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[HOMÉLIE] Être chrétien, c’est communier à la souffrance du monde

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"Meal of Our Lord and the Apostles" (Repas de Notre-Seigneur et des apôtres), de James Tissot.

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Erwan de Kermenguy - publié le 19/10/24
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Curé de la paroisse Notre-Dame de Tout-Remède en Pays de Landerneau, le père Erwan de Kermenguy commente les lectures du 29e dimanche du temps ordinaire. Dieu n’est pas indifférent à la souffrance du monde, il vient assumer notre mal : être chrétien, c’est répondre à cette souffrance en communiant à la croix du Christ avec humilité, prudence et fidélité.

Faut-il souffrir pour être chrétien ? Les lectures de ce dimanche sont dures à entendre. "Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur", dit Isaïe dans la première lecture (Is 53, 10). Mais pourquoi donc ? Est-ce que Dieu prendrait plaisir au mal ? Pendant que j’écrivais cette homélie, j’avais sur mon bureau deux petits bibelots : une crèche taillée tout entière dans une seule branche de bois, qui attend patiemment que Noël revienne tous les ans… et une boule de verre lumineuse dans laquelle on voit le Christ en croix. Pour moi, évidemment, c’est l’amour de Dieu qui est figuré là. Mais comment ne pas être saisi par la violence de ce rapprochement ? Ce bébé dans la crèche, il va être cloué sur un tronc d’arbre. Sommes-nous masochistes, nous les chrétiens ? Suis-je "maso" d’être curé ?

La Parole de Dieu ce dimanche nous invite à oser regarder vers le mal et la souffrance parce que la croix du Christ est le lieu de l’amour. C’est à cet amour que nous voulons communier… même si nous sommes souvent bien petits et fragiles, tant face à la croix que face à l’amour. Méditons sur cet amour et cette souffrance en trois temps : la croix du Christ est communion à la souffrance du monde ; nous communions à la croix du Christ ; face à la croix : humilité, prudence, fidélité.

La croix du Christ est communion à la souffrance du monde

Le monde des chrétiens n’est pas le monde des bisounours. Bien des gens pensent que nous sommes de gentils naïfs, à être disciples de ce Jésus qui dit "aimez-vous les uns les autres". Bien des gens pensent qu’être chrétien c’est être gentil. Oh ! ça ne fait pas de mal aux enfants d’apprendre à être gentil. C’est même sûrement très utile pour la société qu’il y ait des chrétiens, cela transmet des valeurs. Mais devenir adulte c’est se confronter à un monde qui est dur, où pour survivre il faut savoir prendre des coups et en donner. Alors nous rangeons notre christianisme dans le carton de nos souvenirs d’enfance, comme une sorte de paradis perdu, à côté des images de Noël et des photos de première communion. Mais justement le christianisme c’est tout sauf cela. Le christianisme est la véritable réponse à la souffrance du monde. Jésus n’est pas une image gentille pour des enfants sages. Jésus est le Serviteur de Dieu, broyé sur l’autel de la croix. Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur.

Face à la souffrance de notre humanité, qu’il s’agisse des conflits aux quatre coins de la planète, qu’il s’agisse de la souffrance des migrants, de la souffrance des personnes âgées isolées ou des malades dans leur lit d’hôpital, Dieu n’est pas indifférent. Dieu n’est pas indifférent à la souffrance de nos vies familiales. Dieu n’est pas indifférent à la charge mentale des chefs d’entreprises et des hommes politiques. Dieu n’est pas indifférent à la souffrance de ceux qui s’engagent pour les autres. Dieu n’est pas indifférent à la souffrance du salaud qui porte le poids de ses péchés et ne voit pas d’issue au mal qu’il a commis, qu’il s’agisse du violeur, du voleur ou de l’assassin.

Le Dieu des chrétiens n’est pas une histoire pour enfants : il vient assumer notre mal.

Le dieu des Bisounours aurait réglé tout cela d’un coup de baguette magique. Le bon génie d’Aladin m’aurait protégé d’Ali Baba et des quarante voleurs. Le Dieu des chrétiens n’est pas une histoire pour enfants : il vient assumer notre mal. Il vient souffrir avec nous. Il vient traverser le mal de l’humanité. Jésus est le grand-prêtre du sacrifice éternel nous rappelle l’épître aux Hébreux. Et ce n’est pas un grand-prêtre distant, "incapable de compatir à nos faiblesses" (He 4, 15). Au contraire, il a assumé notre humanité. Il a assumé nos souffrances, nos fatigues, nos ras-le-bol, notre désespoir. Et jusqu’au bout, il a aimé. Il a fait de sa vie un sacrifice d’amour. Isaïe dans la première lecture appelle cela un "sacrifice de réparation" (Is 53, 10). En aimant jusqu’au bout de la croix, il a réparé le monde… car le monde meurt de ne pas aimer. L’amour vécu jusqu’au bout de la croix vient réparer les carences d’amour du monde. Il vient refaire les niveaux d’amour dans le monde !

Nous communions à la croix du Christ

La croix du Christ est communion à la souffrance du monde… et nous, nous communions à la croix du Christ. À chaque messe, nous communions à la croix du Christ. Franchement, quand nous venons à la messe ce n’est pas forcément évident. Nous nous attardons sur le choix du chant d’entrée, sur la qualité de la chorale, sur la sono qui ne marche pas bien… nous pensons à telle personne qui n’est pas là, ou telle autre qui est là et que j’aurais préféré ne pas voir. Nous sommes comme Jacques et Jean, les fils de Zébédée, dans ce chapitre 10 de l’évangile de saint Marc, obsédés par des questions très personnelles (Mc 10, 35). Ils veulent tirer leur épingle du jeu. Ils viennent à Jésus pour eux-mêmes, pour leur confort, pour leur orgueil, pour leur plaisir. Et nous, trop souvent nous venons ainsi à la messe. Nous nous agaçons du bruit que font les enfants à l’église. Nous nous agaçons de notre voisin qui fait bouger sa chaise. Brrr… la messe ce serait mieux sans les autres ! La paroisse, ce serait mieux sans le clocher d’à-côté. Ou sans ceux qui ne prient pas comme moi. Et Jésus nous dit : "Pouvez-vous boire à ma coupe ?" (Mc 10, 38) Alors nous, naïvement, nous lui disons "oui, bien sûr"… Parce que cela nous pose quand même de communier. D’un point de vue pratique, nous communions en recevant l’hostie, mais c’est toujours le même geste de communier au Christ tout entier, corps et sang, nous communions à la personne du Christ.

Mais cela a deux conséquences. La première, c’est que nous communions au Christ crucifié. Nous communions à celui qui donne sa vie pour le monde. Et nous accueillons en nous ce combat intérieur, ce combat terrible, pour le salut du monde. Certains s’étonnent parfois que la messe soit un combat… mais c’est le seul véritable combat ! Bien sûr, nous venons à la messe pour prendre des forces. Mais nous venons à la messe pour nous appuyer sur la force du Christ qui mène le combat en nous. La messe ce n’est pas un pique-nique, c’est un champ de bataille. La guerre en Ukraine, les conflits dans les entreprises, les époux qui divorcent, les trahisons et les haines de l’humanité… nous les retrouvons là sur l’autel. Et nous communions au Christ qui sauve le monde. Alors il n’y a pas à être surpris quand, à la messe, j’ai envie de tordre le cou à mon voisin, quand à la messe j’ai envie de me fâcher contre la chorale qui ne chante pas ce que je voudrais chanter. C’est plutôt bon signe… c’est le signe que je mène le bon combat.

Je suis en communion avec les autres chrétiens qui mènent ce combat avec moi.

La deuxième conséquence, c’est que je suis en communion avec les autres chrétiens qui mènent ce combat avec moi. J’ai peut-être du mal à les aimer, mais ils sont mes frères. Et donc je n’ai pas à leur imposer ma manière de prière. Je n’ai pas à vouloir siéger à droite du Christ et à vouloir les écarter pour que je sois seul avec mon Jésus. J’ai au contraire à me réjouir qu’eux aussi soient là et qu’ensemble nous soyons en communions pour le salut du monde. Regardez souvent les gens qui viennent à la messe ! Et réjouissez-vous du combat qu’ils mènent pour la sainteté. Ne vous dites pas "ils sont meilleurs que moi". Ne vous dites pas "ce ne sont que des hypocrites, je connais leur manière d’agir à la maison ou au boulot"… Dites-vous : "Ce sont des frères, qui mènent le même combat que moi, à leur manière. Eux aussi sont plongés dans le baptême de Jésus. Avec eux, je veux boire à la coupe et communier pour le salut du monde."

Face à la croix : humilité, prudence, fidélité

Cette dernière attitude est une attitude d’humilité. Or l’humilité est nécessaire lorsqu’on se trouve face à la croix et à la souffrance. Concluons ainsi : je n’ai pas de leçons à donner face à la souffrance. Je porte moi aussi de lourds combats. Être curé, ce n’est pas simple. C’est d’autant moins simple que cela suppose d’essayer d’être chrétien… Je termine en nous exhortant à l’humilité, à la prudence et à la fidélité. Bien souvent, ce que Dieu attend de nous, lorsque la croix fait irruption dans nos vies, c’est l’humble fidélité. Nous, nous serions tentés d’abandonner. "Je suis malade, je ne vais pas venir à la messe" ; "je suis en train de divorcer ce n’est pas le moment de venir à l’église". Eh bien justement si. C’est le moment où jamais où tu as besoin d’être en communion avec le Christ en croix. Et si tout va bien pour toi… viens aussi, pour porter en ton cœur le combat du monde et soutenir tes frères.

Lectures du 29e dimanche du temps ordinaire :

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