et qui est extrêmement rare et ancien", témoigne l'artiste. "Être enlumineur, c'est une sorte de voyage intérieur. C'est un travail qui s'inscrit tellement dans le temps long que l'on comprend pourquoi les moines priaient lorsqu'ils copiaient", rappelle-t-elle. "Croyant ou pas, pratiquant ou pas, on ne peut pas nier le caractère spirituel de cette profession. L'enluminure, c'est initialement la mise en lumière de textes sacrés. Tout passe par le geste et par la pensée." Sur les réseaux sociaux, la jeune femme partage ce travail de longue haleine avec ses 45.000 abonnés, qui suivent parfois étape par étape la réalisation d'une copie d'enluminure. Celle qui fait exploser le compteur de ses abonnés raconte un souvenir douloureux, immortalisé dans un mélange merveilleux de couleurs : l'incendie de Notre-Dame de Paris.
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"Je suis parisienne et j'ai visité Notre-Dame quand j'étais petite, à bien des reprises. J'ai toujours été fascinée par cet édifice bâti par ces mains d'homme. Quand elle a brûlé, j'en ai été bouleversée", se souvient-elle. C'est après avoir visionné le film "Notre-Dame brûle" de Jean-Jacques Annaud que lui vient l'idée d'une enluminure narrant ce dramatique événement. "J'ai tout de suite eu l'image de ce que je voulais faire. Une double page, la cathédrale en flammes, sous les yeux des passants impuissants." Au total, 550 heures de travail ont été nécessaires pour obtenir le résultat final, époustouflant de délicatesse. Impossible d'en évaluer le coût : "je ne sais pas à combien je l'estime, car j'y ai mis une partie de mon âme, chaque détail a été pensé, réalisé avec une minutie encore plus grande que tout ce que j'ai pu faire jusque là", assure l'artiste. Les demandes affluent déjà, parfois du bout du globe, pour demander à Marie des copies de cette merveille colorée. Et l'original ? "Je ne veux pas la garder pour moi", explique Marie. "Mon rêve, ce serait de la faire exposer... Peut-être à la cathédrale, un jour ?"