Une tentation revient toujours à chaque élection chez les citoyens de conviction : voter pour le bien, ou contre le mal. Autrement dit, choisir comme si le bien et le mal dans la société dépendaient des urnes. Cette vision relève d’un moralisme inspiré par un certain relativisme démocratique : le bien et le mal ne dépendent d’aucune majorité. L’élection est un acte purement pratique, qui n’a rien de sacré. Quand on vote, on ne donne pas son opinion, on n’exprime pas un désir, on fait un choix : ce choix a pour objet de trancher entre plusieurs options possibles afin de désigner une majorité parlementaire qui devra gouverner avec l’autorité requise. Ni plus, ni moins. Quand la démocratie tend à se considérer comme une norme morale en elle-même, il n’est pas inutile de rappeler la dimension avant tout technique de l’élection, aussi digne de respect soit-elle.
La tentation idéologique
En désignant les responsables de la cité, le citoyen électeur n’abdique pas sa responsabilité. Celle-ci doit s’exercer chaque jour à travers toutes ses décisions et ses engagements. Une politique transférée aux seuls élus serait plus ou moins despotique. Il en va de la politique intérieure comme de la politique étrangère. Si la politique consiste à défendre des valeurs, et non poursuivre des intérêts, ses acteurs finissent toujours par basculer dans l’idéologie et la démesure. La politique se réduit au conflit : les protagonistes ne sont plus que des adversaires, même s’ils partagent les mêmes buts ! L’engagement se définit comme une lutte. A contrario, dans la perspective de la politique classique, ni idéologique ni doctrinaire, chercher l’intérêt de sa communauté, à travers la réalisation d’objectifs concrets rendant service comme lorsqu’il s’agit de son intérêt propre, commande toujours la modération, et un compromis dans la paix pour progresser utilement.
La politique est un service
Ainsi, pour un chrétien, la politique n’est pas un message, mais un service. Faire progresser le bien, avec les moyens du bord, et la sérénité de ceux qui savent que la politique n’a pas les promesses de la vie éternelle : "Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous" (Jn 12, 18). L’enjeu est de rendre service dans la société telle qu’elle est. Et pour que la société change, le premier service à apporter est de libérer la société des idées qui dressent les hommes et les peuples les uns contre les autres, quand leur bien est au contraire de s’entraider les uns les autres : la paix est la première condition du bien commun.
On objectera qu’on ne peut faire de la politique sans conviction. Oui ! mais la politique ne consiste pas d’abord à proclamer des convictions : il n’y a pas de politique sans action. La conviction guide l’action, elle ne l’éteint pas, ni ne l’enferme dans un hypothétique résultat électoral. C’est ainsi que saint Jean Paul II définit la doctrine sociale de l’Église : "une orientation pour l’action". On ne vote donc pas pour ses convictions, on vote pour les rendre possibles et opérantes. C’est en progressant dans la société que le bien progressera dans les partis, et non l’inverse.
Choisir une personne
Alors, qui choisir ? Non pas des valeurs, ni un parti, mais un homme ou une femme qui devra participer à l’élaboration de la loi et contrôler le gouvernement. Les programmes ont leur importance, mais ils n’ont de valeur que par rapport aux hommes qui peuvent les mettre en œuvre, et leur vision de l’homme, de la politique et de la société. En France, le parlementaire n’a pas de mandat impératif : cela signifie que chaque député représente la nation et se détermine librement dans l’exercice de son mandat. Il n’est en principe lié par aucun engagement.
En pratique, les candidats sont investis ou soutenus par des partis ou des coalitions qui peuvent contraindre leur liberté politique : cette liberté de parole, cette liberté de vote, peut être un critère de jugement, si celle-ci paraît pouvoir jouer un rôle pour relayer une voix qui mérite de l’être dans le débat politique. Les partis étant devenus le plus souvent des écuries électorales sans cohérence idéologique, le choix de la personne a d’autant plus d’importance. Les futurs élus doivent donc se juger sur leurs capacités personnelles (expérience, compétences, capacité de décider et de décider librement) ainsi que sur leur capacité politique à se faire entendre de façon utile au sein d’une force parlementaire.
Ne pas consentir au mal pour faire le bien
Voter pour un candidat qui n’a aucune chance d’être élu n’apporte rien, sinon une voix de moins à celui qui peut empêcher la victoire du candidat le plus dangereux. L’effet dynamique d’un nombre de voix inutiles pour une élection, mais qui amorce un mouvement de conquête est un argument : c’est celui des partisans qui espèrent progresser. La raison se plaide, mais elle doit s’apprécier dans le temps : il est parfois contre-productif d’afficher sa faiblesse numérique. En tout état de cause, le critère moral est celui-ci : son vote ne doit pas aggraver la situation. Le chrétien ne consent jamais au mal pour faire le bien.
Quoiqu’il arrive, il y aura un élu ou une élue dans sa circonscription, et ce nouveau député disposera d’un pouvoir au Parlement. Son élection participera à une dynamique parlementaire majoritaire ou minoritaire, mais positive ou négative qu’il faut anticiper. Un citoyen responsable ne peut pas se laver les mains le soir du scrutin, comme si son devoir était rempli pour cinq ans. C’est au lendemain de l’élection que tout commence, pour l’élu, et pour l’électeur qui reste citoyen. Entre eux, si leur volonté est de servir le bien, il faudra coopérer. C’est le bien commun qui commande, et le bien commun, c’est le meilleur possible pour tous.