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Un gaulliste à Matignon, pour quoi faire ?

MICHEL BARNIER
Xavier Patier - publié le 10/09/24
Le nouveau Premier ministre est un montagnard patient qui n’aime pas les "déconstructeurs". S’il a l’autonomie, le temps et le soutien nécessaires, estime l’écrivain Xavier Patier, qui a travaillé pour lui, il pourra réussir.

En nommant Michel Barnier à Matignon, le président de la République n’a transgressé, quoi qu’aient pu dire les juristes improvisés, ni la lettre, ni l’esprit de nos institutions. La Constitution de 1958 ne suggère nulle part que la nomination du Premier ministre est une compétence liée. Son article 8 dit simplement : "Le président de la République nomme le Premier ministre." Le président nomme qui il veut. Il n’est pas tenu de choisir un candidat proposé par une alliance née des élections législatives.

Dans le passé, nos présidents ont choisi des Premiers ministres en dehors de la majorité parlementaire. Ainsi de Georges Pompidou, nommé à la tête du gouvernement alors qu’il n’appartenait pas à la majorité de l’Assemblée pour la simple raison qu’il n’était même pas député, ou de Raymond Barre, universitaire choisi par Valéry Giscard d’Estaing en 1976, ou de Jean Casteix nommé en 2020, entre autres. Ces Premiers ministres trouvés hors de la majorité parlementaire n’ont pas été moins légitimes que les autres. 

La confiance du Parlement

Car la légitimité d’un Premier ministre a deux sources : la confiance du président qui l’a nommé et la confiance du Parlement qui ne l’a pas désavoué. Dans la Constitution actuelle, cette confiance se présume alors que sous la IVe République, c’était la défiance qui était présumée. Changement fondamental ! Jusqu’à preuve du contraire, preuve apportée par le vote d’une motion de censure par la majorité absolue des députés, Michel Barnier dispose de la confiance de l’Assemblée nationale.

On peut en déduire que les conditions juridiques de la sortie de l’hystérie apparue au lendemain des législatives sont aujourd’hui réunies. Et on peut raisonnablement penser que le gouvernement Barnier a de bonnes chances de durer et d’agir. Seule la gauche aux mains de La France insoumise (LFI) pourrait mettre un terme à l’expérience Michel Barnier, mais à la date choisie par Marine Le Pen. LFI et le Rassemblement national s’accordant sur la rédaction et le vote d’une motion de censure, se concertant sur les conséquences à en tirer : l’hypothèse est peu probable à court terme. Elle le sera de moins en moins au fil des mois, quand s’approchera le risque d’une dissolution de l’Assemblée. Les députés n’aiment pas revenir devant les urnes avant d’avoir remboursé leurs dettes de campagne. Ils invoqueront d’autres arguments pour justifier leur souci de se tenir tranquilles, certes. 

Un montagnard qui soigne les détails

Mais il y a aussi l’équation personnelle de l’homme. On dit que chaque homme a deux pays : le sien et celui de sa femme. Michel Barnier a deux pays : la Savoie et la Sologne. Cet homme apparemment pressé, militant dès l’âge de quinze ans dans l’Union des jeunes pour le progrès (UJP), mouvement gaulliste imprégné des idées sociales chrétiennes, a été conseiller général à 22 ans, député à 27. Il aura été le plus jeune partout, avant d’être aujourd’hui le plus vieux Premier ministre de la Ve République. Il est resté marqué par le projet de Nouvelle Société porté par Jacques Chaban-Delmas. Il a travaillé à la construction européenne, mais en gaulliste. Il s’est toujours présenté comme "patriote et européen", citant volontiers le général de Gaulle qui voyait dans l’Europe un "levier d’Archimède de l’influence française". Une photo l’a suivi dans chacun des bureaux qu’il a occupés : on y voit le général de Gaulle avec le chancelier Adenauer. 

Pour autant Michel Barnier est resté un montagnard et un arpenteur des bois. Il escalade les montagnes et scrute les fourrés : il travaille avec patience. Il n’aime pas les "déconstructeurs". Il possède une qualité rare chez les politiques (qualité partagée d’ailleurs avec Simone Veil) : chez lui, l’homme privé n’a pas une posture différente de l’homme public. Il ne joue pas de personnage. Il met le résultat au-dessus du brio. Il préfère paraître laborieux que de céder à la tentation du bon mot. Quand j’ai travaillé avec lui, j’ai trouvé un visionnaire qui soignait les détails. Il préférait l’opiniâtreté à la fulgurance. Il était valorisant de le servir. 

De l’autonomie, du temps et du soutien

Il disait en 2021 : "Le président de la République ne se grandit pas en travaillant, solitaire et péremptoire, sur le mont Olympe. De Gaulle a eu de grands Premiers ministres. Ses ministres avaient de l’autonomie, du temps et du soutien. Quand un ministre n’est pas soutenu, plus rien ne bouge en dessous de lui. Nous le voyons tous les jours. Le Parlement n’est pas un gêneur, les collectivités locales ne sont pas des obstacles." 

S’il a le soutien de l’opinion, le gouvernement Barnier pourra gravir une très haute montagne, le budget, la dette, la sécurité. Il pourra aussi aider le pays à retrouver cette vertu qui lui a tant manqué, le respect.

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