Située au centre de la place Navone, cette construction est célèbre dans le monde entier. Nommée "fontaine des Quatre-fleuves", elle a été commandée par le pape Innocent X au sculpteur et architecte Le Bernin, qui termina son œuvre en 1651. Devant ce feu d'artifice de jets d'eau, des milliers de touristes viennent chaque jour contempler les incarnations musculeuses des grands fleuves du monde – le Danube, le Gange, le Nil et le Rio de la Plata - statues agrippées à une rocaille baroque.
Le regard du passant est attiré par le clapotement de l'eau et les expressions remarquables des allégories. Mais, comme souvent à Rome, il faut élever son regard pour ne rien manquer du spectacle. En effet, au-dessus de la structure a été placée par le Bernin, et à la demande du Pape, une immense obélisque, dont l'histoire est particulièrement insolite. Si on part du haut du monolithe, on trouve, comme souvent à Rome, une croix en bronze qui surmonte l'édifice païen. En dessous de la croix, l’artiste a représenté une colombe avec un rameau d'olivier, qui sont les armes de la famille Pamphilj à laquelle appartenait Innocent X.
Grâce à ce monument, ce pape fait partie de la famille des 'papes pharaons', qui décidèrent de mettre en valeur le patrimoine égyptien présent à Rome. Comme lui, Sixte V (1585-1590), Alexandre VII (1655-1667), Clément XI (1700-1721), Pie VI (1775-1799) et Pie VII (1800-1823) ont installé un des 13 obélisques. La construction de la fontaine, très coûteuse, ne plaît pas à tout le monde. Le peuple de Rome exprime très clairement son opinion en laissant cette inscription sur le monument : “Dic ut lapides isti panes fiant”. Ce qui signifie : “ Faites que ces pierres deviennent du pain”.
Le prestige et l’universalité
En réhabilitant les obélisques, les papes renouent ainsi avec le prestige des empereurs de jadis, et se proclament défenseurs d’une universalité capable d’englober toutes les cultures, mêmes les cultures païennes d’antan. C’est cette considération, nourrie de la pensée humaniste de son temps, qui va permettre la création des Musées du Vatican par le pape Jules II au XVIe siècle. Il y a enfin la fascination pour les “mystères” égyptiens qui nourrissent en ces temps la curiosité de nombreux esprits érudits.
Pour réhabiliter l'obélisque de la place Navone - aussi appelé “obélisque agonale” -, les ateliers du Bernin vont devoir restaurer les quatre faces en granit du monument, qui était tombé en décrépitude. C’est le cas de son "pyramidion", la pointe en forme de pyramide de l’obélisque. Pour cela, on fait appel à un certain Athanasius Kircher, un savant surnommé “le dernier homme qui savait tout”, mais qui ne savait bien entendu que peu de choses en matière de hiéroglyphes. Il complète néanmoins certains fragments.
De mystérieuses inscriptions
Ces inscriptions, traduites au XXe siècle, indiquent un fait étonnant : cet obélisque, bien que taillé en Égypte puis acheminé jusqu’à Rome, a été conçu à la demande de l’empereur Domitien, et non récupéré sur les vestiges des royaumes d’Égypte. Les hiéroglyphes ont donc été écrits pour le souverain romain, mais en s’inspirant très clairement de la façon dont on décrivait les pharaons d’antan, a souligné l’égyptologue italien Nicola Barbagli lors d’une conférence organisée par les Musées du Vatican.
Domitien, empereur du Ier siècle, était en fait personnellement lié à l’Égypte, un territoire qui appartenait depuis près de 100 ans à l’Empire romain. Son père, l’empereur Vespasien, avait en effet appris qu’il allait devenir empereur en 69 alors qu’il priait dans le temple de Sérapis à Alexandrie. Les circonstances de cet épisode sont étranges, et font état, selon un chroniqueur, de miracles.
Un pape bâtisseur
En tant qu’empereur, Vespasien entretient une réelle piété, mêlée à des croyances magiques, pour des dieux tels qu’Isis ou Sérapis, qu’il transmet à ses successeurs Titus (79-81) et Domitien (81-96). Pour le peuple d’Égypte, l’empereur était à l’époque considéré comme un pharaon malgré la fin de la dynastie ptolémaïque avec la mort de Cléopâtre en -30 av. J.-C., et Domitien semble avoir été particulièrement conscient de cette responsabilité et de ce qu’elle impliquait sur le plan spirituel.
En un monument, l’histoire nous offre ainsi le témoignage du prestige d’un pape bâtisseur et humaniste, de la piété ésotérique d’un empereur et de la persistance, dans la Rome antique, de la lignée des pharaons.