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L’assassinat du père Popiełuszko en Pologne en 1984, le symbole d’une société orwellienne ?

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Père Popiełuszko.

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Cyprien Viet - publié le 18/10/24
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40 ans après l’assassinat du père Jerzy Popiełuszko, dans la nuit du 19 au 20 octobre 1984, des zones d’ombre subsistent sur les circonstances de la mort du prêtre de Varsovie, connu pour sa résistance au système communiste.


Que s’est-il réellement passé dans la nuit du 19 au 20 octobre 1984 ? Les circonstances de la mort du père Jerzy Popiełuszko, dont le corps fut retrouvé dans la Vistule quelques jours plus tard, demeurent une énigme. L’arrestation et la condamnation à l’époque de trois officiers n’a jamais permis de remonter toute la chaîne de responsabilités jusqu’à la source. D’autant plus que certains documents du ministère de l’Intérieur ont été détruits par des agents du régime lors de sa chute en 1989. Une conférence récemment organisée à l’Université Grégorienne de Rome et réunissant plusieurs spécialistes de la période éclaire sous un nouveau jour la persécution dont l’Église catholique était l’objet en Pologne à cette époque. Et plus singulièrement le sort du père Jerzy Popiełuszko.

 26 “messes pour la patrie”

Inspiré par le courage de Jean Paul II et du cardinal Wyszynski, le père Popiełuszko délivra entre 1982 et 1984 de puissantes homélies lors de ses 26 “messes pour la patrie” célébrée à Varsovie dans la paroisse saint Stanislas Kostka dont il était vicaire. Ces célébrations constituaient pour les participants “deux heures de liberté”, selon l'historienne Ewa Czaczkowska qui souligne que “de nombreux témoignages montrent que ces prières ont permis une véritable guérison spirituelle de la peur, de la haine contre les autorités ou du désir de vengeance”. En rompant les chaînes de la haine, le prêtre martyr, qui n’attaquait jamais personne mais puisait ses réflexions dans la vérité de l’Évangile, a ainsi révélé à la Pologne et au monde la fragilité de ce régime, encourageant une résistance qui allait mener à la chute du communisme cinq ans plus tard.  

Béatifié en 2010, le Jerzy Popiełuszko ne fut en réalité pas le seul prêtre assassiné en Pologne dans cette période d’agonie du régime communiste. Au total, dix prêtres ont été tués entre 1976 et 1989. L’historien Jakub Gołębiowski, de l'Institut pour la mémoire nationale, raconte qu’au fil des années, “les communistes ont imaginé de nouvelles tactiques de plus en plus sophistiquées pour lutter contre l'Église. [...] Chaque prêtre, depuis son entrée au séminaire jusqu'à sa mort, était traité comme un ennemi du système communiste et un agent d'un État étranger, le Vatican”. Au sein du ministère de l'Intérieur, le “Département 4” était d’ailleurs dédié à la surveillance de l’Église catholique.

1984, année orwellienne

Le politologue Andrzej Grajewski voit une coïncidence entre l'année de la mort du père Popiełuszko, 1984, avec l'année choisie par George Orwell pour le titre de son roman dystopique éponyme qui dénonce une société de surveillance totalitaire. Andrzej Grajewski relève de nombreuses similitudes entre le monde totalitaire

décrit par l'écrivain britannique et la réalité de la Pologne communiste. Dans les années 1980, après la proclamation de “l’état de guerre” par le général Jaruzelski, le pays voit partir un million de ses ressortissants, souvent parmi ses forces vives. Les services de sécurité renforcent alors un système de surveillance digne du “Big Brother” d’Orwell, avec des milliers d’officiers chargés de surveiller la population, en lien avec des milliers d’informateurs disséminés dans tous les secteurs de la vie économique et sociale, mais aussi jusque dans les paroisses.

Mais contrairement au récit dystopique d’Orwell, l’Église catholique offre à cette époque “un espace de liberté que les autorités ne purent jamais contrôler”, ce qui rendait le régime furieux. Les messes pour la patrie célébrée par le père Popiełuszko étaient qualifiées à l’époque de “séances de haine” par le porte-parole du gouvernement : un parallèle surprenant avec les “deux minutes de haine” décrites dans le roman d’Orwell pour susciter des émotions négatives et rendre la population manipulable par la propagande.

En décembre 1983, le père Popiełuszko est arrêté. Dans le cadre d’un montage grossier, des armes et des explosifs, naturellement déposés par des agents du régime, sont découverts dans son appartement personnel. L’intervention du secrétaire général de l’épiscopat permet dans un premier temps sa libération. Mais différentes formes de harcèlement et de provocation seront bientôt mises en place. Jusqu'à la tentative de provoquer un “accident de voiture” le 13 octobre 1984, puis son enlèvement et son exécution six jours plus tard.

Une résistance massive et non-violente lors des obsèques

La vague d’émotion et de manifestations anticipée par les artisans de ce complot devait justifier un nouveau tour de vis autoritaire, dans le cadre de règlements de compte internes au régime. Andrzej Grajewski voit dans cet enchaînement “un véritable scénario orwellien d'ingénierie sociale, utilisant les émotions pour conduire un jeu politique de sang-froid”. Mais dans la réalité, les obsèques du prêtre se déroulent dans des conditions de grande dignité et de calme, relançant une résistance massive et non-violente face au régime. “Big Brother perdit et le système totalitaire commença à se désintégrer” analyse 40 ans après Andrzej Grajewski.

Aujourd’hui, les pèlerins du monde entier qui viennent se recueillir sur la tombe du père Popiełuszko à Varsovie puisent de l’énergie pour résister face aux abus de toutes sortes, qu’ils proviennent de régimes autoritaires ou de démocraties dans lesquelles la liberté religieuse et de conscience se trouve fragilisée par différentes formes de conditionnement “orwellien”. Résister à l’emprise des idéologies et de la distorsion des langages et vivre sa foi comme un acte de recherche perpétuelle de la vérité et de la liberté demeurent des défis essentiels pour les chrétiens d’aujourd’hui.

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