Toute la vie de Birgitta Birgerdotter ("fille de Birger"), plus connue sous le nom de Brigitte de Suède, s’élève en faux contre l’idée que la femme au Moyen Âge a été réduite au rang d’être inférieur sous éternelle tutelle masculine. La magnifique indépendance de cette grande dame, qui réussit à être épouse, mère de famille nombreuse, responsable de lourdes charges curiales, pèlerine, fondatrice d’ordre religieux et d’un monastère, conseillères des papes et des rois est à faire pâlir d’envie les plus ambitieuses de nos contemporaines !
Mystique et amoureuse
Brigitte naît, sans doute le 14 juin 1303, à Finsta, propriété de ses grands-parents maternels dans la province suédoise d’Uppland. Si sa famille est apparentée à la dynastie des Brahe, ce qui fait quasiment d’elle une princesse de sang royal, ses pieux parents s’enorgueillissent plus volontiers d’être neveux d’une sainte dominicaine, la bienheureuse Ingrid. Dès son enfance, Brigitte connaît ses premières expériences mystiques, voyant Notre-Dame et le Christ lui apparaître. Sans doute entend-elle l’appel de Dieu mais, après la mort de sa mère, en 1314, son père lui fait épouser en 1316 l’un des plus hauts seigneurs suédois, le prince Ulf Gudmarson, sénéchal de Néricie et gouverneur du Gothland.
Oubliant ses réticences premières, éprise de son mari, Brigitte partagera avec lui vingt-huit années de vie conjugale et de piété commune. Huit enfants naissent de leur union, quatre filles et quatre garçons, six survivent, un record pour l’époque. L’aîné, Karl, mènera dans le monde une vie discrètement consacrée tandis que son cadet, Birger, bien que marié, choisira de partager la vie pérégrine de sa mère ; Ingeborg prend le voile, choix que sa sœur, Catherine, suivrait volontiers mais son père préfère la marier et sa piété n’empêche pas Brigitte de laisser faire.
À pied vers Compostelle
À ses charges familiales, Brigitte ajoute, depuis 1335, celle d’intendante de la cour du roi Magnus IV, ce qui prouve les capacités d’organisation et la poigne de la princesse. Elle pourrait se contenter de cette existence dorée et bien remplie mais Brigitte aspire à une autre vie. En 1342, elle convainc son mari d’entreprendre avec elle un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, à pied. Tombé malade en Espagne, Ulf, se sentant près de sa fin, décide alors de finir ses jours chez les cisterciens d’Alvastra où il prononce ses vœux et où il mourra en 1344. Brigitte, qui avait choisi de rester à proximité de la retraite de son époux, regagne alors la Suède et s’y consacre à Dieu, elle aussi, comme elle l’a toujours souhaité. Ne trouvant pas de couvent à son goût, elle en fonde un à Vadstena, y installe une nouvelle congrégation, l’Ordre du Très Saint Sauveur, voué à la méditation et la contemplation de la Passion du Christ, comportant une branche masculine, qui périclitera vite, et une branche féminine, qui existe encore, les Brigittines. Alors qu’elle pourrait se consacrer à cette œuvre, Brigitte reprend bientôt la route et part pour Rome. Telle est en effet la volonté de Dieu.
Familière des papes et des rois
Depuis 1343, la jeune veuve a renoué avec les expériences mystiques de son enfance. Jésus l’a visitée lui disant : "Je suis ton Dieu qui veut te parler, pour ton salut et celui des autres." En fait, ce que le Christ lui dépeint, dans une série de visions et révélations qui dureront jusqu’à ses derniers jours, c’est le triste spectacle d’une chrétienté divisée par le grand schisme d’Occident, fracturée entre le pape d’Avignon et celui de Rome, d’une Église plus préoccupée de pouvoir et d’argent que du salut des âmes, et d’un pauvre peuple abandonné à de mauvais bergers en train de revenir au paganisme faute d’être instruit et guidé.
Ses Révélations, qui seront recueillies, mises en ordre et traduites en latin par son confesseur, sont autant d’adresses aux grands de la terre, clercs ou laïcs.
Au vrai, en cette période de crise qui désole la catholicité, nombreuses sont les saintes femmes appelées par Dieu à agir pour conduire à une réforme urgente et un retour à l’unité. Elles sont soutenues dans leur démarche par les ordres mendiants, franciscains ou dominicains : ce sera le cas de Brigitte et plus tard de Catherine de Sienne qui reprendra sa mission. Mais, pour la princesse Gudmarson, apparentée à la famille royale de Suède, les portes s’ouvrent plus facilement et il lui est aisé de s’adresser directement aux rois, aux papes, aux puissants, pour dénoncer de la part du Ciel le scandale infligé à la chrétienté.
Mendiante sur les routes d’Italie
C’est la raison pour laquelle ses Révélations, qui seront recueillies, mises en ordre et traduites en latin par son confesseur, sont autant d’adresses aux grands de la terre, clercs ou laïcs. Authentifiées par l’Église, et encore par Jean Paul II quand il la nommera patronne auxiliaire de l’Europe, ses visions, si elles marquent les esprits, ne suffisent pas à donner de l’audace aux papes. Ni Urbain V ni Grégoire XI, qu’elle rencontre l’un après l’autre, ne se laissent convaincre de revenir à Rome où la situation est chaotique et leur vie en danger… Quant à s’abandonner à la Providence, comme Brigitte les y invite, ces pontifes politiques ne l’osent pas.
Brigitte s’obstine. Installée à Rome en 1350 avec son fils Birger et sa fille Catherine, devenue veuve, elle parcourt l’Italie pendant vingt ans, en pauvre pèlerine, n’hésitant pas, elle si grande dame, à mendier, appelant l’aristocratie et le peuple à s’associer à son combat. Sans succès notable.
Patronne de la Suède
En 1372, Brigitte passe alors en Terre sainte, réalisant l’un de ses rêves. À Bethléem, elle reçoit des révélations de Notre-Dame sur son enfance et ses parents, en même temps qu’elle a la vision de la Nativité. L’année suivante, elle rentre à Rome et y meurt le 23 juillet, non sans avoir dicté ses dernières révélations à son confesseur. Ses enfants rapatrieront son corps à Vadestena où elle repose encore, la Réforme ayant épargné son tombeau, preuve du respect porté à la patronne de la Suède, femme d’influence et de pouvoir !